Festival d’Aix-en-Provence 2021: “Tristan und Isolde”

Aix-en-Provence, Grand Théâtre de Provence, saison 2021
“TRISTAN UND ISOLDE”
Action en trois actes, livret de Richard Wagner
Musique de Richard Wagner
Tristan STUART SKELTON
Isolde NINA STEMME
Brangäne JAMIE BARTON
Kurwenal JOSEF WAGNER
König Marke FRANZ-JOSEF SELIG
Melot DOMINIC SEDGWICK
Ein Hirt/Stimme eines jungen Seemans LINARD VRIELINK
Ein Steuermann IVAN THIRION
London Symphony orchestra
Chœur Estoniann Philharmonic Chamber Choir
Direction musicale Sir Simon Rattle
Chef de chœur Lodewijk van der Ree
Mise en scène Simon Stone
Scénographie Ralph Myers
Costumes, concept original Mel Page
Costumes, créations additionnelles Ralph Myers, Blanca Anon Garcia
Lumières James Farncombe
Vidéo Luke Halls
Chorégraphie Arco Renz
Aix-en-Provence, le 11 juillet 2021
Nous n’avons pas raté le dernier métro, mais Simon Stone a lamentablement raté sa mise en scène, déclenchant une énorme bronca, le soir de la première. Pourtant, l’ouvrage de Richard Wagner ” Tristant und Isolde”, annoncé comme un événement, était attendu avec impatience. Des chanteurs au sommet de leur art avec le retour de Simon Rattle à la tête du LSO. Un événement, certes, mais pas dans le sens que nous l’espérions ; Tristan meurt dans une rame de métro, et Isolde chante le liebestod assise à côté de lui. Peut-on apprécier ces moments magiques de musique avec de telles images? Il nous semble qu’avec ces relectures, ces envies d’actualiser des ouvrages intemporels, les metteurs en scène affichent un superbe mépris pour le travail, la performance des artistes et du compositeur lui-même. Nous ne nous attarderons pas sur cette mise en scène que nous voudrions oublier pour nous concentrer sur la beauté de la musique et des voix. Premier sacrilège, l’animation sur scène pendant le sublime prélude. Avons-nous besoin d’une fête (Epiphanie avec échange de cadeaux) où un Tristan tromperait Isolde ? La scène se passe dans un appartement cossu qui deviendra l’intérieur du bateau qui conduit Isolde d’Irlande en Cornouailles et l’on aperçoit la mer derrières les baies vitrées. Le décor du premier acte est agréable à l’œil et laisse prévoir de beaux moments mais Simon Stone, le metteur en scène australien semble avoir voulu casser les codes et, au deuxième acte, c’est dans un vaste bureau open space que les deux amants se retrouveront pour une nuit d’amour. S’ils chantent sagement sans se toucher, des couples les représentant à diverses périodes de leur vie, s’accoupleront avec plus de frénésie ; jeunes, avec un enfant ou tardivement alors que Tristan est en fauteuil roulant. Mais, cerise sur le gâteau (si l’on peut dire), le troisième acte se déroule dans une rame de métro parisien, la ligne 11 qui va de la Porte des lilas à la station Châtelet. Les stations défilent, Tristan attend Isolde qui doit arriver de Cornouailles. Il mourra à son arrivée, station Goncourt peut-être et c’est assise à côté de lui, mort, qu’elle chante son liebestod. Le Roi Marke, entré à la station Hôtel de ville arrivera trop tard avec son message de pardon, Kurwenal aura tué Melot avant de se tuer lui-même. Simon Stone a basé sa mise en scène sur l’âge des chanteurs ; que serait maintenant ce couple mythique s’il avait survécu à la passion de la jeunesse après les disputes, les tromperies et les déceptions ? Nous avons un peu perdu Wagner au fil des stations de métro. Mais laissons là la mise en scène désastreuse et concentrons-nous sur la musique et les voix. Et la magie est là ! Si le LSO joue pour la première fois l’ouvrage en entier, cela ne s’entend pas. Le chef d’orchestre anglais Simon Rattle dirige merveilleusement, la puissance n’est jamais agressive et les longs moments de tendresse ou d’introspection mystique semblent suspendus. Magie d’un pianissimo qui se fait plus présent, des respirations qui amènent la puissance, longueur des archets du quatuor, clarté du hautbois, mystère du cor anglais ou de la clarinette basse, les notes se font attendre et participent à la tension. Avec des gestes larges et précis, le maestro guide son orchestre tout au long de l’ouvrage, sans aucune baisse de tension, soutenant les chanteurs, chantant, respirant avec eux. Simon Rattle est un orfèvre qui magnifie la musique. La ligne musicale est quelquefois tendue mais dans un phrasé musical, dans un tempo qui laisse respirer les notes et les intentions. Energie, puissance contrôlée, pianissimi que l’on écoute religieusement. Le chef d’orchestre a su trouver l’équilibre entre les sonorités, sculptant les sons ou créant la transparence d’une dentelle. Un long, très long moment de grâce ! Les costumes conçus par Mel Page, Ralph Myers et Blanca Anon Garcia habillent les chanteurs avec réalisme et élégance dans la conception voulue par le metteur en scène. Les lumières de James Farncombe éclairent les scènes avec à-propos respectant la scénographie de Ralph Myers et c’est avec une grande cohérence que Luke Halls anime les lieux et les atmosphères : mer agitée, ciel rougeoyant ou stations de métro qui défilent avec de belles vidéos. Sur le plan technique, tout est bien conçu. Plateau de rêve, sans doute le plus équilibré, dans une homogénéité de voix et une fusion complète des sentiments que nous ayons écouté jusqu’à ce jour. Nina Stemme est une Isolde somptueuse. Peut-on trouver mieux actuellement pour incarner cette amoureuse passionnée aux sentiments exacerbés ? Malgré une mise en scène qui ne met pas en valeur les sentiments, elle réussit à charmer et tenir en haleine un public à l’écoute de chaque note, de chaque respiration ; la voix est assurée jusque dans les piani ou forte dans des aigus lancés comme des imprécations. Quelle flamme dans cette voix, quelle rondeur de son et quelle musicalité ! Un duo d’amour passionné avec Tristan, alors qu’ils ne se touchent pas et qu’il nous faut une grande concentration pour ne pas être dérangés par l’agitation hors de propos qui règne sur scène. Deux voix qui s’accordent, inspirées par une même esthétique musicale. Un liebestod chanté dans un timbre coloré au vibrato soutenu. Stuart Skelton est le heldentenor qui convient parfaitement à Nina Stemme. Une voix puissante mais néanmoins mélodieuse qui vibre aux accents de la passion. Un timbre chaleureux soutenu par un vibrato maîtrisé. Pratiquement seul pendant un temps infini, attendant Isolde, chantant sa souffrance avec des aigus merveilleux et des changements de nuances dans une tessiture toujours tendue soutenu par le cor anglais aux notes comme une plainte, il nous enchante et nous fait vibrer. Ce troisième acte est un morceau de bravoure pour un ténor et Richard Wagner lui-même avait avoué, plus tard, qu’il était peut-être allé trop loin. Son dernier “Isolde ! ” fait trembler d’émotion. Un couple mythique, incarné par deux voix inoubliables. Jamie Barton est une Brangäne de rêve. Voix pleine, chaude, projetée, aux accents puissants, mais voix sensible aussi dans sa fidélité à Isolde. Duo équilibré des voix des deux chanteuses, couleur et volume. La mezzo-soprano américaine fait preuve d’une belle assurance dans une présence où énergie rime avec musicalité. Autre voix que l’on remarque aussi, celle de la basse allemande Franz-Josef Selig qui nous propose un König Marke irréprochable dans une voix grave et chaude aux belles nuances. Les attaques sont nettes et néanmoins sensibles et les aigus sonores restent mélodieux. Dans un monologue intense, le timbre de sa voix se fond avec les couleurs de la clarinette basse ou du cor anglais. Dans cette écriture vocale dense, la voix du Kurwenal de Josef Wagner s’impose avec puissance, sans dureté, aussi bien guerrière que mélodieuse dans la chaleur d’un baryton maîtrisé. Force et sensibilité. Voix de baryton aussi pour le Melot de Dominic Sedgwick ; voix au timbre agréable projetée avec énergie. Belles voix aussi, celle de Linard VrielinkEin Hirt, à la voix de ténor sensible, et celle du baryton Ivan ThirionEin Steuermann, à la voix claire. Il est à noter aussi les interventions du Choeur, très en place, voix homogènes aux attaques précises, préparé par Lodewijk van der Ree. Inoubliable distribution saluée par un public enthousiaste debout. On essaiera d’oublier au plus vite la mise en scène pour ne garder que les accents superbes de ce chant d’amour qui voulait se perdre dans le cosmos.