Aix-en-Provence, Théâtre de l’Archevêché, saison 2021
“SOLOTOI PETUSCIOK” (Le Coq d’or)
Opéra en trois actes, livret de Vladimir I. Bielski, d’après le Le Coq d’or, conte en vers d’Alexandre Pouchkine
Musique de Nikolaï Rimski-Korsakov
Le Tsar Dodon DMITRY ULYANOV
La reine de Chemakha NINA MINASYAN
L’Astrologue ANDREY POPOV
Le Tsarévitch Aphron ANDREY ZHILIKHOVSKY
Le Tsarévitch Gvidon VASILY EFIMOV
Polkan MISCHA SCHELOMIANSKI
Amelfa MARGARITA NEKRASOVA
La voix du Coq d’or MARIA NAZAROVA
Le Coq d’or WILFRIED GONON
Danseurs STEPHANE ARESTAN, VIVIEN LETARNEC, REMI BENARD, CHRISROPHE WEST
Chœur et Orchestre de l’opéra de Lyon
Direction musicale Daniele Rustioni
Chef de Chœur Roberto Balistreri
Mise en scène Barrie Kosky
Scénographie Rufus Didwiszus
Costumes Victoria Behr
Lumières Frank Evin
Chorégraphie Otto Pichier
Dramaturgie Olaf A. Schmitt
Aix-en-Provence, le 24 juillet 2021
En cette soirée du 24 juillet nous assistions, sous les étoiles du ciel de l’Archevêché, à l’avant dernière représentation du “Coq d’or” de Nikolaï Rimski-Korsakov. Cet opéra en trois actes, tiré du conte d’Alexandre Pouchkine, interdit par la censure, le gouvernement tsariste ayant vu dans cette œuvre une satire politique, ne sera créé qu’en 1909, un an après la mort du compositeur. Bien sûr, et cela est dit dans le prologue, ce conte, comme chaque conte a une morale, politique sans doute. Le Roi Dodon, roi lymphatique, dépassé par les événements, aimant dormir et gouvernant un royaume à l’abandon peut trouver son reflet dans bien des royaumes et à des époques diverses, mais la mise en scène de Barrie Kosky, même si elle laisse transparaître tous ces manquements, nous semble plus relever du côté onirique que politique. Nous regarderons cet opéra simplement comme un conte qui aurait pour but de divertir. Une production agréable à voir, avec une direction des acteurs assez élaborée même si elle est un peu minimaliste. La scénographie de Rufus Didwiszus nous présente, dans un décor unique, un paysage de steppe avec ses hautes herbes et un grand arbre mort où s’est juché le fameux Coq qui a perdu quelques plumes dorées au passage. Coq à forme humaine, tout doré, portant une chaussure à talon à un seul pied. Mais ne sommes-nous pas dans un conte ? Une charrette tirée par un cheval squelettique articulé transporte un Roi Dodon vindicatif sur le champ de bataille ; c’est très bien imaginé. Décor dans des tons d’estampes à l’encre de chine noire ou sorte de lavis qui va jusqu’aux teintes bleutés. Ces teintes à dominantes grises nous enveloppent et nous immobilisent dans cette histoire, comme hypnotisés. Les costumes de Victoria Behr vont des costumes gris contemporains portés par les deux Tsarévitchs à la robe scintillante moulée sur le corps de la Reine Chemakha et qui pourrait avoir appartenu à Marlene Dietrich. Coiffée de plumes de paon blanches, cette Reine belle et sensuelle n’aura aucune difficulté à séduire notre Roi Dodon vêtu, lui, d’un long caleçon crasseux, une couronne sur la tête, unique attribut de la royauté. Ce conte ci n’est pas basé sur le faste. L’armée est représentée par des têtes de chevaux noirs dont les pattes portent bas et jarretelles et même Polkan, le chef des armées porte une tête de cheval. L’Astrologue, long manteau gris et longue barbe blanche reviendra plus tard en habit coiffé d’un haut de forme. Amelfa reste dans ces teintes avec une longue robe noire. Un peu de couleurs dans les coiffes et les costumes, un peu déjantés, de certains choristes au dernier acte. Dans ces tons en grisaille, les lumières conçues par Franck Evin éclairent artistiquement les tableaux. Dorées ou plus crues mais jamais avec agressivité, participant des ambiances ou mettant en relief certains personnages. C’est avec cohérence que cette production nous entraîne, avec un grand plaisir, dans ce conte ; même les meurtres suggérés n’ont rien de choquant. Certes les cadavres décapités des deux Tsarévitchs sont pendus par les pieds à la branche de l’arbre, l’Astrologue, décapité par notre bon roi reviendra, tenant dans les mains sa tête parlante pour l’épilogue…Mais tout cela est traité sur le mode de la fable est fait plutôt sourire. Otto Pichier signe une chorégraphie amusante pour quatre danseurs, esclaves en pagnes, mais règle aussi quelques pas bien imaginés pour les pattes des chevaux. Pas de faste ni de déluge de couleurs mais une sorte de mystère et de temps comme suspendu. Au niveau des voix, un plateau bien choisi, homogène, jeu sobre de chaque chanteur mais très à l’aise dans les rôles. Dmitry Ulyanov, Roi Dodon, sorte d’Ubu Roi, virevolte avec son épée, plus pataud que grotesque. Nous l’avions apprécié en 2019 à l’opéra Bastille dans le rôle du Prince Galitski (Le Prince Igor). Il impose ici sa voix de basse jouant au chef, à l’amoureux ou à l’homme dépassé avec naturel et humour. Sa voix forte et projetée laisse ressortir les résonnances propres aux voix russes. Ses aigus sont puissants, sans forcer, avec des graves sombres et des phrases qui amènent de jolis phrasés. Il peut être amusant, touchant en essayant de danser, ou plus sauvage mais toujours dans une voix maîtrisée avec ces couleurs changeantes qui font ressortir sa musicalité. Une belle présence qui emplit la scène. Nina Minasyan est cette Reine Chemakha séductrice et sensuelle, qui se moque ou enchante pendant près de 40 minutes, telle Isolde avec Tristan ; elle chante d’une voix pleine et ronde de soprano dans une tessiture haute avec quelques notes super aiguës pour un chant cristallin. Ses vocalises orientalisantes, accompagnées par quelques notes jouées à la harpe et chantées dans une voix homogène charment le Roi Dodon, telle une Shéhérazade. Le public aussi se laisse bercer par la fluidité de son chant. Son joli vibrato lui permet de longues tenues dans la rondeur d’un timbre chaleureux. Une voix profonde mais néanmoins claire au phrasé délicat. Une performance qui ne laisse personne insensible. Margarita Nekrasova est une Amelfa qui impose sa voix grave et dramatique avec un médium sonore ou des aigus tenus. Dans un chant russe rythmé et projeté la voix de la mezzo-soprano, accompagnée par la clarinette, résonne puissante et homogène. Andrey Popov, que nous avions remarqué dans le rôle de Ierochka (Le Prince Igor) à L’opéra Bastille en 2019 nous livre ici un Astrologue dans une voix de ténor affirmée aux attaques percutantes, tranchantes même et au large ambitus. Sa voix haut perchée inquiétante, parfois nasale illustre à merveille ce personnage étrange à la longue barbe blanche qui sort Coq et plumes de son sac noir. D’une voix puissante projetée avec force il osera réclamer la main de la Reine Chemakha. Le Roi Dodon lui coupera la tête d’un coup de hache pour cette impertinence. Tête qui, même coupée, parlera pour l’épilogue. Vasily Efimov est ici le Tsarévitch Gvidon. Il faisait lui aussi partie de la distribution du Prince Igor dans le rôle d’Ovlour. Voix de ténor juste et claire qui passe sans forcer pour un rôle très court. Rôle très court aussi, celui du Tsarévitch Aphron, chanté par le baryton Andrey Zhilikhovsky. Voix grave bien placée, rythme et joli phrasé. Autre voix grave, celle de Mischa Schelomianski qui est ici un Polkan sonore sous les traits d’une tête de cheval. Voix ferme de basse russe, il projette aussi quelques notes aiguës et tenues. Chaque intervention nous laisse apprécier la chaleur de son timbre sombre. Maria Nazarova est la voix du Coq d’or chanté depuis les coulisses. Thème qui revient à chaque intervention dans une voix perçante et projetée pour des aigus tranchants. Le Chœur de l’Opéra de Lyon, bien préparé par Roberto Balistreri anime cet opéra avec beaucoup de pertinence. A l’aise sous les traits de chevaux avec pas gracieux de danse, ou en foule chamarrée, le chœur propose des voix homogènes, graves dans un chœur d’hommes, aux accents russes dans un chœur de femmes, et grande puissance pour le chœur mixte. Daniele Rustioni, à la tête de l’orchestre de l’Opéra de Lyon dirige cette fois sans baguette. Jouant les nuances, les changements rapides de tempi, tout en faisant ressortir les instruments solistes et les harmonies slaves. Dirigeant avec souplesse, il fait sonner son orchestre comme une formation de chambre. Violon solo, harpe, petite harmonie prennent la parole ou accompagnent les chanteurs avec de belles envolées au quatuor. Un pur moment de plaisir pour cet opéra qui clôture ce festival très divers et très réussi et tous points. Photo Jean-Louis Fernandez