Marseille, Opéra municipal, saison 2021/2022
“WERTHER”
Opéra en 4 actes, livret de Edouard Blau, Paul Milliet et Georges Hartmann d’après de roman de Geothe
Musique Jules Massenet
Charlotte ANTOINETTE DENNEFELD
Sophie LUDIVINE GOMBERT
Kätchen EMILIE BERNOU
La Gouvernante MAÏTE ESTOREZ
Werther THOMAS BETTINGER
Albert MARC SCOFFONI
Le Bailli MARC BARRARD
Johann JEAN-MARIE DELPAS
Schmidt MARC LARCHER
Brühlman CEDRIC BRIGNONE
Orchestre de l’Opéra de Marseille
Direction musicale Victorien Vanoosten
Maîtrise des Bouches-du-Rhône, Pôle Art Vocal
Direction musicale et artistique Samuel Coquard
Mise en scène Bruno Ravella
Décors/Costumes Leslie Travers
Lumières Malcom Rippeth
Marseille, le 20 mars 2022
Il semblerait qu’en France un retour à la normale, après pandémie, s’annonce. Et, ce qui nous intéresse ici en premier lieu : les salles de spectacles. Plus de masques, plus de distanciations sanitaires ni de pass et un retour de l’orchestre dans la fosse avec le nombre de musiciens prévu par le compositeur. Un luxe ! C’est donc avec un sentiment de plénitude que nous nous abandonnons au plaisir d’écouter “Werther” en ce dimanche après-midi. Le premier roman de Johann Wolfgang Goethe, “Les souffrances du jeune Werther” est considéré comme une œuvre majeure du “Sturm und Drang”, ce mouvement précurseur du romantisme né en Allemagne et qui deviendra un courant mondial. Il influencera non seulement la littérature mais toutes les formes de l’art, notamment la musique, et bien entendu, l’opéra. C’est à partir de ce premier roman de Goethe, que Jules Massenet composera son “Werther” qui, malgré ses origines allemandes, deviendra un des chefs d’œuvre de l’opéra français. L’on peut toujours craindre les adaptations, les relectures des metteurs en scène mais, cette fois encore, la production présentée à l’Opéra de Marseille (production de l’opéra de Lorraine) respecte l’époque, le livret, la musique et nous transporte dans ce climat du romantisme naissant. Aucune faute de goût dans la mise en scène de Bruno Ravella. Intimiste, dans une sorte de huis clos, principalement dans la demeure du Bailli, assez dépouillée et, mis à part les enfants qui essaient de s’amuser, le jeu des acteurs reste, lui aussi, dans une forme de sobriété. Nous sommes dans une famille luthérienne où les sentiments ont du mal à s’exprimer, même Charlotte gardera ses distances malgré son inquiétude auprès de Werther mortellement blessé. Les décors de Leslie Travers, qui signe aussi les costumes, sont sobres eux aussi mais bien choisis. Peu ou pas de mobilier, une banquette dans la maison du Bailli sur laquelle se meurt Werther au dernier acte, un clavecin et un petit bureau, noirs dans le boudoir de Charlotte. A part la banquette, la pièce d’entrée de la maison du Bailli est vide mais laisse percevoir une maison cossue, un escalier s’aperçoit depuis une porte ouverte et les murs recouverts de fresques bucoliques apportent une certaine douceur à l’ensemble. Pas d’extérieurs mais un plafond qui se soulève donnant accès à un chemin de ronde sur des remparts où les joyeux drilles entament leur chanson à boire. Le boudoir de Charlotte dans la maison d’Albert est noir, d’une grande austérité, noirs les murs eux-mêmes, peints de paysages champêtres avec un couloir en ligne de fuite éclairé de l’extérieur par une lumière blanche et crue. Le dernier acte où Werther blessé repose sur la banquette est sans doute un jardin où un tilleul doré donne une image romantique. C’est Noël, il neige, comme pour adoucir l’atmosphère dramatique. Ce parti pris minimaliste est bien conçu, nul besoin de beaucoup de choses pour illustrer cette musique et ce roman qui reste basé sur les souffrances de ce jeune Werther. Les costumes seront dans la même veine, sobres, élégants, seyants et bien pensés, respectant l’époque, sans ostentation pour une certaine bourgeoisie. Les robes de Sophie et de Charlotte sont claires, dédiées à des jeunes filles, Charlotte, une fois mariée appréciera le bleu marine. Les messieurs porteront redingotes et souliers à boucles ou bottes hautes. Une atmosphère de bon aloi rythmée par les lumières de Malcom Rippeth, indirectes, crues, clairs obscurs, bleutées ou dorées, suivant les heures de la journée. Le décor est monté, l’ambiance est là, appuyée par la musique qui suit les sentiments. L’orchestre, en pleine forme, est dirigé par Victorien Vanoosten, un chef qu’il connaît bien et qui aime cette musique. Et cela se ressent. Une musique tout en nuances, avec quelques éclats cependant, éclats qui ne couvriront jamais les voix mais qui donneront rythme et relief. Le maestro a su trouver les bons tempi mais aussi les bonnes sonorités laissant ressortir les instruments solistes, du violon aux notes pures et sensibles au son chaleureux du violoncelle, jusqu’aux phrases du hautbois ou du saxophone qui accompagne les larmes de Charlotte. Les voix vont se fondre dans cette atmosphère musicale et nous plonger dans ce drame romantique. Werther a l’âge et le physique du rôle. Thomas Bettinger, que nous avions applaudi dans le rôle de Lenski (Eugène Onéguine) en 2020 est ici ce jeune homme romantique, submergé par les sentiments d’une première passion. Il en a les éclats, les chagrins et la mélancolie. Si la voix a l’instabilité des premiers émois en première partie, elle prend assurance et profondeur, jouant avec les demi teintes ou les aigus éclatants. Son large ambitus lui permet ces écarts de tessitures qui suivent les écarts de sa passion naissante. Dès son retour au troisième acte sa voix trouve cette profondeur, celle de la souffrance. Après un duo émouvant avec Charlotte, il lui lit une traduction qu’il a faite d’un Poème d’Ossian : “Pourquoi me réveiller ô souffle du printemps…” un chant qui prend des accents dramatiques avec des piani mélodieux dans une belle ligne musicale qui finit dans un aigu au timbre coloré. Emotion et frisson pour ce duo où Charlotte résiste et le renvoie. Emouvant dans sa décision de mourir, jusque dans sa mort même où sa voix, accompagnée par l’orchestre en réminiscence, libère enfin Charlotte qui lui avoue enfin son amour. Antoinette Dennefeld est cette Charlotte que l’on sent tiraillée entre ses sentiments et son devoir. Elle utilise sa voix avec souplesse et intelligence et réussit avec une belle présence à rendre avec justesse toute la complexité de ce personnage. Sa grande technique lui permet ces changements de sentiments dans de longues phrases musicales et colorées. Voix claire, projetée ou plus dramatique qui conserve legato et musicalité. Drapée dans une longue robe grise bordée de dentelle noire, c’est avec une grande intériorité mais aussi tendresse ou violence qu’elle lit les lettres écrites par Werther. Elle devient très émouvante alors que ses larmes coulent sur un accompagnement plaintif de saxophone. Des aigus éclatants, une grande homogénéité dans la voix et le vibrato, et un timbre chaleureux de mezzo-soprano viennent appuyer la justesse du personnage. A côté de cette femme de devoir, Sophie sa jeune sœur. Ludivine Gombert prête sa jolie voix fraîche et projetée à cette jeune fille pleine de gaieté et d’insouciance. La soprano française est d’une grande justesse dans le jeu aussi bien que dans la voix aux aigus ensoleillés. Très joli duo des deux sœurs alors que sa voix se voile devant les larmes de Charlotte. Marc Scoffoni est ici Albert, homme sensé dans une voix solide de baryton. Voix sonore que l’on sent plus dure alors qu’il devient jaloux. Et, si son jeu garde distance et sobriété, le chagrin l’accablera à son tour en comprenant que Werther a toujours occupé les pensées de Charlotte. Marc Barrard est un Bailli tout à fait juste. Aimable, paternel, reflet de cette Allemagne puritaine, mais aussi bon vivant à ses heures. Voix sonore, posée, dans une diction projetée aux inflexions justes alors qu’il fête Bacchus avec ses deux compères ” Vivat Bacchus ! Semper vivat ! “. Johann, un Jean-Marie Delpas à la voix de baryton sonore, toujours en place même dans son chant a cappella et Schmidt, Marc Larcher dont la voix de ténor bien projetée donne rythme et gaieté à ce trio. Les Enfants, venus de la Maîtrise des Bouches-du-Rhône, Pôle Art Vocal sont remarquables de justesse, de mise en place et d’intensité de jeu ; très bien préparés par Samuel Coquard. Les “Noël ! Noël ! ” lancés avec ensemble illumineront cette fin tragique. Une représentation dont l’homogénéité, voix, scène, orchestre fera le succès. Un succès scandé par de nombreux et longs rappels. Un réel plaisir! Photo Christian Dresse