Toulon, Opéra de Toulon saison 2021/2022
DON GIOVANNI
Dramma giocoso en 2 actes, livret de Lorenzo da Ponte, inspiré du mythe de Don Juan
Musique Wolfgang Amadeus Mozart
Donna Anna ANAÏS CONSTANS
Donna Elvira MARIE-EVE MUNGER
Zerlina KHATOUNA GADELIA
Don Giovanni GUIDO LOCONSOLO
Don Ottavio ALASDAIR KENT
Leporello PABLO RUIZ
Le Commandeur RAMAZ CHIKVILADZE
Masetto DANIEL GIULIANINI
Orchestre et Chœur de l’Opéra de Toulon
Direction musicale Jordan de Souza
Piano-forte Iakovos Papas
Chef de chœur Christophe Bernollin
Mise en scène & lumières Daniel Benoin
Décors Jean-Pierre Laporte
Costumes Nathalie Bérard-Benoin
Vidéo Paul Correia
Toulon, 14 octobre 2021
L’Opéra de Toulon présentait Don Giovanni, l’œuvre emblématique de Wolfgang Amadeus Mozart, en ouverture de saison avec pour seule contrainte sanitaire covid 19 de maintenir les choristes, avec une certaine distance, dans les loges d’avant-scène. Une production Opéra Nice Côte d’Azur. Nous assistions en ce jeudi 14 octobre à la dernière représentation. Un spectacle bien rôdé musicalement et scéniquement. Beaucoup d’entrées, de sorties, de masques, de changements de lieux rendent souvent la mise en scène assez délicate à mettre en place. Le propos du metteur en scène Daniel Benoin, qui signe aussi les lumières, est basé sur la dissolution des mœurs, de Don Giovanni lui-même, mais pas que; seul Don Ottavio et sans doute Donna Anna échappent au libertinage ambiant. Une direction des acteurs vive, soignée et rythmée qui va au-delà du livret de Lorenzo da Ponte, mais reste certainement dans la lignée des écrits du marquis de Sade ou des Liaisons dangereuses de Pierre Choderlos de Laclos dans un XVIIIe siècle finissant. D’ailleurs, autre libertin reconnu, Giacomo Casanova aurait été paraît-il dans la salle lors de la création de cet opéra le 29 octobre 1787 à Prague. Epoque que l’on retrouve sur scène dans les décors de Jean-pierre Laporte ou les costumes de Nathalie Bérard-Benoin. Costumes seyants, agréables à l’œil dans des tons clairs, mais si semblables que l’on a des difficultés au début à savoir qui est qui. Parti-pris du metteur en scène pour une similitude de caractère des personnages ? Le décor : une grande pièce aux teintes claires avec moulures, tableaux, pièce cossue avec quelques chaises et de nombreuses portes qui font craindre un instant de se retrouver dans la pièce de “Georges Feydeau ” les portes claquent “. Mais non, ici l’important ne sont pas les portes mais le lit. Un lit immense qui prend toute la scène, où tout se joue, où tous se rencontrent. Une scène un peu fourre-tout en somme. Si, grâce aux jolis costumes et aux teintes claires l’œil est satisfait, le méli-mélo des couples qui se font, se défont, ou les scènes de débauche des invités de la noce dans cet immense lit nous laissent dubitatifs. Peu d’esthétique et peu de cohérence. Tout commence et tout finit par un Don Giovanni masqué, couché mort dans ce lit. Entre ces deux images, le récit de sa vie. Les lumières sont agréablement choisies et les vidéos de Paulo Correia nous emmènent en Espagne dans des paysages désertiques où passent quelques toros, dans une orangeraie ou dans les flammes de l’enfer où apparaissent les visages démultipliés de Don Giovanni ou du Commandeur. Dans cette mise en scène qui se veut originale mais sans grand génie, nous nous concentrerons sur la musique et sur les voix. Mis à part le Commandeur de Ramaz Chikviladze qui a l’âge et la voix du rôle, une solide voix grave et sonore aux vibrations qui font trembler Leporello, le reste du cast est jeune avec peut-être une préférence pour les voix féminines. La Donna Anna d’Anaïs Constans est convaincante par le jeu et par la voix. Une voix ample et bien placée au timbre agréable dans un joli soprano sensible, délicat dans son air “ Non mi dir ” mais avec force caractère lorsqu’elle chante “ Or sai chi l’onore ” avec des aigus puissants. De jolis duos avec Don Ottavio, phrasé et style mais force aussi dans les ensembles vocaux. Dans cette mise en scène Marie-Eve Munger est une Donna Elvira très agitée ; ses sentiments exacerbés l’amèneront à menacer d’un couteau l’odieux Don Giovanni. Malgré sa colère et sa frénésie, la soprano québécoise nous propose de jolis moments de chant avec une voix assurée aux belles prises de notes dans des vocalises légères. Un très sensible “ mi tradi quell’ alma ingrata “ devant des vidéos d’un Don Giovanni démultiplié et de beaux aigus seront très appréciés. Agréable Zerlina de la soprano russe Khatouna Gadelia. Une voix claire et homogène aux notes bien amenées. Une zerlina piquante mais qui apparaît violée malgré ses hésitations par un Don Giovanni en pleine possession de ses moyens. C’est avec impertinence qu’elle ôtera les doutes du jaloux Masetto avec un ” Batti batti o bel Masetto ” chanté à l’acte II dans une étreinte assez osée. Du style dans une mise en scène qui en a peu. Face à ce trio féminin de voix aiguës, un trio masculin de voix graves. Le baryton-basse Guido Loconsolo est Don Giovanni. Mort dans son immense lit un masque doré sur le visage, voit-il sur scène défiler une partie de sa vie ? Grand, de l’allure, il évolue avec prestance dans ce lit où tout se passe. Se couche, tue, viole, c’est selon. Si la voix paraît un peu rauque ou pas très puissante, ce n’est qu’au début. Guido Loconsolo chante bien, avec style ou charme. Son ” Fin ch’han dal vino ” est rythmé, puissant. Plus appuyé alors qu’il veut séduire dans son duettino avec Zerlina ” Là ci darem la mano “, mais c’est dans la canzonetta de l’acte II ” Deh vieni alla finestra…” qu’il charme dans un joli phrasé. Peu servi par cette mise en scène, le baryton-basse arrive à imposer son personnage avant d’être entraîné dans les flammes. Si le Leporello de Pablo Ruiz manque un peu d’éclat dans l’air du catalogue ” Madamina, il catalogo è questo ” il arrive à s’imposer devant son maître Don Giovanni par un jeu très présent et une voix agréable, sonore et projetée où s’expriment ses sentiments. Toujours en place rythmiquement il peut être amusant ou attendrissant dans une voix au timbre chaleureux. D’entrée Daniel Giulianini impose son Masetto jaloux et bouillonnant. Jeu à l’aise, voix solide, sonore aux graves colorés. Aucune faute de goût ou de style. Le baryton-basse italien donne du rythme à son personnage et du relief à la mise en scène avec une voix profonde, projetée dans une bonne diction. Belle interprétation. Seul ténor, Alasdair Kent défend avec un style très mozartien le rôle de Don Ottavio. Si sa voix n’est pas très puissante, il sait avec musicalité jouer avec les nuances et moduler sa ligne de chant pour des duos équilibrés avec Donna Anna. Deux airs simplement mais que l’on écoute avec un réel plaisir. L’aria de l’acte I ” Dalla sua pace …” est chanté avec charme et pureté de style : de jolies repirations, des aigus sensibles et tenus ou plus appuyés. Un moment en suspension. Plus sonore dans ” Il mio tesoro intanto…” à l’acte II. Le ténor australien, très applaudi, donne ici une leçon de style. Le Chœur de l’Opéra de Toulon, très bien préparé par Christophe Bernollin fait preuve d’une grande présence avec des attaques précises et une belle unité de son. Jordan de Souza est à la baguette. Le jeune chef d’orchestre canadien à la tête de l’Orchestre de l’opéra de Toulon dirige cet opéra avec élégance et musicalité dans une gestuelle souple et précise. Faisant ressortir les nuances et les instruments solistes, c’est dans un souffle tout mozartien qu’il fait vivre cette musique. Dans le respect des voix, des nuances et dans des tempi toujours justes, Jordan de Souza soutien les chanteurs et donne à ce spectacle une dimension musicale dans une belle pureté de style. Une mention toute spéciale à Iakovos Papas pour son piano-forte qui excelle dans les récitatifs pour un accompagnement parfait des chanteurs. Un spectacle agréable à regarder mais surtout à écouter.