Aix-en-Provence, Théâtre de l’Archevêché, saison 2021
“LE NOZZE DI FIGARO”
Opéra buffa en 4 actes, livret de Lorenzo Da Ponte, inspiré de la comédie de Beaumarchais, “Le Mariage de Figaro”
Musique de Wolfgang Amadeus Mozart
Figaro ANDRÈ SCHUEN
Susanna JULIE FUCHS
Il conte Almaviva GYULA ORENDT
La Contessa Almaviva JACQUELYN WAGNER
Cherubino LEA DESANDRE
Marcellina MONICA BACELLI
Il Dottor Bartolo MAURIZIO MURARO
Don Basilio/Don Curzio EMILIANO GONZALEZ TORO
Barbarina ELISABETH BOUDREAULT
Antonio LEONARDO GALEAZZI
Orchestre Balthasar Neumann Ensemble
Direction musicale Thomas Hengelbrock
Chœur du CNRR de Marseille
Cheffe du chœur Anne Perissé dit Préchacq
Mise en scène Lotte de Beer
Décors Rae Smith
Costumes Jorine van Beek
Lumières Alex Brok
Dramaturgie Peter te Nuyl
Aix-en-Provence, le 9 juillet 2021
Il semblerait que le Festival d’Aix-en-Provence ait eu envie de traiter l’amour sur un mode Buffa. Certes, aussi bien pour “Falstaff” que pour “Le Nozze di Figaro” le mode Buffa est annoncé. Mais ici, dans la mise en scène que signe Lotte de Beer, c’est écrit dans le programme de salle, le mouvement Me Too est pointé du doigt. Bien entendu, la pièce, que ce soit celle de Beaumarchais ou l’adaptation pour l’opéra de Lorenzo da Ponte, traite du droit de cuissage et du pouvoir des classes sociales. Mais si Mozart s’empare du sujet avec une certaine légèreté, l’accent est ici beaucoup plus appuyé malgré le comique allant parfois jusqu’à la caricature ; et si l’on se laisse facilement entrainer dans la première partie, les actes III et IV demeurent plus confus et souvent incompréhensibles, la scénographie ne jouant pas la lisibilité. Il est très difficile, dans une œuvre basée sur le comique de situations de conserver le rythme et l’intérêt jusqu’au bout. La seconde partie de l’ouvrage tire un peu en longueur et tourne vite à la confusion. Si Lotte de Beer pointe du doigt la condition féminine dans l’époque actuelle, elle veut le faire sur un mode comique allant parfois jusqu’à la farce. De nombreux gags, certains amusants, d’autres nettement plus lourds. Une saynète très comedia dell’arte anime l’ouverture, nous mettant immédiatement dans l’ambiance ; les couleurs sont vives et la course endiablée. C’est d’ailleurs ce rythme soutenu qui, tout au long de l’ouvrage, insufflera une belle énergie aux acteurs, entrainant aussi un public qui suit sans se poser de questions. On s’amuse et c’est le but. Les costumes conçus par Jorine van Beek suivent le propos de la mise en scène, simples et actuels, ou loufoques dans des couleurs vives. Les décors imaginés par Rae Smith sont agréables à l’œil est c’est un point positif. Deux pièces, la chambre conjugale et un salon, séparées par une buanderie où s’active Susanna, près de la Contessa pour la servir, mais près aussi du Conte qui essaiera de profiter de cette proximité. Deux immenses machines à laver le linge ; Cherubino s’y cache au milieu du linge sale et en ressort avec un jogging rétréci. C’est amusant mais enlève un peu de l’impact produit par la musique qui devient presque accessoire. Les portes claquent, sommes-nous dans une pièce de Georges Feydeau ? Peu importe, le rythme est là, les scènes s’enchaînent, la Contessa veut se suicider, un énorme gâteau trône au milieu de la scène…Au troisième acte un lit baroque se tient au centre d’une cage en verre. L’environnement est noir, éclairé par quelques néons. Tout se passe ici, urbi et orbi, les rendez-vous manqués, les vêtements échangés, les quiproquos. Des costumes bariolés et colorés nous emmènent dans un univers qui semble créé par Niki de Saint Phalle. Un énorme phallus se dresse derrière le lit et se gonfle jusqu’à devenir un arbre ; arbre de vie ? Toutes les femmes tricotent, même Barbarina, prise du pouvoir par les femmes, allusion aux tricoteuses dans la tribune de la Convention pendant la révolution française ? On aurait pu l’imaginer, mais non, c’est la dimension politique d’un mouvement qui nous vient d’Amérique. Mais que va faire Mozart en Amérique ? Le rythme est maintenu, effervescence et débauche dans la cage de verre et sur le lit. Bon, tout le monde se trompe et tout le monde se pardonne, même la Contessa pardonnera les frasques de son mari que l’on retrouve en sous-vêtements. Les lumières très bien conçues par Alex Brok participent aux ambiances, donnant certaines colorations aux scènes. Le public est heureux, il a passé trois heures dans une joyeuse confusion, sans doute grâce à un orchestre qui a entrainé chanteurs et spectateurs sans laisser souffler quiconque. Thomas Hengelbrok prend l’orchestre à bras le corps, sans baguette mais avec autorité et fait ressortir les nuances et les sonorités dans des inflexions toutes mozartiennes. Si l’on oublie quelquefois Mozart dans tout ce visuel, le maestro est là, avec ses rythmes, ses sonorités données par les instruments anciens qu’il met en relief, pour nous ramener à l’essentiel : la musique. Le plateau est homogène, et c’est un grand atout pour le succès du spectacle, avec une Julie Fuchs éblouissante dans le rôle de Susanna, du rythme, du style, une voix fraîche, lumineuse, délicate ou suave avec un jeu approprié dans une compréhension de la musique et de la scène. “Deh vieni non tardar” chanté avec beaucoup de charme nous entraine dans sa musicalité. La soprano américaine Jacquelyn Wagner est une Contessa tout à fait digne qui se tient en dehors de ces rythmes endiablés ; un peu dépressive mais pas abattue, elle nous propose une voix homogène au timbre chaleureux dans un style parfait. “Porgi, amor” en est une parfaite illustration. Le Cherubino de Lea Desandre est une véritable pépite de fraîcheur et de polissonnerie. La voix est jolie, délicate. La mezzo-soprano franco italienne ne cherche pas à imposer sa voix, elle la met au service de ce jeune garçon qui se cherche mais trouve un rôle à la hauteur de son talent. La Marcellina de Monica Bacelli est drôle sans exagération. Elle se sert de sa voix sonore de mezzo-soprano pour ce rôle de composition bien mené. La jeune soprano Elisabeth Boudreault est une Barbarina polissonne à la voix fraîche et au style approprié. Les voix masculines sont à l’unisson des voix féminines, ni trop ni pas assez, du style et une grande présence scénique et vocale. Andrè Schuen est un Figaro séduisant qui évolue avec beaucoup d’aisance. Il n’en fait jamais trop tout en marquant le rôle de sa voix grave de baryton. Son Air “Se vuol ballare signor contino” est chanté avec plus de légèreté, en rythme mais dans un timbre chaud et coloré et ” Non più andrai…” fait résonner ses graves dans une voix sonore qui ponctue une mise en scène amusante. Du style pour ce Figaro juste vocalement et scéniquement. Dans la mise en scène de Lotte Beer, le Conte de Gyula Orendt est moins suffisant. Toujours attiré par les femmes, toutes les femmes, mais souvent tourné en ridicule même si le personnage reste détestable. Le récitatif et Air est chanté dans une voix de baryton projetée avec assurance qui fait résonner graves et aigus avec énergie, ménageant les respirations qui respectent le style. Bien dans ce rôle, il est tout à fait à l’aise scéniquement. Dans cette production qui présente des voix homogènes, on apprécie la voix de basse de Maurizio Muraro pour un Dottor Bartolo en place et sonore, la voix de ténor percutante d’Emilio Gonzalez Toro pour un Don Basilio amusant dans son pantalon rayé et la voix de baryton sonore et bien placée de Leonardo Galeazzi pour un Antonio aux interventions remarquées. Le Chœur du CNRR de Marseille très bien préparé par Anne Périssé dit Prechacq donne du relief à ses interventions en place, aux attaques précises dans une belle unité de voix. Malgré une seconde partie un peu confuse, le public est séduit. Une Folle journée qui se transforme en folle nuit. Un grand succès.