Orange, Théâtre Antique, saison 2021
“SAMSON ET DALILA”
Opéra en trois actes et quatre tableaux, livret de Ferdinand Lemaire
Musique de Camille Saint-Saëns
Samson ROBERTO ALAGNA
Dalila MARIE-NICOLE LEMIEUX
Le Grand-Prêtre de Dagon NICOLAS CAVALIER
Abimélech, satrape de Gaza JULIEN VERONESE
Un messager philistin CHRISTOPHE BERRY
Un vieillard hébreu NICOLAS COURJAL
Le Premier philistin MARC LARCHER
Le Second philistin FREDERIC CATON
Orchestre philharmonique de Radio France
Direction musicale Yves Abel
Chœur de l’Opéra de Monte-Carlo
Chef de chœur Stefano Visconti
Chœur de l’Opéra Grand Avignon
Chef de chœur Christophe Talmont
Ballet de l’Opéra Grand Avignon
Ballet de l’Opéra-Théâtre de Metz Métropole
Mise en scène Jean-Louis Grinda
Costumes Agostino Arrivabeni
Lumières Laurent Castaingt
Chorégraphie Eugénie Andrin
Vidéo Etienne Guiol, Arnaud Pottier
Orange, le 7 juillet 2021
Le Théâtre Antique d’Orange est toujours là résistant aux pandémies, la statue d’Auguste nous saluant du haut du mur. En cette soirée du 7 juillet nous assistions à l’ultime répétition de “Samson et Dalila”, sorte d’avant-première à laquelle la presse était conviée et nous retrouvions les gradins avec un immense plaisir. La musique de cette œuvre biblique n’avait plus fait trembler les colonnes de ce temple du lyrique depuis 1978 quand avaient résonné les voix d’Elena Obraztsova et Plàcido Domingo. Programmé pour être donné l’an dernier, puis annulé, “Samson et Dalila” a été reprogrammé par Jean-Louis Grinda pour la saison 2021 et Roberto Alagna, absent des Chorégies depuis 6 ans, retrouve le chemin de cette immense scène pour le plaisir de tous les amateurs d’opéras. Jean-Louis Grinda signe la mise en scène ; encore marqué par les diverses annulations, et encore dans une situation sanitaire incertaine, il revoit sa copie et nous présente une scène vide, les lumières et les vidéos créant les atmosphères et illustrant les situations. Il est vraiment très difficile de meubler et faire une mise en scène cohérente sur un plateau aussi immense mais ici, pari réussi. Jean-Louis Grinda utilise au maximum les mouvements de foule avec la masse du Chœur, un chœur omniprésent mis en vedette par Camille Saint-Saëns qui en fait un protagoniste à part entière. Une mention spéciale pour les costumes créés par Agostino Arrivabeni en collaboration avec Françoise Raybaud. Costumes stylisés et assez somptueux sans être ostentatoires où et l’on ressent la patte du peintre Agostino Arrivabeni dans la recherche symbolique et la richesse des tissus. Des costumes qui contribuent au succès du spectacle, créant un décor visuel changeant. Les lumières appropriées de Laurent Castaingt créent les atmosphères et sensibilisent le public aux différents changements de climats. Fresque biblique certes, mais aussi drame intime où amour/vengeance lutteront jusqu’à la destruction. Lumières rouges, halos ciblés sur les personnages dans un univers plus sombre, c’est cette cohésion dans une même vision de l’œuvre qui va créer le spectacle avec l’aide des vidéos imaginées par Arnaud Pottier et Etienne Guiol. Ciel éclairé par des milliers d’étoiles qui englobe scène et mur créant une atmosphère onirique à l’Acte II, meule suggérée par des images de roue projetées sur le mur, et effondrement du temple lorsque les colonnes se brisent et engloutissent prêtres et philistins pour une destruction totale. Se référant au Livre des Justes, récit biblique qui nous raconte la naissance de Samson annoncée à sa mère inféconde par un ange, le metteur en scène nous propose un ange lumineux, sorte d’ange gardien qui guide Samson. Dans le rôle de Samson, le très attendu Roberto Alagna qui avait quitté la scène des Chorégies après avoir interprété Manrico (Il Trovatore) en 2015. Samson est le rôle qu’il souhaitait interpréter ici; c’est chose faite. Son allure n’a pas pris une ride et la voix reste affirmée, chaude, ronde. Toujours très à l’aise sur cette scène qu’il connaît bien il impose sa présence dès son entrée et l’on retrouve, dans cette tessiture qui lui convient, toutes les qualités qui nous ont séduits depuis de nombreuses années : beauté du timbre, phrasé musical, souffle, aigus colorés dans une diction parfaite. Ce que nous aimons aussi chez le ténor français c’est la sincérité de son chant et de ses personnages. S’investissant, il nous transmet ses sentiments ; on le sent guerrier, vainqueur, tourmenté par ses doutes, fragilisé par sa passion, réveillé par sa foi. Sur cette immense scène, Roberto Alagna a su, encore une fois, nous faire vivre de belles émotions musicales et nous espérons qu’elles ne seront pas les dernières ici. Marie-Nicole Lemieux, qui avait formé le couple mère/fils avec Roberto Alagna dans “Il Trovatore” en 2015, revient pour interpréter Dalila cette séductrice malfaisante qui allait causer la perte de Samson. Nous l’avions quittée dans le rôle d’Azucena et nous avions trouvé une ligne de chant pas toujours homogène avec des graves poitrinés. Rien de cela ce soir, elle est une superbe Dalila. Sa voix s’est affinée pour de belles prises de notes délicates. Elle chante “Printemps qui commence…” avec beaucoup de charme, nous propose des aigus mélodieux dans un duo équilibré avec le Grand-prêtre de Dagon et une voix qui reste claire dans son Air “Mon cœur s’ouvre à ta voix…” avec de belles respirations, soutenue par la clarinette. Si nous la trouvions assez sage au début, elle devient plus sensuelle dans son duo amoureux avec Samson. Mais elle sait aussi faire preuve de puissance dans des graves projetés ou des aigus éclatants. Une superbe Dalila avec beaucoup présence. Nicolas Cavalier est ici Le Grand-Prêtre de Dagon. Assez maléfique et manipulateur, il impose sa présence dans un jeu sobre à la diction projetée. Ses costumes somptueux renforcent son allure altière. Sa voix de basse bien placée reste sonore des graves jusqu’aux aigus sur une belle longueur de souffle. Nicolas Cavalier fait partie de ces chanteurs qui gardent leur personnalité vocale dans chacun des rôles avec une voix qui conserve la rondeur du timbre aussi bien dans la puissance que dans les piani dans une technique parfaite. Le baryton Julien Véronèse est un Abimélech qui passe de la raillerie à la colère avec une voix sonore qui fait trembler les prisonniers hébreux. Si le vibrato nous paraît un peu large, son interprétation rythmée aux notes projetées maîtrise et dynamise la voix. Un Abimélech inquiétant dans son superbe costume à la coiffe imposante. Autre voix grave, celle de la basse Nicolas Courjal. Bien dans ce rôle, bien dans sa voix, il semble avoir adouci sa projection dans les forte ce qui permet d’apprécier la couleur de sa voix dans chaque tessiture. Une voix sonore aux graves profonds pour ce vieillard hébreu qui met en garde Samson tout en gardant un phrasé musical. Dans des interventions très courtes, Christophe Berry (Un messager philistin), Marc Larcher (Premier philistin) et Frédéric Caton (second philistin) imposent leur présence et leurs voix. Les Chœurs de l’Opéra de Monte-Carlo et Grand Avignon très bien dirigés par le coordinateur des chœurs Stefano Visconti font ici une prestation remarquable et remarquée. Jolis mouvements de foule, attaques nettes, chant a cappella et puissance des voix homogènes. Parties de chants très lyriques écrites par Camille Saint-Saëns, et composées pour donner un rôle prépondérant au chœur. Après avoir imaginé un délicat ballet de jeunes filles, la chorégraphe Eugénie Andrin signe la chorégraphie de la bacchanale. Assez sobre finalement, avec un petit côté sauvage qui ne se lance pas dans un orientalisme trop prononcé, mais qui laisse aux danseurs la possibilité de s’exprimer librement. Yves Abel dirigeait l’Orchestre de Radio France. Sans baguette, il insuffle un style très français. Le quatuor nous semblait un peu faible dans l’ouverture attaquée dans un tempo un peu lent et, si les tempi restent dans l’ensemble assez lents, le maestro fera ressortir les couleurs qui sont nombreuses dans cet ouvrage jusqu’à une bacchanale orientalisante où cuivres et percussions sont à la fête. L’homogénéité des sonorités et les interventions des solistes, clarinette, violon solo, font ressortir les atmosphères jusqu’à la nostalgie qui accompagne le chant d’un Samson enchaîné. Superbe représentation qui commémore avec brio le centenaire de la disparition du compositeur et succès assuré. Photos Gromelle