Da-Min Kim: Portrait d’un jeune super soliste

Da-Min Kim, que nous avions applaudi à l’Auditorium du Pharo à Marseille dans la Sonate pour violon et piano de Maurice Ravel (transcription Yan Maresz) prend le temps de nous parler de lui, de son travail, de ses joies au sein de l’Orchestre Philharmonique de Marseille où il est super soliste depuis 2013. Portrait d’un violoniste solaire.
Comment devient-on super soliste ? Parlez-nous de votre parcours musical.
Je suis né à Séoul dans une famille de musiciens ; ma mère chanteuse et mon père chef d’orchestre, compositeur. Il est assez simple dans ces conditions de se tourner vers la musique. Ma soeur a commencé l’étude du piano à l’âge de 4 ans mais c’est simplement à 8 ans que je me suis tourné vers le violon. Je progressais rapidement dans cette étude et je me suis tout de suite senti à l’aise avec cet instrument ; je considère cela comme une belle rencontre, une rencontre déterminante. Ma soeur continuant avec succès ses études musicales, mes parents ont décidé de partir pour Paris afin de nous permettre d’avoir accès à d’autres enseignements. J’avais 11 ans et je dois dire que chacun de mes professeurs, chacun des grands violonistes que j’ai côtoyés, chacun à sa manière a formé le violoniste et même le musicien que je suis devenu. Après Séoul j’ai tout d’abord travaillé avec Igor Voloschine, violoniste d’origine russe avec une technique différente. Il est sans doute dangereux de remettre en question ses acquis, sa technique, lorsque l’on change de professeur, mais savoir adapter ses possibilités à ce que l’on entend et que l’on voit est sûrement un enrichissement. Madame Suzanne Gessner du CRR de Paris, récemment décédée et avec qui je suis resté en contact très longtemps m’a beaucoup aidé, c’était une immense pédagogue. C’est très important dans l’enseignement de bien connaître les élèves, leurs possibilités, comment les faire progresser… Au CNSM je suis entré dans la classe de Roland Daugareil puis j’ai travaillé 1 an avec Olivier Charlier. J’ai toujours aimé côtoyer les grands violonistes, suivre leurs enseignements dans des master classes. L’on ne copie pas bien entendu, mais c’est toujours un apport musical important, une ouverture vers des interprétations différentes. Ainsi à l’Académie Walter Stauffer à Crémone, Salvatore Accardo, merveilleux violoniste dont les enregistrements des oeuvres de Paganini restent une référence, m’a fait découvrir certains doigtés, entre autres choses. Les doigtés pour un violoniste, voilà qui est très personnel. Savoir quels doigts employer dans un passage virtuose ou musical peut aller de soi pour quelqu’un, ou pas pour un autre. Avec lui j’ai travaillé la Sonate pour violon et piano de Richard Strauss et  Nocturne et Tarantella de Karol Szymanowski, une oeuvre pleine de mystère, de musicalité et de folklore qui a fait l’objet d’un DVD. A la Schola Cantorum de Paris j’ai pu suivre les cours donnés par Patrice Fontanarosa, autre excellent violoniste français . Puis je suis allé en Suisse, à Lausanne pour un Master Soliste à la Haute Ecole de Musique de Lausanne où j’ai suivi les cours de Gyulia Stuller pendant 2 ans et j’ai fait mes expériences orchestrales comme soliste au sein de l’Orchestre de Chambre de Lausanne. J’ai beaucoup aimé. 
Faire partie d’un orchestre a-t-il toujours été l’un de vos objectifs ?
Pas particulièrement. Vous savez, lorsqu’on est jeune, au conservatoire, on pense à se perfectionner, on passe des concours… Pense-t-on à devenir concertiste ? Bien sûr on aime jouer en soliste, mais sans avoir un plan de carrière. J’ai eu un contrat de 6 mois ; violon solo de l’Orchestre des lauréats du Conservatoire, peut-être cela a-t-il été un déclic ?
La musique de chambre alors, le concert, le professorat ?
La musique de chambre est une formation musicale très intéressante qui demande une grande exigence et un grand investissement personnel. Technique, musicalité, écoute des autres et connaissance du compositeur. Très jeune j’ai été confronté à ces exigences en jouant en duo avec ma soeur Da-Hee Kim, qui poursuit une belle carrière de pianiste, et je continue à apprécier ces échanges que l’on peut considérer comme des dialogues ou des conversations, l’on donne la parole, on écoute ou l’on s’exprime. En tant que concertiste le plaisir est différent, mais il peut être aussi un peu frustrant. Certes l’orchestre est là et partage une oeuvre avec vous, mais il est principalement là pour vous mettre en valeur et rares sont les moments où s’installe un dialogue ; d’ailleurs vous lui tournez le dos alors que ce que j’aime dans toutes les formes de musique est le partage. Dans les quatuors, les quintettes ou plus, faire partie d’un groupe et ressentir les vibrations de chaque instrument est un élément porteur, primordial même. Je ne m’étais pas particulièrement intéressé à l’enseignement jusque là mais en ce moment je remplace un professeur de violon au CNR de Marseille, anciennement super soliste à l’ Orchestre Philharmonique de Marseille d’ailleurs, et je dois dire que cela me procure un immense plaisir. J’ai de grands élèves et nous pouvons nous pencher sur l’interprétation, parfaire la technique, avoir un esprit d’analyse ; c’est une remise en question, un enrichissement aussi et pas seulement pour l’élève. Il y a dans ces rapports professeur, élève, un côté relations humaines qui m’intéresse beaucoup.
Vous êtes devenu très jeune le leader d’un grand orchestre comme le Philharmonique de Marseille, était-ce un choix, une envie de partager plus qu’imposer ses idées musicales ?
Evidemment, 23 ans c’est très jeune pour s’imposer comme leader mais je m’aperçois que j’ai fait le bon choix. J’étais en France depuis 12 ans et j’avais envie de faire partie d’un groupe. Mon objectif n’était pas d’imposer mais de rassembler. La musique est intemporelle, immatérielle et sans doute devons-nous rester  dans cette optique avec un respect mutuel qui ne tend qu’à servir cette musique. Il faut alors trouver le juste milieu et éviter toute tension ; tout comme les notes qui s’assemblent, il faut assembler chaque personnalité, chaque caractère des instruments… et des instrumentistes aussi (sourire). Il faut en fait trouver le bon équilibre qui fera ressortir les bonnes ondes, les bonnes harmoniques.
Pour vous le violon était-il plus évident qu’un autre instrument ?
Je n’ai pas essayé d’autres instruments, mais je dois dire que tout de suite je me suis senti à l’aise avec mon violon, cela ne me paraissait pas trop difficile et je progressais rapidement, toujours avec plaisir ; c’est très encourageant. Je n’ai aucun regret quant à mon choix. Peut-être étions-nous faits pour nous rencontrer? J’avais écouté Nigel Kennedy et je trouvais son jeu très original. mais je suis resté assez classique.
Avez-vous une musique, un compositeur préféré ?
Comme cela, à brûle pourpoint, je vous dirais la sonate pour violon et piano d’Edvard Grieg. J’aime ses phrases romantiques évidentes, la liberté d’expression dans l’instant. J’aime aussi la musique de chambre de Maurice Ravel pour l’écoute, le partage, mais aussi le romantisme de Brahms. Lorsqu’on travaille une partition on finit par en comprendre la musique et, même si l’on n’aime pas de la même façon toutes les musiques, on trouve les chemins qui les font apprécier. L’opéra, qui est loin de la musique de chambre est un art musical plus complet. Et, si l’on occulte les grands fortissimi, on peut y trouver, avec les voix des chanteurs, l’esprit de la musique de chambre avec les instruments qui se répondent.
Cela fait un long moment que vous êtes le super soliste de l’Orchestre Philharmonique de Marseille, comment vous sentez-vous dans cette maison avec ce mélange : concerts, opéras, avec la possibilité de jouer en soliste comme lors ce superbe concert à l’auditorium du Pharo ?
Oui, cela fait 9 ans maintenant et je dois dire que je m’y sens bien et tout à fait à ma place. J’aime l’ambiance au sein de l’orchestre, le travail et la musicalité de Lawrence Foster, le directeur musical, il a su insuffler chaleur et humanité, cela se ressent et distille une atmosphère que l’on ne rencontre pas obligatoirement dans tous les orchestres. L’ensemble de cette maison respire cette atmosphère au point que les chanteurs qui s’y produisent sont toujours heureux d’y revenir. C’est une maison où l’on se sent bien. Au-delà de l’atmosphère et du souci d’excellence, il y a le mélange des genres musicaux, opéras, concerts, des concerts de musique de chambre dans le grand foyer où les musiciens de l’orchestre ont l’opportunité de se produire en petites formations et pour moi, la possibilité de jouer en soliste accompagné par l’orchestre. Ainsi, le concert dont vous parlez où j’ai pu interpréter la sonate pour violon et piano de Maurice Ravel dans l’orchestration de Yan Maresz sous la direction d’un chef remarquable aussi, Michael Schonwandt, le 21 novembre 2021. Toutes ces possibilités, ces mélanges de musiques donnent une grande souplesse aux musiciens et à l’orchestre qui reste obligatoirement à l’écoute des chanteurs dans les opéras ou les récitals. C’est aussi une large ouverture sur les répertoires.
Le choix des chefs d’orchestre est-il important dans le plaisir et l’interprétation ?
Le plaisir éprouvé dans l’interprétation d’une oeuvre ne vient pas simplement de la partition, il vient principalement du chef d’orchestre. Le choix du chef est primordial, je ne dirais pas que les musiciens d’un orchestre jouent moins bien avec certains chefs. Non ! Car chaque musicien donne toujours le meilleur de lui-même, mais il y a des chefs qui fédèrent, qui dégagent un certain fluide qui donne l’envie d’aller plus loin dans une certaine liberté même, car ils vous portent et vous transportent à travers l’oeuvre. Le public ne pense pas toujours combien le rapport entre chef et orchestre peut être fusionnel et pour nous, musiciens, le plaisir peut être totalement différent. Connaissez-vous cette plaisanterie : quand le concert est réussi c’est grâce au chef d’orchestre, quand il est raté, c’est la faute de l’orchestre ? Eh bien ! C’est faux.Quand un concert est moins réussi c’est simplement que la fusion ne s’est pas faite.
Pouvons-nous vous considérer comme un violoniste heureux ?

Absolument. Très heureux même. En dehors du fait que la musique rend heureux, j’aime mon orchestre, j’aime la liberté de pourvoir évoluer dans différentes formes de musique, opéras, concerts, soliste ou musique de chambre et maintenant enseignement. Je pense avoir fait les bons choix avec des plaisirs toujours renouvelés. Je continue le duo Aïnos avec ma sœur Da-Hee Kim, qui poursuit une brillante carrière de pianiste, ou en trio avec mon épouse Nao Shamoto au violoncelle. Nous avons interprété une musique de Thierry Pécou,  Soleil feu: a été composée pour le concours international de musique de chambre de Lyon en 2014 où notre duo a obtenu le 2ème prix et nous préparons une musique, que l’on pourrait qualifier de musique écologique. Cet été, en juillet/août, je donnerai des enseignements dans le cadre de l’académie “Nuits pianistique” et j’interpréterai le magnifique concerto pour violon et orchestre d’Erich Wolfgang Korngold à Marseille, la saison prochaine, avec mon orchestre, le Philharmonique de Marseille, toujours en compagnie de mon violon Jean-Baptiste Vuillaume (Paris 1840), mon compagnon fidèle depuis 6 ans.
Merci Da-Min pour ce moment musical partagé avec les lecteurs de GBopera.