Marseille, Opéra Municipal: “Les Pêcheurs de Perles”

Marseille, Opéra Municipal saison 2020/2021
“LES PÊCHEURS DE PERLES”
Opéra en 3 actes, livret de Michel Carre et Eugène Cormon
Version concertante et enregistrée
Musique Georges Bizet
Leïla PATRIZIA CIOFI
Nadir JULIEN DRAN
Zurga JERÔME BOUTILLIER
Nourabad PATRICK BOLLEIRE
Orchestre et Chœur de l’Opéra de Marseille
Direction musicale Gaspard Brécourt
Chef du chœur Emmanuel Trenque
Marseille, le 11 avril 2021
Toujours dans le souci de faire vivre la musique malgré la pandémie et d’essayer de respecter les engagements pris avec les artistes, l’Opéra de Marseille et son directeur général Maurice Xiberras, ont décidé de maintenir l’opéra de Georges Bizet “Les Pêcheurs de Perles”, qui était au programme de la saison 2020/2021, en vue d’une captation pour les archives de l’Opéra de Marseille. Prévue en version concertante, cet enregistrement ne subira donc que peu d’aménagements. Pour respecter les consignes sanitaires, les artistes du Chœur chanteront masqués du premier balcon de la salle et seulement quelques journalistes, masqué aussi, dont nous sommes, seront autorisés à assister au spectacle afin de comptes rendus. Nous nous sentons, certes, privilégiés et ne boudons pas notre plaisir tant ce plaisir fut intense. Sans mise en scène direz-vous ? Finalement, nous avons vu tant de mises en scènes extravagantes depuis quelques années – grâce soit rendue à l’Opéra de Marseille qui nous protège de ce virus – que nous trouvons certaines mises en scène non essentielles. En effet, elles dérangent souvent plus qu’elles n’apportent, et à la musique et aux spectateurs. En cet après-midi du 11 avril, la qualité des artistes suffit à notre bonheur et à celui de Georges Bizet très certainement. Un opéra français, cela fait plaisir. Mise à part Patrizia Ciofi qui a très souvent défendu le répertoire français, le reste de la distribution est francophone, même le chef d’orchestre. C’est dire si le style, les respirations, l’atmosphère même respecteront les inflexions de la musique de Georges Bizet qui signe là une de ses toutes premières œuvres. Les premiers accords nous plongent immédiatement dans la musique française du XIXe siècle. Patrizia Ciofi se coule immédiatement dans le rôle de Leïla, avec une voix claire mais solide aux aigus timbrés jusque dans les demi-teintes. Si sa voix de soprano sonne un peu plus mature, elle a gardé son expressivité et une légèreté qui projette avec sensibilité les ornements. Elle chante avec une si grande émotion que les images semblent défiler, même sans la mise en scène. Le charme et la musicalité de Patrizia Ciofi opèrent, que ce soit seule avec souplesse (cavatine de l’acte II, Comme autrefois dans la nuit sombre…), avec plus de force dans son duo avec Zurga, ou avec Nadir dans un même style, toujours très français ; même souffle, mêmes respirations. Quelle musicalité, quelle compréhension du rôle, quelle technique et quelle maîtrise de la voix ! La soprano italienne est ici remarquable. Justesse parfaite de chaque note, vibrato maîtrisé qui fait ressortir la beauté du timbre ; une Leïla d’une superbe musicalité et d’une rare beauté. Une interprétation de référence. Nous retrouvons avec un réel plaisir le ténor français Julien Dran que nous avions quitté en 2017 dans le rôle de Tebaldo (I capuleti e i Montecchi) de Vincenzo Bellini, sur cette même scène. La voix s’est affirmée tout en gardant sa fraîcheur. Elle passe claire, projetée dans une diction impeccable et un grand respect du chant français. Julien Dran maîtrise sa voix, ce rôle, et sa solide technique lui permet toutes les inflexions, les respirations et les nuances délicates contenues dans la partition. Habitué aux 9 contre ut qu’il chante avec facilité dans “La Fille du régiment” ses aigus sont ici à l’aise, tenus et jamais forcés et quelle délicatesse dans les demi-teintes ! Plus incisif dans un échange avec Zurga, il est d’une immense tendresse avec Leïla. L’on remarque la beauté du timbre et la musicalité du phrasé ; seul, dans La Romance de Nadir ou dans le duo célèbre de l’acte I avec Zurga (Oui c’est elle c’est la déesse…) mais aussi avec Leïla dans l’acte II (Ton cœur avait compris le mien…). Julien Dran est un chanteur qui procure de grandes émotions par la pureté de sa voix, mais aussi par la sincérité de son chant. Fils et petit-fils de ténors qui ont marqué le chant lyrique, la pureté de son style nous fait penser à Alain Vanzo souvent entendu à l’Opéra de Marseille dans ce rôle. Jérôme Boutillier est ici Zurga. Un Zurga qui s’impose d’entrée dans une voix de baryton sonore et timbrée mais qui sait aussi faire montre de souplesse dans des piani sensibles. En parfait accord avec Nadir pour leur célèbre duo de l’acte I, respirations, phrasé et style en osmose font entendre un duo inspiré sur le chant musical du violon solo. Le baryton français module sa voix homogène et projetée pour des aigus puissants ou des phrases plus sensibles. Ami sincère ou amoureux jaloux, sa colère éclate dans des forte impressionnants. Jérôme Boutillier est un Zurga d’une grande crédibilité. Sa voix large et soutenue des graves aux aigus lui permet les inflexions multiples qui animent ce personnage tourmenté. Une belle unité vocale pour ce trio sur lequel repose tout l’ouvrage. Patrick Bolleire que nous avions remarqué dans “Tosca” où il était Angelotti en février sur cette scène est ici un superbe Nourabad. La stature d’un grand prêtre, dans une voix sonore et projetée avec puissance. Avec beaucoup d’intelligence et de musicalité, la basse belge termine ce quatuor vocal homogène pour une interprétation pleine d’émotion. Le Chœur, toujours très bien préparé par Emmanuel Trenque donne les couleurs et les atmosphères qui ne sont pas créées visuellement. Chœur puissant, inquiet, chœur d’hommes, chœur céleste de femmes, avec de belles attaques pour un chœur en colère, mais qui sait aussi faire preuve de souplesse et de musicalité. Les artistes du chœur répondent aux injonctions du chef d’orchestre pour une interprétation juste et colorée. Le chef d’orchestre Gaspard Brécourt, petit-fils lui-même de chef d’orchestre dirige avec précision cordes et harmonie. Soutenant les chanteurs il insuffle les atmosphères et tient les tempi tout en laissant les instrumentistes accompagner les phrases chantées. On apprécie le son pur et sensible du violon solo appuyé par le contre-chant de l’alto solo, ou le thème (Oui c’est elle…) joué par la flûte solo. Mais la délicatesse, les respirations, n’excluent pas les nuances forte qui vont jusqu’au fortissimo, avec chœur et quatuor vocal, dans un impressionnant tutti final. Une interprétation si juste et si musicale que les quelques personnes qui étaient dans la salle, en sont sorties émues aux larmes. Et l’on aimerait pouvoir transmettre et partager ici les émotions éprouvées.