Concert de reouverture de l’Opéra de Marseille

Opéra de Marseille, saison 2020/2021

Orchestre et Chœur de l’Opéra de Marseille
Direction musicale Roberto Rizzi Brignoli
Chef du Chœur Emmanuel Trenque
Soprano Helene Carpenter
Mezzo-soprano Sophie Koch, Laurence Janot
Ténor Florian Laconi
Baryton Florian Sempey
Basse François Lis, Jean Teitgen
Charles Gounod:Faust“, Ballet La Nuit de Walpurgis, Acte II La Kermesse, Acte IV L’Eglise. La Reine de Saba“, “Sous les pieds d’une femme” Air de Soliman Acte IV.
Hector Berlioz: “La Damnation de Faust”, “D’Amour l’ardente flamme” Air de Marguerite Acte IV
Marseille, le 11 juin 2021
Ce vendredi 11 juin restera dans les mémoires de nombreux mélomanes marseillais : premier concert donné à l’Opéra de Marseille en présence du public. Concert très attendu depuis la fermeture des salles de spectacles pour cause de pandémie et cela, depuis de trop longs mois. Toujours dans le souci d’honorer les contrats signés avec les artistes, le directeur général de l’Opéra de Marseille Maurice Xiberras, obligé d’annuler les représentations de ” L’Africaine” de Giacomo Meyerbeer, a tenu à organiser un concert avec la plupart des artistes engagés pour cet opéra, et encore libres à la date de réouverture. Un concert de musique française où Charles Gounod allait côtoyer Hector Berlioz. Pour le public marseillais venu nombreux, écouter les Airs et la musique du Faust de Gounod est toujours une fête. Bien entendu les règles sanitaires sont respectées mais le public marseillais n’a pas boudé son plaisir et pour preuve, les longs, très longs applaudissements où des mercis ont fusé. Le maestro Roberto Rizzi Brognoli, qui devait diriger L’Africaine monte avec allégresse sur le podium et entame la Valse de La nuit de Walpurgis. Dans un tempo modéré mais avec élégance, ce ballet sans danseur nous permet d’apprécier les sonorités rondes de l’orchestre, la légèreté des violons et la délicatesse des nuances. Le chef d’orchestre fait ressortir les intentions du compositeur qui, dans le contexte de cet opéra, crée le mystère avec les cuivres, la séduction avec les violons et les ricanements sataniques avec la petite harmonie. N’oublions pas que nous sommes chez Méphistophélès et que le divertissement qu’il donne est proposé avec certaines intentions…Si tout d’abord il tient à charmer, Satan reprend sa place dans un forte diabolique avec énergie et une force qui fait résonner les cuivres et déchaîne les violons pour un presto…endiablé. Une ouverture de concert qui déclenche les applaudissements. François Lis se présente, non pour entamer un Air de Méphistophélès de sa voix de basse, mais pour la cavatine de Soliman de La Reine de Saba de Charles Gounod. Un Air qui demande un large ambitus pour des aigus puissants et des graves profonds. François Lis chante avec beaucoup de présence l’air de ce roi blessé dans son amour mais empreint de dignité. Voix puissante au timbre chaleureux dans une belle conduite du chant et de la ligne musicale. Le solo de flûte, pour une phrase romantique, laisse ressortir les nuances et la longueur de souffle d’une voix projetée aux belles prises de notes piani. Une très belle interprétation. Retour vers Faust, mais celui d’Hector Berlioz (La Damnation de Faust) avec l’Air de Marguerite “D’Amour l’ardente flamme”Sophie Koch, que nous avions appréciée dans Luisa Miller il y a quelques mois est Marguerite. Nous retrouvons tout de suite l’écriture d’Hector Berlioz qui n’est pas celle de Charles Gounod, loin s’en faut. Dans un bon tempo sans trop de lenteur, le cor anglais joue avec musicalité cette phrase, Ô combien connue, dans la tessiture que la voix. Voix de mezzo-soprano chaleureuse qui laisse apprécier la couleur chaude et la rondeur du timbre. La mezzo française passe, dans une interprétation très investie, du legato au phrasé romantique ou à plus d’agitation mais toujours dans le soutien du souffle. Calme et volupté ! Le reste du concert allait être consacré au Faust de Charles Gounod pour le plus grand plaisir de l’auditoire. A Marseille, dans des temps pas si anciens, cet ouvrage faisait partie du répertoire et était programmé presque à chaque saison lyrique. Les extraits proposés ce soir allaient mettre en valeur non seulement les personnages et leurs diverses voix, mais aussi les passages les plus connus du Chœur, qui ont certainement contribué à la popularité de cet ouvrage. Un Chœur admirablement préparé par Emmanuel Trenque et qui fait ressortir chaque pupitre, hommes, femmes, ténors, dans la scène de la Kermesse de l’Acte II dans un tempo vif où ils se répondent avec autorité et puissance des attaques mais aussi avec plus de légèreté dans un tempo allant de valse. Le Chœur d’hommes “Gloire immortelle de nos aïeux…” remporte tous les suffrages avec des attaques sûres et une grande homogénéité des voix. Nous voici transportés dans les grands moments de l’art lyrique français. Prestation longuement ovationnée. François Lis est ici Wagner, voix grave posée avec autorité, timbre puissant et coloré, voix sonore et projetée qui ose, pour son malheur, s’opposer au diable. Florian Sempey, que nous avions apprécié dans le rôle de Figaro du Barbier de séville est Valentin. D’une voix homogène avec de jolies nuances, il chante avec aisance son Air “Avant de quitter ces lieux…” Beau phrasé, chant marqué, projeté avec puissance. Le timbre est coloré dans des tenues sur de belles longueurs de souffle. Florian Sempey explore et fait ressortir toutes les facettes de cette voix de baryton. Hélène Carpentier que nous avions entendue en 2018 dans “La Donna del lago” chante ici Marguerite. La voix a gardé son charme et sa fraîcheur et l’on peut apprécier, malgré des extraits relativement courts, la grande musicalité de la soprano française qui sait faire passer ses émotions dans la scène de L’Eglise de l’Acte IV. Inquiétude, fébrilité, sensibilité dans une voix bien placée aux aigus clairs, touchante dans sa prière elle est aussi terrassée par la malédiction d’un Méphistophélès qui s’acharne. Belle interprétation. Courtes aussi les interventions de Siebel chanté par Laurence Janot, bien connue du public marseillais. Toujours très en place, très professionnelle dans une voix juste et colorée, elle aussi malmenée par le diable. Peu d’interventions mais remarquées du Faust de Florian Laconi, dont la dernière interprétation de Barbe Bleue nous avait fait grande impression. Si nous n’avons pas eu droit aux airs toujours très attendus, nous pouvons tout de même apprécier sa voix colorée, projetée avec justesse dans un chant à l’aise jusque dans de superbes aigus clairs, tenus et joliment timbrés. Jean Teitgen est un Méphistophélès omniprésent. De l’allure certes, mais n’est-il pas le représentant de Satan ? Et s’il conduit le bal, il domine ici de sa voix de basse naturelle. Très remarqué dans le rôle de Timur (Turandot) en 2019, il est un Méphistophélès devant lequel tous s’inclinent. L’Air du” Veau d’or”, difficile d’interprétation, car demandant des aigus puissants et de graves profonds, impressionne. Puissance sans forcer, timbre coloré, aisance, conduite de la ligne de chant, musicalité et legato sont les qualités de cette basse sur laquelle il faut maintenant compter. Mais si son Air est admirablement chanté, chaque intervention est remarquable, juste et dans une projection naturelle et néanmoins élégante. Si ses “Marguerite, sois maudite” nous glacent le sang, force est de constater que nous sommes sous le charme. Le diable serait-il vainqueur ? Seule une croix le fait reculer. Un immense bravo du public subjugué. Musique française avec une distribution française. Une totale réussite pour ce concert un peu improvisé qui a réjoui le public qui, debout applaudissait encore et encore après la reprise d’un “Gloire immortelle de nos aïeux” chanté à pleine voix par tous les artistes. Une représentation qui fait chaud au cœur et nous fait prendre conscience, si ce n’était déjà fait, que la musique, le contact avec les artistes et le public sont choses essentielles. Merci pour le plaisir retrouvé. Photo Christian Dresse