Marseille, Opéra Municipal, saison 2021/2022
“GUILLAUME TELL”
Opéra en 4 actes, livret de Etienne de Jouy et Florent Bis d’après Johann Friedrich von Schiller.
Musique de Gioachino Rossini
Mathilde ANGELIQUE BOUDEVILLE
Jemmy JENNIFER COURCIER
Hedwige ANNUNZIATA VESTRI
Guillaume Tell ALEXANDRE DUHAMEL
Arnold ENEA SCALA
Melchthal THOMAS DEAR
Gessler CYRIL ROVERY
Rodolphe CAMILLE TRESMONTANT
Walter Furst PATRICK BOLLEIRE
Leuthold JEAN-MARIE DELPAS
Un pêcheur CARLOS NATALE
Un Chasseur THOMAS HAJOK
Orchestre et Choeur de l’Opéra de Marseille
Direction musicale Michele Spotti
Mise en scène Louis Désiré
Décors/Costumes Diego Méndez-Casariego
Lumières Patrick Méeüs
Nouvelle production
Nouvelle production
Marseille, le 12 octobre 2021
Le 12 octobre était une date très attendue par les amateurs d’opéra marseillais et venus d’ailleurs aussi. Elle annonçait l’ouverture de la saison de l’Opéra de Marseille 2021/2022 avec le retour du public. Même si l’on dit que la pandémie n’est pas terminée, même si les restrictions sanitaires sont encore là, c’est une grande bouffée d’oxygène pour les artistes et pour les spectateurs. Une gageure, un challenge auxquels le directeur général de l’Opéra de Marseille Maurice Xiberras voulait croire. Certes, cela s’avérait compliqué surtout pour un ouvrage tel que Guillaume Tell qui n’avait plus été représenté ici depuis 1965. Ouvrage monumental ! Le dernier opéra de Gioachino Rossini, voulu par le compositeur pour être un modèle du grand opéra, sans les vocalises aériennes, les ornementations mais avec le dramatique d’une orchestration quasi symphonique. Alors, se présentait le problème : comment avec les règles sanitaires, faire entrer tous les musiciens dans la fosse ? Le chœur, pas de mouvements de foule, un ballet ? Impossible. Après quelques discutions avec le chef d’orchestre pour qui une réduction d’orchestre était impensable, on allait disposer l’orchestre au parterre en enlevant quelques rangées de sièges et l’on descendrait un peu l’harmonie afin que les cuivres gardent leur éclat sans trop dominer. Les chanteurs seraient très souvent en avant-scène, mais le chœur en distanciation, le ballet ? Un casse-tête pour le metteur en scène. Pas de ballet mais des pantomimes, et un chœur autour de la scène à des hauteurs différentes. Avec ces aménagements et une recherche rigoureuse de la balance sonore, l’on pouvait dire pari gagné à l’issue de la représentation, avec les applaudissements fournis, les bravi et les nombreux rappels. Bien sûr il y a toujours quelques grincheux pour demander un ballet, pour réclamer plus de ceci ou de cela, Mais Louis Désiré a adapté sa mise en scène avec les moyens qui lui étaient octroyés. Pas de fresque monumentale, mais un Guillaume Tell plus intimiste basé sur le caractère et les sentiments des personnages. Un Guillaume Tell particulier mais qui séduit avec une direction des chanteurs très soignée. Pas de fresque médiévale mais une vision plus intemporelle des sentiments où l’oppression et l’avilissement des peuples sont de toutes les époques. Pas de ballet mais une pantomime de noces dans le village. Sur une musique festive trois couples à marier esquissent quelques pas de danse sous un voile blanc. Le peuple oppressé par un Gessler tyrannique nous montre ces jeunes couples avilis, moqués, obligés de danser devant les sbires du tyran. Quelques personnes choquées dans la salle ? L’on se demande bien pourquoi ; rien n’est hors de propos et bien loin de certaines mises en scènes que l’on a pu voir ces dernières années de par le monde. Sans être choqués, nous avons trouvé là une mise en scène qui va à l’essentiel dans un narratif et un visuel qui suivent le texte sans aucune exagération. Louis Désiré a pour credo de nous montrer ce qui est avec un minimum d’extrapolation. Cette nouvelle production rend l’opéra compréhensible dans le respect des exigences sanitaires. Assez minimalistes les décors de Diego Méndez-Casariego qui a conçu aussi les costumes. Des blocks de bois que l’on bouge selon les besoins faisant appel à l’imagination. Enceintes de la ville, du palais de Gessler, ou simples lieux de vie qui animent la scène, vidéos de sommets enneigés, effets d’eau pour simuler le lac, barque miniature ou sortes de galeries d’où chante le chœur. Des costumes modernes mais sans grande connotation. Longues robes pour Hedwige, long manteau seyant pour Mathilde, costumes pour les hommes ou manteau pour Guillaume Tell. Les plus marqués seront ces longs manteaux noirs pour Gessler et ses sbires, référence immédiate à l’occupant. Un gros rocher doré suspendu au-dessus du peuple donnera cet aspect du danger imminent, telle une épée de Damoclès prête à tout anéantir. Patrick Méeüs a imaginé ses lumières pour faire ressortir certaines atmosphères, créer les ambiances ou pour mettre le chœur en relief, mais toujours de façon poétique. Les couleurs dorées adoucissent certaines scènes ou conservent l’inquiétude. Lumières bleutés sur l’effet d’eau, clairs obscurs ou lumières blanches rasantes font partie, en lien avec la musique, des climats qui animent les propos et rendent le visuel très attrayant. Trois artistes qui travaillent ensemble dans une même direction avec pour but la compréhension de l’opéra dans ce qu’il a de plus concret tout en faisant appel à l’imagination. Dans cette vision de la scénographie, le plateau se devait d’être très homogène et très présent. Les chanteurs ont su passer au-dessus de l’orchestre dans un jeu qui a capté l’attention tout en rendant cette atmosphère lourde voulue par le metteur en scène. Alexandre Duhamel est ce Guillaume Tell, humain et guerrier à la fois, dont la voix exprime ses sentiments ; la peur pour son fils “Sois immobile…” puis émouvant ” Je ne vois plus, je me soutiens à peine…” Acte III. Si les graves du début semblaient un peu faibles, il a très rapidement pris ses marques pour imposer sa voix solide au medium chaleureux et puissant et aux aigus sonores et éclatants. Sa prestance scénique marque le personnage mais c’est par les inflexions de sa voix, la ligne de chant, le timbre rond et projeté que le baryton français, qui chante ce rôle pour la première fois, doit son succès. Seul, en duo ou en trio, Alexandre Duhamel est le pilier sur lequel repose l’ouvrage. Voix solide aussi, dans un festival de contre-ut, celle d’Enea Scala qui aborde le rôle d’Arnold dans la nouvelle tradition des voix de poitrine, loin du falsetto de sa création. Voix claire, directe et puissante, aucune baisse d’intensité dans une diction parfaite. Enea Scala projette sa voix avec vaillance, la modèle dans ses doutes et charme lorsqu’il parle d’amour. Chanteur à l’aise, au chant élégant qui sait adapter sa voix aux situations, touchant en chantant ” Ô ciel je ne le verrai plus” mais lançant des “Aux armes !” de façon guerrière. Très beau duo d’amour d’une grande sensibilité. On l’attendait dans “Asile héréditaire…” pari gagné pour le beau phrasé, le soutien du souffle et la tension dans les sentiments. Enea Scala a trouvé comment chanter Rossini avec les accents du chant français. Nous attendons avec impatience de le retrouver dans “Armida”. Angélique Boudeville, que nous avions déjà applaudie la saison dernière dans Mimi (La Bohème) a gardé toute la finesse et la beauté de la voix. Elle est ici une superbe Mathilde avec une voix puissante dans les forte et d’une grande délicatesse dans les pianissimi. La soprano française nous donne une magnifique leçon de chant sans aucune faute de goût ou de style avec de superbes aigus tenus et colorés, une conduite de chant mélodieuse et une réelle qualité du phrasé jusque dans ses vocalises légères. Duo de charme avec Arnold dans une même esthétique musicale et grande tendresse dans la cabalette “Pour notre amour plus d’espérance…” acte III. Une somptueuse Mathilde vers qui vont les bravi pour une prise de rôle réussie. Annunziata Vestri est ici une convaincante Hedwige servie par une voix solide, bien placée, aux aigus assurés et au timbre chaleureux. Son allure dans un jeu sobre donne une grande prestance au personnage. La voix claire et percutante de la jeune soprano Jennifer Courcier anime le rôle de Jemmy avec pertinence. Des aigus assurés, une allure juvénile et une réelle aisance scénique font que l’on remarque et apprécie sa prestation. Dans cet ouvrage où les voix graves sont nombreuses, on remarque aussi la voix sonore de la basse Thomas Dear dans des récitatifs en place. C’est un Melchthal plein de sagesse dont la voix laisse résonner les graves, seul ou en quatuor. La voix de basse de Cyril Rovery est tout à fait adaptée au rôle de Gessler. Personnage inquiétant et glaçant. Avec de belles prises de notes des graves sonores, des aigus projetés et une grande prestance, Cyril Rovery impose son personnage. Autre voix de basse, celle de Patrick Bolleire qui est un Walter sonore dont la voix projetée résonne dans de beaux graves ou des aigus puissants. Le pêcheur du ténor Carlos Natale est percutant. Sa voix claire aux aigus projetés passe au-dessus de l’orchestre dans une belle diction sans forcer ; moment de fraîcheur accompagné par les harpes. Camille Tresmontant est un Rodolphe à la voix de ténor incisive et projetée dans un jeu à l’aise. Sonore, en place, Jean-Marie Delpas projette sa voix de baryton dans une diction parfaite tout en donnant du caractère au personnage de Leuthold. Dans ce cast bien choisi et homogène, l’on remarque aussi la voix grave du Chasseur de Thomasz Hajok venu du chœur. Un Chœur puissant malgré sa disposition et la distanciation. Chœur de femmes percutant, chœur d’hommes sonore et très en place ou chœur mixte aux attaques précises et projetées, admirablement préparé par Emmanuel trenque qui a su trouver une homogénéité et une belle profondeur dans les sonorités. Mais ce succès aurait-il eu lieu sans la baguette précise et néanmoins musicale de Michele Spotti ? Ce jeune chef d’orchestre italien a su détourner les problèmes en points forts. Pas facile avec cette disposition de doser les sonorités, de faire ressortir certains instruments sans écraser les chanteurs ou assourdir les spectateurs des premiers rangs. Mais l’intelligence et la souplesse intellectuelle de Michele Spotti ont fait des miracles avec un résultat époustouflant qui, tout en laissant passer les chanteurs a mis l’orchestre en valeur. Dès la longue ouverture (12 minutes), sous forme de poème symphonique, l’on est pris par cette musique expressive et narrative dans des tempi justes et soutenus.Long solo du cor anglais de Marc Badin dans des sonorités chaleureuses, de la flûte percutante de Virgile Aragau ou son velouté et sensible du violoncelle de Xavier Chatillon qui entraîne le quintette de celli dans de longues phrases apaisantes ou encore explosion de l’orchestre avec ses cuivres éclatants. Michele Spotti est à l’aise dans une gestuelle élégante et énergique, il dirige un orchestre réactif, heureux de jouer, fait ressortir la précision des archets, sait suspendre le souffle dans des respirations expressives ou doser les sons des trompettes incisives. Une réussite musicale tout au long de l’ouvrage. Le public ne s’y est pas trompé qui lui a réservé, ainsi qu’à l’orchestre, une ovation très méritée. Une première très attendue mais très réussie, avec de longs, très longs applaudissements. Photo Christian Dresse