En ce début d’année 2021, les spectacles se font rares. A l’Opéra de Marseille une représentation de Tosca est maintenue, à huis-clos, pour une captation. Entre deux répétitions, le ténor Marcelo Puente, qui interprète ici le rôle de Mario Cavaradossi, répond à nos questions pour les lecteurs du magazine GBopera. Amabilité, sincérité sont les maîtres mots.
Pour faire connaissance, parlez-nous de votre parcours musical. Avez-vous toujours eu envie de chanter ?
J’ai toujours aimé la musique classique. Je me souviens qu’alors que j’étais à l’université pour des études de médecine (j’y suis resté 3 ans), j’écoutais de la musique tout en travaillant. J’aimais chanter aussi, tout seul, pour le plaisir. J’écoutais souvent des disques de Luciano Pavarotti. Un jour, j’ai pris conscience que je chantais avec une certaine facilité et que l’écoute était assez agréable. Ma voix semblait se placer naturellement. Mais je ne savais pas à cette époque ce que cela voulait dire vraiment. Je suis donc allé étudier le chant au conservatoire : Cordoba puis Buenos Aires. Ensuite, j’ai passé une audition à Düsseldorf. Pour moi, c’était très intéressant, j’avais 20ans et l’on m’a donné des petits rôles à chanter. J’ai donc étudié l’allemand aussi. Ensuite, je suis allé à Milan, une autre expérience, le chant à l’italienne. Je me sentais très à l’aise et j’étudiais avec des professeurs particuliers, puis je suis retourné à Buenos Aires au Teatro Colon où j’ai fait la connaissance d’un ténor italien ; un réel plaisir.
Vous êtes argentin mais vous avez maintenant beaucoup voyagé ; La musique, les professeurs, l’opéra est-ce d’un abord plus facile en Argentine ?
Même si c’est un peu différent, l’on peut étudier comme partout ailleurs. En Argentine la musique est omniprésente et pas uniquement pour le tango -dit-il en souriant-. Les conservatoires sont d’un bon niveau et un chanteur peut facilement auditionner au Teatro Colon, qui est pour nous le temple de l’opéra. La mixité des cultures musicales et du chant italien, certainement un apport des communautés italiennes implantées en Argentine, amène un public très nombreux au Teatro Colon. Les plus grands musiciens s’y sont produits. Des chanteurs, mais aussi des chefs d’orchestre ou des solistes. Enrico Caruso, Maria Callas, Luciano Pavarotti, Stravinsky, Toscanini, Michelangelo Veltri, Pierre Boulez, Daniel Barenboïm…
Certaines personnes, certaines rencontres ont-elles été déterminantes pour votre carrière ?
Certainement, et cela fait partie intégrante d’une carrière réussie. Je remercie toujours ces personnes qui m’ont beaucoup appris sur le plan vocal, humain, mais qui ont aussi sculpté ma personnalité théâtrale. Un chanteur (de tous niveaux) travaille sa voix constamment avec quelqu’un qui l’écoute, que ce soit un professeur ou un chef de chant, mais en qui il a confiance. Ma première rencontre déterminante s’est produite au Teatro Colon ; Le ténor italo argentin Renato Sassola a été pour moi un professeur merveilleux et c’est sans doute le point déclencheur de ma carrière. Puis j’ai rencontré ma femme qui est aussi professeur de chant. Elle m’écoute, me suit dans mes déplacements, avec elle nous formons une équipe et j’ai toute confiance en son jugement. Mais pour une carrière réussie, il faut obligatoirement un bon agent. Par bon agent, j’entends quelqu’un qui a des qualités humaines, qui connaît les voix et qui ne se préoccupe pas simplement des contrats vous faisant quelquefois prendre de mauvaises décisions. Alan Green a tout cela, mais la chose la plus importante est qu’il croit en moi. Cela fait maintenant 5 ans que nous travaillons ensemble et depuis, ma carrière a pris un nouvel essor. Scala de Milan, Paris Bastille, Royal Opera House Covent Garden…J’ai maintenant aussi un agent en France, Dominique Riber. Le choix d’un agent est une chose primordiale dans la vie d’un chanteur, il faut avoir un bon contact et qu’une confiance mutuelle s’installe.
Vous souvenez-vous de votre premier souvenir lyrique, et avez-vous en mémoire l’année qui a produit un déclic ?
C’est Fedora d’Umberto Giorgano au Teatro Colon. J’écoutais pour la première fois un opéra en direct, il y avait Placido Domingo, Mirella Freni, Sherrill Milnes, j’étais jeune et cela m’a vraiment impressionné. En sortant du théâtre, j’ai su que je voulais chanter. Mais c’est sans doute l’année de mes vingt ans qui a été déterminante.
Avez-vous hésité avant de décider que le chant serait l’histoire de votre vie et Sentez-vous maintenant une évolution dans votre voix ?
Avez-vous hésité avant de décider que le chant serait l’histoire de votre vie et Sentez-vous maintenant une évolution dans votre voix ?
Non, je n’ai pas hésité un instant et j’ai arrêté mes études de médecine après avoir parlé à mes parents. Bien qu’ils soient de pensées très ouvertes, ils ont tout de même un peu réfléchi. OK, m’ont-ils dit, essaie mais investi-toi. Je n’ai jamais recherché la facilité et j’ai voulu travailler pour payer mes études. Des petits boulots qui me laissaient assez de temps pour étudier. Cela n’a pas été une période facile. C’est une bataille continuelle et les portes ne s’ouvrent pas facilement. Mon premier grand rôle fut Don José dans un festival d’été en Allemagne. En 2015, Manrico, dans Il trovatore à Toulon, Mario, dans Tosca, au Festival St Margarethen en Autriche, en 2017 le Covent Garden m’ouvre ses portes pour Pinkerton dans Madama Butterfly. Remplacer Jonas Kaufmann à l’Opéra Bastille dans Tosca reste un moment fantastique. Avec la maturité la voix évolue, plus lyrique à mes débuts, elle tend vers le dramatique. C’est une question de couleur qui n’influence en rien la tessiture.
Les rôles de héros, d’amoureux, sont principalement écrits pour les voix de ténors, est-ce plutôt agréable ou auriez-vous parfois envie de jouer les méchants ?
Ce n’est pas forcément désagréable dit-il avec un petit sourire. Il y a des rôles merveilleux tel André Chénier, que je n’ai jamais chanté mais qui me fait rêver, c’est un véritable héros romantique, mais pour être amoureux on n’en est pas moins homme, et Don José est loin d’être un héros. Et vous avez aussi Pinkerton qui est franchement désagréable.
J’adore chanter Puccini, tout se dit dans son chant : puissance et raffinement ; j’aime aussi Verdi, qui a si bien écrit pour les voix, mais aussi les compositeurs français, Bizet, Gounod, c’est différent. C’est pourquoi j’apprends le français, car pour bien l’interpréter il faut connaître la langue dans laquelle l’œuvre est écrite.
-Quels sont vos rapports avec les chefs d’orchestre, les metteurs en scène ; le choix des partenaires est-il important ?
Les chefs d’orchestre sont très importants pour les chanteurs. Les tempi, les rythmes, mais surtout les respirations. Je n’ai jamais eu de grands problèmes avec eux, et l’on peut toujours discuter. J’ai eu le plaisir d’interpréter Manrico (Il Trovatore) à Toulon avec le maestro Giuliano Carella -il était alors directeur musical- et c’est avec le même plaisir que je le retrouve ici pour Tosca. Tout se passe très bien. Avec les metteurs en scène cela peut être différent, discuter n’est pas toujours évident. Mais vous savez, j’aime beaucoup mon métier et être en scène est un moment très important. Alors, si je n’approuve pas totalement, je pense à la musique et cela arrondit les angles. Mais cela n’arrive pas souvent. Pour les partenaires, c’est encore autre chose et c’est le plus important. Il y a un échange et si vous donnez tout, il doit y avoir réciprocité, sinon cela ne fonctionne pas. Quelquefois les rôles d’amoureux demandent du fusionnel, il faut arriver à transmettre ses émotions au public. Tout seul, vous n’y arriverez pas. Vous imaginez-vous dire je t’aime à quelqu’un qui vous irrite au plus haut point ? Mais en principe cela fonctionne bien et, encore là, la musique est un élément porteur.
Y a-t-il des lieux où vous vous sentez plus à l’aise pour chanter ? Est-ce une question d’atmosphère ?
Oui, certes. Une question d’atmosphère dans les théâtres. Dans certains lieux cela se ressent immédiatement. Des lieux habités par la musique où le public est toujours présent alors qu’il n’est pas là, un personnel affable, des directeurs amoureux du théâtre ? Toujours est-il que c’est très important pour un artiste qui voyage, qui met du temps à s’adapter et qui a besoin de se sentir à l’aise pour s’exprimer. Pour moi, il y a le Teatro Colon bien sûr, où je m’y sens comme à la maison, le Royal Opera House Covent Garden aussi, entre autres, et maintenant Marseille, où je chante pour la première fois, avec un directeur qui accueille les chanteurs avec une bienveillance absolue, des théâtres aux atmosphères familiales qui vous portent à donner le meilleur de vous-même, mais la liste n’est pas exhaustive.
Parlez-nous de vos projets. Quelles sont les conséquences de cette pandémie sur votre vie d’artiste ?
Des projets ? Ceux qui restent, tant il y en a eu d’annulés comme mes débuts à Vienne. Mais une Madama Butterfly à Monaco, Le Covent Garden si c’est maintenu, il faut vivre dans cet espoir. C’est une époque épouvantable pour tout le monde et, pour les chanteurs qui ont une carrière relativement courte sous certains aspects, plus d’une année d’annulations peut être dramatique. Il faut pouvoir rebondir ce qui est difficile pour un jeune chanteur qui aurait dû débuter dans cette période. Je tiens à remercier l’Opéra de Marseille et son directeur Maurice Xiberras, d’avoir maintenu cette Tosca qui est une fenêtre ouverte sur cette terrible année.
Merci monsieur Puente pour ce moment passé en votre compagnie, à partager avec nos lecteurs.