Marseille, Opéra municipal, saison 2020/2021
“TOSCA”
Opéra en 3 actes, livret de Giuseppe Giacosa et Luigi Illica d’après Victorien Sardou
Musique Giacomo Puccini
Production de l’Opéra de Marseille
Tosca JENNIFER ROWLEY
Mario Cavaradossi MARCELO PUENTE
Scarpia SAMUEL YOUN
Angelotti PATRICK BOLLEIRE
Le Sacristain JACQUES CALATAYUD
Spoletta LOÏC FELIX
Sciarrone JEAN-MARIE DELPAS
Le Geôlier TOMASZ HAJOK
Le Pâtre EMILIE BERNOU
Orchestre et Chœur de l’Opéra de Marseille
Direction musicale Giuliano Carella
Chef du Chœur Emmanuel Trenque
Mise en scène, décors et costumes Louis Désiré
Lumières Patrick Méeüs
Marseille, vu en streaming, le 28 février 2021
En cette année 2021 où tout est encore bouleversé par la pandémie de la covid 19, l’Opéra de Marseille, après avoir sauvé “La Bohème” de l’annulation pure et simple par un streaming a pu, part les mêmes moyens, proposer “Tosca” que l’on peut visionner jusqu’au 28 mars sur le site opera.marseille.fr ; version captée avec certains aménagements et gestes barrières obligatoires. C’est ainsi que le maestro Giuliano Carella, qui dirige l’ouvrage, dans l’impossibilité d’avoir recours à l’orchestre normalement employé dans la partition originale de Giacomo Puccini, s’est vu contraint d’utiliser la réduction pour 25 musiciens commandée par les Editions Ricordi il y a quelques années afin de pouvoir représenter cet opéra dans des théâtres plus petits. On pourrait penser : c’est dommage ! Le fait est que cette initiative nous donne le plaisir d’entendre ce chef d’œuvre de l’art lyrique alors que les règles sanitaires nous en auraient privés. Après avoir vu le spectacle lors de la captation, nous avons voulu attendre la mise en ligne pour un compte rendu plus juste. Et, pour avoir vu les deux versions, nous devons avouer que le résultat est plus que satisfaisant, avec de véritables émotions théâtrales ainsi que musicales. Cette production déjà produite sur la scène de l’opéra de Marseille en mars 2015, n’a subi que peu d’aménagements. Pas d’enfants dans le chœur du Te Deum ou certains choristes chantant du premier balcon de la salle. Changements minimes qui n’enlèvent rien à l’intensité et à l’impact des voix dans un fortissimo gigantesque. Louis Désiré signe la mise en scène, les décors et les costumes. Comme dans sa version de “La Bohème” du mois dernier, tout est sombre. Mais, il l’avoue lui-même, nous sommes dans un drame et nous y resterons, comme enfermés dans cette atmosphère lourde d’où même l’amour et la tendresse, palpables entre Mario et Floria Tosca tout au long de l’ouvrage, ne pourront nous extraire. Noir donc le décor tournant qui, en trois tableaux, nous relate l’histoire tragique de cet amour. La chapelle où Mario peint une Maria Maddalena, le Palazzo Farnese où officie Scarpia et le Castel Sant’Angelo. La chapelle est simple, le tableau peint est en transparence, ce qui permet de très belles nuances. Le bureau de Scarpia est une longue table en forme de croix qui se projettera, forme blanche sur le mur. A l’acte III, au Castel Sant’Angelo, Mario est derrière des barreaux. Si la scène perd en romantisme, elle gagne en dramatique. Non, il n’y a rien à espérer ! Louis désiré aime aussi à faire ressortir le côté religieux. Peu de mobilier mais un prie-Dieu. Peu d’objets mais un vase pour recevoir les fleurs que Floria Tosca dépose à la Madonna. Scarpia même semble se plier aux règles religieuses, assez strictes en Italie à cette époque. Mais, autre point de vue du metteur en scène, le même Scarpia dévoile, de manière sans équivoque, ses sentiments pour la belle Tosca. Ah ! Ces roses qu’elle vient de d’apporter, certainement encore imprégnées de son parfum, qui le font passer de la colère vengeresse à une passion qu’il a du mal à maîtriser. C’est à Patrick Méeüs que nous devons ces superbes lumières, encore travaillées pour la captation et qui éclairent ce qui doit être dit. Des lumières indispensables, comme partie intégrante, qui révèlent l’atmosphère mais donnent aussi à chaque personnage sa dimension dramatique. Dans cette version très intimiste, chaque scène nous transporte dans une galerie d’art entre tableaux hollandais éclairés à la bougie, lumières caravagesques et, pourquoi pas, une Maria Maddalena dans le style de Raphaël. Jennifer Rowley est une Tosca tout en tendre délicatesse et ferveur religieuse. Elle est actuellement une référence pour ce rôle et elle nous le prouve dans cette interprétation. Elle n’est pas la Diva hautaine, elle est une femme tout amour qui a du mal à comprendre les manigances de Scarpia. Sa voix assurée aux aigus cristallins ou plus dramatiques possède une rondeur de son, un timbre coloré et de caractère ; c’est une voix habitée qui laisse percer ses sentiments. La technique sans faille de la soprano américaine lui permet un phrasé et une ligne de chant d’une grande musicalité sur une longueur de souffle soutenue. Seule sur le balcon, elle attaque forte son “Vissi d’arte” comme une accusation à cette récompense bien peu méritée pour une vie d’art et d’amour. Superbe aigu avec reprise de note dans un sanglot. Mais, peut-on émouvoir un Scarpia ? Certes non. Elle le tue et l’on peut lire la frayeur sur son visage expressif. Visage qui s’illumine lorsqu’elle retrouve Mario pour quelques instants de folle espérance dans un duo d’amour aux aigus qui se fondent. Mais frayeur qu’elle retrouve à la fin, devant le rideau fermé, face à son destin pour des imprécations à Scarpia dans un aigu puissant. Superbe interprétation ! Quel beau couple crédible avec le Mario de Marcelo Puente. Une voix chaleureuse et généreuse aux aigus faciles, timbrés et puissants sur une belle longueur de souffle. Le ténor argentin possède une voix aux accents dramatiques qui passent naturellement sans forcer sur l’intention. Mais voix effrontée aussi dans son “Vittoria” lancé à pleine voix et qui atteint Scarpia comme un coup de poing. La colère va bien à la voix de Marcelo Puente, mais la douceur contenue dans un “E lucevan les stelle” sensible et désespéré fait ressortir le moelleux et la rondeur du timbre ; quelques aigus superbes, tenus, et un “Trionfal” magistral partagé avec Tosca. Marcelo Puente possède une voix ductile qui lui autorise des piani qui passent au forte dans des crescendi colorés. Un Mario de grande envergure. Le Scarpia de Samuel Youn n’est pas ce chef de la police brutal qui impose, il est ce fourbe qui patiente et attend le moment de posséder cette femme qui le hante. C’est un prédateur qui guette sa proie. Le baryton coréen joue avec les inflexions de sa voix sonore. Douceur mielleuse qui s’oppose aux éclats de colère tonitruants. Mais Samuel Youn joue aussi avec la musique, profitant des silences pour laisser s’installer l’angoisse que l’on sent monter crescendo. Voix superbe et bien placée et voix qui change de couleur selon les sentiments. Colère rentrée, nuances glaçantes, mais aussi éclats qui libèrent des aigus puissants. Samuel Youn nous propose un Scarpia différent mais non moins dangereux en proie à une passion dévorante et son “Va Tosca” est chanté comme une menace. Trio équilibré aux voix et caractères contrastés. Équilibré aussi le reste de la distribution avec l’Angelotti de Patrick Bolleire dont les graves résonnent dans une interprétation rythmée. Sobriété et voix percutante. Le Sacristain de Jacques Calatayud reste dans l’intention de ce plateau qui joue sur l’homogénéité des voix et des interprétations. Jeu sobre et bien pensé, voix bien placée, belles nuances, joli phrasé. Loïc Félix est un Spoletta toujours en place vocalement et théâtralement ; il anime ce rôle avec intelligence et musicalité. Jean-Marie Delpas est un Sciarrone très en place et Tomasz Hajok un geôlier à la voix grave remarquée. La voix juvénile du Pâtre d’Emilie Bernou apporte un peu de fraîcheur. Le Choeur, extrêmement bien préparé par Emmanuel Trenque, fait une prestation magistrale bien que chantant hors de scène ; quelques femmes seulement, masquées et voilées sont à la chapelle. Chœur d’hommes mezza voce mais surtout Te Deum éclatant, grandiose, qui emplit la salle et accompagne un scarpia qui frise la folie. Il faut applaudir aussi un orchestre omniprésent superbement dirigé par le maestro Giuliano Carella qui réussit, avec un nombre de musiciens réduit à donner les couleurs, les accents, les atmosphères et à faire oublier que l’orchestre n’est pas au complet dans cette version. Gageure réussie. Les tempi sont maintenus, soutenus, les nuances amènent les émotions et suivent les chanteurs. Une gavotte limpide, un quatuor de violoncelles joué par deux altos et deux violoncelles, mais avec autant d’intensité et de sensibilité. Difficile pour les musiciens de l’harmonie de jouer seul une partition écrite pour plusieurs instrumentistes. Mais la qualité des sonorités, l’on pense au solo de cor, l’homogénéité des cordes et le talent du chef d’orchestre ont fait que cet ouvrage ait pu être joué et qu’il soit une réussite. Merci aussi au directeur général de l’Opéra de Marseille pour le maintien de cette captation. Photo Christian Dresse – En ligne jusqu’au 28 mars