Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence, saison 2021
Piano Martha Argerich & Daniel Barenboim
Wolfgang Amadeus Mozart: Sonate pour piano à quatre mains en do majeur, K. 521; Claude Debussy: “Les Epigraphes antiques”;
Georges Bizet: “Jeux d’enfants” op. 22
Aix-en-Provence, le 6 avril 2021 en streaming
Un pur moment de bonheur ! Moment hors du temps qui nous ramène à l’époque où aller écouter un concert était essentiel, où acheter un billet pour un spectacle était déjà un moment de plaisir, un plaisir qui perdurait longtemps après la sortie de la salle. Ce soir encore, ce plaisir ne sera autorisé qu’à quelques journalistes qui, dans un compte rendu pourront témoigner que Non ! La musique n’est pas morte. Mais écouter tout seul un concert devant un ordinateur ne doit pas être le but final. Car cela n’a rien à voir avec la magie du concert en direct, l’attente, les artistes arrivant sur scène, l’explosion des applaudissements qui s’efforcent d’attendre la dernière note avant de crépiter…Ce soir, dans la salle vide du Grand Théâtre de Provence deux musiciens, ambassadeurs de la musique à travers le monde inter générations, deux légendes vivantes de la musique. Martha Argerich et Daniel Barenboim arrivent, posent leurs mains sur l’unique clavier qu’ils partagent et, instantanément la magie opère. Leur complicité est palpable, leur musicalité irradie, rayonne. Amis depuis leur enfance passée en Argentine, ils affichent ce soir leur joie de jouer ensemble tels deux amis qui se retrouvent. Mozart, Debussy, Bizet seront au rendez-vous dans la fraîcheur de leur interprétation. Daniel Barenboim s’installe à droite pour la partie chantée, ils n’intervertiront leurs places que dans Jeux d’enfants (Le Volant et Le Bal) de Georges Bizet. Mais y a-t-il deux parties ? Il n’y a en fait qu’un seul discours à deux voix. Comme chez les enfants, le garçon prend la parole et affirme son jeu dès les premières notes de la Sonate K 521 de Mozart. Vélocité du chant repris dans le grave et enchaînement des gammes. Ornementations délicates, tendresse et humour pour un souffle à deux voix. Même toucher, mêmes articulations, même force à partager sur un même clavier. Avec joie et clarté les notes perlées s’égrènent sous la vélocité des doigts. Dans un tempo Andante Daniel Barenboim joue une mélodie sublimée par le toucher moelleux de Martha Argerich. Légère retenue comme en suspension pour un chant joué par la partie grave. Deux voix qui n’en font qu’une dans ce mouvement fredonné comme une berceuse. L’Allegretto est joué comme une comptine par deux artistes qui ont retrouvé leur âme d’enfant. Dans une discussion rapide qui ne va jamais jusqu’à la chamaillerie, le forte, tout relatif, est simplement donné par les doigts un peu plus appuyés sur les touches. Deux voix qui s’affirment chacune à son tour avec simplicité et deux accords pour terminer ce discours. Un petit bijou de musicalité ! Avec Les Epigraphes antiques, œuvre créée à Genève le 2 novembre 1916, les deux pianistes, toujours dans cette complicité musicale, changent de lumière. Claude Debussy explore les touches de couleurs picturales qui sont sa signature dans une écriture pianistique assez minimaliste. Avec quelques incursions dans l’atonalité et une recherche dans les sonorités de divers instruments, le compositeur nous entraîne vers des mondes exotiques sous les doigts délicats des deux pianistes. Pan et sa flûte folâtrent dans le chant et le contre chant sous une lumière voilée. Pour Un tombeau sans nom le compositeur joue le mystère. Mélancolie dans les graves tandis qu’avec des notes jouées comme des harmoniques la partie de chant prend son temps pour conserver le côté mystérieux. Dans cette Nuit propice, le discours prend des expressions diverses et avec quelques appogiatures les deux pianistes se répondent dans des styles différents. La Danseuse aux crotales est une pièce plus vive, mais qui garde aussi un certain mystère, éclairée par les rayons lumineux des glissandi. Une danse lascive pour cette Egyptienne aux notes orientalisantes avec des graves en ostinato. Les gouttes de pluie du matin tombent en doubles croches, légères et transparentes. Les notes graves tournent en boucle pour une architecture qui reçoit la pluie délicate du matin dans un enchevêtrement de mains et de notes. Que l’écriture de Debussy a de charme sous les doigts délicats de ces deux musiciens ! Avec Jeux d’enfants de Georges Bizet nous retrouvons une écriture plus classique, mais avec autant de charme. L’Escarpolette est une rêverie où la partie grave joue la mélodie comme chantée par une voix de baryton, et les graves et les aigus s’enchaînent dans un balancement. La Toupie virevolte, tourne, monte, descend dans un tempo vif sur un chant en boucle. Qui berce La Poupée dans un thème qui module, revient, chanté par la seule main droite ? Les deux pianistes, dans une entente d’une grande précision, activent avec vivacité Les Chevaux de bois. Le Volant virevolte dans une structure où les notes s’enchaînent donnant l’impression qu’une seule main court sur le clavier avec vivacité et délicatesse. Trompette et tambour ouvrent la marche dans un tempo militaire qui fait penser au chant de la garde montante interprété par les enfants dans l’opéra Carmen, l’on entend même le clairon qui fait marcher au pas ces petits soldats ; jeu précis, notes piquées avec humour avant que tous s’éloignent. Les Bulles de savon s’envolent, éclatent, Daniel Barenboim s’amuse de sa seule main droite simplement accompagné par une Martha Argerich qui reprend le jeu dans une badinerie agile. Puis l’on joue aux Quatre coins, l’on se cache dans un ensemble parfait et une joyeuse agitation. Les enfants courent, sautent sous les doigts malicieux des pianistes pour finir dans un grand forte. Joli discours sentimental pour ce Colin-Maillard où le grave répond à l’aigu dans une belle entente. Les enfants jouent, les gammes vont de l’une à l’autre dans ce Saute-mouton au forte affirmé puis se calment. Quel joli duo que ce Petit mari, petite femme joué dans une simplicité enfantine. Modulation, harmonie en interrogation mais conclusion à deux voix. Martha Argerich se met à droite et mène Le Bal pour une ronde qui accélère vers un presto. Vélocité, course folle rythmée dans une agilité des quatre mains qui s’unissent dans un grand forte. Un concert qui touche l’âme par la musique, la qualité exceptionnelle des interprètes et un jeu qui remplit la salle de tendresse.