Entratien avec le tenor Enea Scala

Après avoir interprété le rôle d’Arnold dans l’opéra “GUILLAUME TEL” de Gioachino Rossini, Enea Scala prend à bras le corps le rôle de Rinaldo dans l’opéra “ARMIDA” du même compositeur. Après le vif succès de la Première, Enea Scala partage, avec les lecteurs de GBopera, un moment de musique et de convivialité.
Vous avez souvent chanté à l’Opéra de Marseille et le public marseillais ainsi que les lecteurs de GBopera connaissent bien le chanteur. Mais, afin de faire plus ample connaissance, parlez-nous de votre parcours musical.
Je suis né en Sicile et j’ai grandi à Raguse plus exactement, dans une famille qui aimait la musique et l’opéra. Mon père, autodidacte, jouait de plusieurs instruments et principalement de la guitare. En Sicile on est souvent imprégné de musique folklorique et cela m’a amené à écouter des musiques diverses. Ma sœur étudiait le piano et j’ai moi-même intégré un Chœur polyphonique. J’aimais déjà les voix, cela m’a donné le sens de la musicalité et surtout, l’envie d’aller plus loin pour apprendre à bien chanter. C’est ainsi que je suis allé à Bologne et que j’ai plus tard présenté le concours d’entrée au conservatoire.
Quand avez-vous su que vous seriez chanteur ?
J’ai tout d’abord écouté des enregistrements, j’aimais l’opéra et les voix des grands chanteurs. Mais travailler sa voix au conservatoire, avoir une technique et des bases solides est un parcours difficile. A l’âge de 2O ans, j’ai réalisé qu’avec l’italien, ma langue maternelle, chanter l’opéra me paraissait non seulement évident, mais aussi plus facile. J’ai alors décidé d’appendre la musique très sérieusement. Le piano, le solfège ; avoir une voix, des notes n’est pas suffisant, il faut fournir un énorme travail et à partir de là commencent les difficultés ; je dois reconnaître qu’il y a parfois des moments d’abattement.

Vous venez d’interpréter, à la suite, deux rôles réputés difficiles dans des opéras de Gioachino Rossini. Est-ce un challenge, une expérience ?
Vous savez, se produire sur scène est toujours un challenge. Mais je n’aurais pas pu enchaîner ces deux rôles si je ne les connaissais pas très bien avec déjà l’expérience de la scène. Je connaissais chaque difficulté, chaque passage délicat, cela me permet de les anticiper vocalement et physiquement aussi. Car, il ne faut jamais oublier que la voix ne vient pas toute seule, le corps, la musculature participent à l’émission et vous devez ajouter à cela le côté théâtral et émotionnel. Avoir déjà vécu et éprouvé tous ces sentiments sur scène diminue le stress et procure une certaine aisance. Les rôles d’Arnold (Guillaume Tell) et Rinaldo (Armida) sont des rôles difficiles vocalement, mais il faut aussi une belle endurance physique. Il y a eu ici un facteur déterminant. “Armida” se joue en version concertante, il y a donc moins de répétitions et pas du tout de mise en scène. L’on peut donc se concentrer uniquement sur la voix.
Quelles sont les rencontres qui vous ont aidé ou marqué ?
Sans conteste la rencontre avec le maestro Alberto Zedda. Il est certainement l’homme le plus important dans ma vie musicale et le début de ma carrière. En plus d’être un homme merveilleux et un grand humaniste, c’était un spécialiste de Rossini et j’ai accompli avec lui un énorme travail qui m’a servi et me servira tout au long de ma carrière. C’était aussi un homme de grand savoir qui aimait la musique et la transmission. Il m’a appris à m’exprimer sur scène et certainement à me dépasser. J’ai travaillé avec lui à l’Académie de Pesaro et débuté sous sa direction en 2009 dans “Il viaggio a Reims” de Rossini toujours. Mais plus récemment, alors qu’il était très âgé, mais avait conservé cette vigueur que donne l’amour de la musique, j’ai eu la chance d’interpréter Rinaldo (Armida) en 20015 à l’Opéra de Gand et Pylade (Ermione) en 2016 à l’Opéra de Lyon. Des moments exceptionnels.
Est-il pesant d’être cantonné dans un certain répertoire, s’y ennuie-t-on ou découvre-t-on toujours des choses nouvelles ?
S’y ennuyer, je ne pense pas car on est toujours en recherche d’une certaine perfection. C’est le cas de Juan Diego Florez. Mais personnellement j’aime les différents langages musicaux. Ma voix me le permet je pense et ma personnalité aime à s’exprimer dans des voies différentes, mais aussi avec une voix différente.
Vers quels compositeurs aimeriez-vous aller et y-a-t-il des rôles qui vous font rêver ?
Le belcanto bien sûr, mais j’apprécie aussi “Les Contes d’Hoffman” de Jacques Offenbach. J’aime les compositeurs français et chanter en français, j’ai beaucoup étudié cette langue. Mais il faut être prudent, ne pas commettre d’erreur, choisir des rôles justifiés par la couleur de la voix. Je dois d’ailleurs interpréter Raoul de Nangis dans ‘Les Huguenots de Meyerbeer en 2022. Mais j’aimerais Gounod, Faust peut être. J’aime les découvertes ; mais un rôle qui me fascine est l’Enea de l’Eneide de Virgile. Alors, oui, “Les Troyens” d’Hector Berlioz est un ouvrage qui m’a toujours fait rêver.
La technique est-elle la même lorsqu’on chante Rossini ou Verdi, Alfredo (La Traviata) par exemple ?
Non, pas tout à fait. Si les bases du chant sont les mêmes, la technique et le placement de la voix changent car l’expression n’est pas la même. Verdi demande plus de legato alors que Rossini demande des colorature. Certaines phrases dans Verdi exigent une longueur de souffle avec un bon soutien musculaire alors que dans Rossini les sauts d’intervalles sont nombreux avec une grande agilité vocale. Cela demande une préparation.
Le caractère du personnage a-t-il une influence sur votre façon de chanter ?
Oui, certes ; il faut changer la couleur de la voix, c’est un investissement scénique aussi. Un rôle de méchant demandera une voix plus sombre, avec d’autres appuis. J’aime d’ailleurs ces rôles de méchants qui sont moins distribués pour les ténors que pour les voix graves. Il faut une technique solide pour tous ces changements.
Etes-vous sensible aux choix des chefs d’orchestre ?
C’est très important pour un chanteur. Outre qu’il faut déjà une communion dans la conception musicale de l’ouvrage, il faut qu’un chef d’orchestre aime les voix, mais aussi les chanteurs, qu’il sache les diriger et accepte certaines concessions suivant les possibilités de chacun. Il faut qu’un chef d’orchestre reste positif pour la réussite du spectacle. Il n’y a pas d’un côté le chanteur, de l’autre le chef d’orchestre. Ce sont deux artistes qui travaillent ensemble.
Cette période de pandémie a-t-elle été particulièrement stressante ?
Une période terrible très certainement. Sans parler de la perte d’argent, le stress de cette période qui semblait ne jamais finir, le manque de contact avec le public même si l’on avait des enregistrements, des streaming, et le pessimisme ambiant ont pesé sur le moral des artistes. Mais je reste optimiste et nous croisons tous les doigts.
Merci monsieur Scala pour ce moment partagé avec les lecteurs de GBopera et bon succès pour les représentations à venir.