Marseille, Opéra municipal, saison 2020/2021
“LA BOHÈME”
Opéra en 4 actes et 4 tableaux, livret de Giuseppe Giacosa et Luigi Illica
Transcription pour petit orchestre de Gerardo Colella, éditions Riccordi
Musique Giacomo Puccini
Mimi ANGELIQUE BOUDEVILLE
Musetta LUCREZIA DREI
Rodolfo ANDREA SCALA
Marcello ALEXANDRE DUHAMEL
Schaunard REGIS MENGUS
Colline ALESSANDRO SPINA
Benoit ANTOINE GARCIN
Alcindoro JEAN-LUC EPITALON
Parpignol JEAN-VITAL PETIT
Un Doganiere TOMASZ HAJOK
Sergente dei doganieri JEAN-PIERRE REVEST
Orchestre et Choeur de l’opéra de Marseille
Direction musicale Paolo Arrivabeni
Chef de Choeur Emmanuel Trenque
Mise en scène Louis Désiré
Costumes / décors Diego Mendez Casariego
Lumières Patrick Méeüs
Marseille, le 20 décembre 2020
Quel plaisir de retrouver un spectacle sur scène, mais quel dommage que seuls quelques journalistes aient pu le voir. Il faut remercier toute l’équipe de l’Opéra de Marseille ainsi que son directeur général Maurice Xiberras pour cette volonté de continuer à maintenir certains spectacles, même si ce n’est que pour une captation qu’il sera possible de visionner sur le site de l’Opéra de Marseille du 31/12 17h au 30/1 2021 : opera.marseille.fr
La production initialement prévue avec la mise en scène de Leo Nucci s’étant annulée (les aménagements sanitaires étant trop contraignants), c’est finalement Louis Désiré qui relèvera le défi et reprendra le flambeau pour que le spectacle ait lieu même si en définitive il ne sera visible qu’en ligne. Une Bohème conçue dans l’urgence, sans grands décors mais bâtie sur les sentiments et la réalité de la vie qui n’exclut pas l’insouciance de la jeunesse. Bref, une Bohème remplie d’émotions. Comme souvent dans les mises en scène de louis Désiré le sombre domine, mais les touches de lumière viennent donner du relief ; les visages s’éclairent, certaines scènes sont mises en évidence mais, plus que tout, et c’est très évident ici, le jeu des acteurs millimétré souligne avec élégance et délicatesse chaque intention ou phrase musicale. Rien n’est laissé au hasard, ne serait-ce que ce moment de profonde amitié entre Rodolfo et Marcello lorsque ce dernier le prend dans ses bras alors qu’il s’est séparé de Mimi. Un très joli tableau ! Nuances, discrétion, mais choc émotionnel garanti. Les lumières de Patrick Méeüs jouent un rôle déterminant. Ces contrastes de noir et de touches lumineuses nous plongent directement dans des tableaux de peinture hollandaise du XVIIe siècle. L’action est ainsi resserrée et laisse ressortir la musique et les voix. Moment féérique tout de même au deuxième acte au Café Momus. Si l’agitation des jours de fêtes n’est procurée que par les serveurs qui vont et viennent, l’atmosphère festive est créée par les lumières qui descendent des cintres comme dans un ciel étoilé ou par la grande roue, symbole des fêtes foraines, qui s’illumine en fond de scène. Le joyeux Parpignol, éblouissant de lumières multicolores, jette des éclats de bonne humeur. Les costumes de Diego Mendez Casariego restent dans la conception voulue par cette production. Trop peu de temps pour créer des costumes ? L’on plonge dans les réserves, l’on trouve et le tout forme un ensemble cohérent. Couleurs éteintes, du marron, du gris pour les jeunes artistes désargentés, mais aussi superbe manteau noir très féminin pour Musetta à l’acte IV qui contraste avec le frac qu’elle porte au café Momus et qui faisait ressortir son côté excentrique. Les hommes du Choeur sont eux aussi en habit, chapeau haut-de-forme, alors que les dames portent de longues robes noires et des châles scintillants qui captent la lumière ; chantant masqués (covid oblige). C’est aussi à Diego Mendez Casariego que l’on doit les décors. Une pièce sous les toits éclairée par une fenêtre. Le feu est suggéré par le rougeoiement du sol, quelques chaises, un lit omniprésent et c’est à peu près tout. Peu de choses sans doute, mais beaucoup de talent. La distribution est aussi une réussite. Des chanteurs qui ont l’âge des rôles et un couple charismatique. Angélique Boudeville est une Mimi gracieuse et attachante et l’on tombe immédiatement sous le charme de cette voix claire, homogène, aux aigus tout en rondeur mais aussi éclatants. Le médium est velouté avec des graves qui gardent leurs harmoniques jusqu’à la fin des sons. Angélique Boudeville chante comme elle joue, avec naturel et élégance, nous offrant une ligne musicale sensible qui lui permet des changements de nuances délicats sur une même note. C’est une Mimi qui vit et meurt sans faire de bruit mais que ses amis pleureront longtemps. A ses côtés, le Rodolfo d’Enea Scala pour un couple d’une grande beauté aussi bien musicale qu’émotionnelle. Voix solide mais sensible, voix prenante aussi et d’une grande crédibilité dans ses émotions, voix projetée aux aigus qui donnent le frisson. Si la voix est belle, elle est mise au service du personnage et de la musique et c’est ici tout l’art d’Enea Scala qui arrive à émouvoir aux larmes dans un ultime “Mimi”. Autre couple très assorti, celui que forment Marcello et Musetta. Lucrezia Drei a su rendre avec bonheur les différentes facettes du personnage de Musetta à la fois volage, capricieuse mais d’une grande bonté et aussi d’une profonde fidélité. Une voix sonore aux aigus percutants amis colorés avec des nuances bien amenées qui rendent son chant très sensible. Musetta, qui sait être impertinente sait moduler sa voix et laisser ainsi percer l’inquiétude et le chagrin. Cette femme impétueuse trouvera dans le Marcello de Alexandre Duhamel un compagnon à sa mesure. Voix forte, bien placée et équilibrée qui devient sensible pour rendre perceptibles les émotions. Le baryton module sa voix au gré de son caractère impulsif donnant du relief à cette interprétation réussie dans un jeu à l’aise et réaliste. Régis Mengus, lui aussi baryton, est un Schaunard qui peut être amusant, vif mais aussi sensible. Il utilise avec intelligence sa voix sonore et bien placée pour des rythmes plus enlevés ou des phrases plus lyriques donnant du caractère à son personnage. Alessandro Spina prête sa voix profonde de basse à Colline, pour un quatuor de jeunes gens équilibré vocalement mais aussi superbement réglé scéniquement. C’est avec beaucoup de pudeur dans l’interprétation qu’il parle à sa pelisse avant de s’en séparer. Dans cet air aux accents dramatiques, Alessandro Spina donne une leçon de chant par un legato musical où chaque respiration transpire la tendresse. La tension, perceptible dans les notes piani et tenues nous emmènent déjà vers le dénouement final. Dans cette distribution d’une grande homogénéité, chaque rôle est à sa place, que ce soit Antoine Garcin pour un Benoit expressif, Jean-Luc Epitalon pour un Alcindoro très bien interprété ou un Parpignol joyeux joué par Jean-Vital Petit. Bien que les artistes du Choeur chantent masqués et soient privés de mise en scène pour respecter la distanciation, on peut remarquer l’homogénéité des voix, la projection et la grande rigueur dans la mise en place. C’est un beau travail effectué par les artistes sous la direction de leur chef Emmanuel Trenque. Si ce plateau est admirable de cohésion vocale et artistique, il faut dire un grand bravo au maestro Paolo Arrivabeni qui, dans la version originale pour petit orchestre (covid oblige) a su rendre toutes les couleurs, toutes les nuances spécifiques à la musique de Giacomo Puccini. Le pétillant de cette musique est rendu par les tempi allant et la précision des attaques jusque dans la vélocité des violons. Précision aussi dans les changements d’atmosphères en correspondance immédiate avec la scène. Couleurs, justesse des nuances et justesse de l’interprétation. Cette Bohème est une collaboration artistique de chaque note dans chaque tableau. Merci pour cette réalisation. Nous espérons vivement qu’elle pourra être vue autrement qu’en ligne, elle le mérite. Photo Christian Dresse