Saint-Pétersbourg, Théâtre Mariinsky: “Mazepa” (Mazeppa)

Saint-Pétersbourg, Théâtre Mariinsky, 237ème saison
“MAZEPA” (Mazeppa)
Opéra en trois actes, livret de Victor Burenin et Piotr Tchaikovsky d’après le poème épique Poltava d’Alexandre Pouchkine
Version de la production de 1950 par Ilya Shlepyanov
Musique Piotr Tchaikovsky

Mazepa, hetman EDEM UMEROV
Kotchoubei ALEXANDER MOROZOV
Maria IRINA CHURILOVA
Lyoubov OLGA SAVOVA
Andrei, jeune cosaque SERGEI SEMISHKUR
Orlik OLEG SYCHOV
Iskra, Ami de Kotchoubei MIKHAIL MAKAROV
Un cosaque ivre VASILY GORSHKOV

Orchestre, Choeur et Ballet du Théâtre Mariinsky
Direction musicale Mikhail Sinkevich
Chef de Choeur Andrei Petrenko
Mise en scène Ilya Shlepyanov (1950), reprise par Youri Laptev
Décors Alexander Konstantinovsky
Lumières Damir Ismagilov
Chorégraphie Vasily Vainonen revue par Boris Bruskin
Maître Ballet Dmitry Korneyev
Saint-Pétersbourg, le 23 janvier 2020
Après “Le Prince Igor” d’Alexandre Borodine, le Théâtre Mariinsky nous présentait, tel un diptyque d’opéras russes, le “Mazepa” de Piotr Tchaikovsky. Cette oeuvre sombre, beaucoup moins connue que “La Dame de pique” ou “Eugène Oneguine”, où amour et trahisons se côtoient, repose sur un poème épique d’Alexandre Pouchkine qui relate la bataille de Poltava où, le 8 juillet 1709, les troupes du tzar Pierre 1er écrasaient l’armée de Charles XII de Suède soutenue par les cosaques ukrainiens du hertman Ivan Mazepa, anéantissant ainsi les rêves de ce dernier de régner un jour sur une Ukraine libre émancipée du joug du tsar. On retrouve les envolées lyriques et nostalgiques spécifiques à la musique de Tchaikovsky qui signe son septième opéra. La production de Ilya Shlepyanov date de 1950. Elle est dirigée ici par le metteur en scène Youri Laptev dans le respect de l’époque et des faits. Nous assistons à la visite du commandant militaire Mazepa chez le ministre de la justice Kotchoubei avec danses folkloriques devant sa maison, moment coloré, bucolique et joyeux puis, nous entrons dans la maison ; une salle voûtée aux murs peints où brûlent des cierges. La cave du palais de Mazepa, où sont torturés Kotchoubei et Iska est plus dépouillée et contraste avec le somptueux bureau de Mazepa décoré de tentures. Mais c’est dans une sorte de défilé qui laisse voir le village au loin, que le peuple effrayé assiste à l’exécution des deux prisonniers. Exécution solennelle où prennent place soldats habillés de rouge et cavaliers aux manteaux somptueux. Le vent a tourné, Mazepa, désormais en fuite, se retrouve devant la maison de Kotchoubei dévastée après la bataille où Maria, seule et  délaissée laisse libre cours à sa folie. Belle direction des acteurs qui, avec la musique, interprètent avec justesse et sensibilité toutes les facettes de ce drame. Les lumières conçues par Damir Ismagilov font ressortir chaque tableau ; un soleil éclatant lors de la fête joyeuse, aux teintes dorées éclairées par les cierges, ou plus feutrées chez Mazepa, et font ressortir les couleurs des costumes aux dorés chatoyants. Très belle chorégraphie de Vassily Vainonen dirigée ici par Boris Bruskin pour des danses où le folklore ukrainien met une pointe d’humour ou des accents plus guerriers pour des danses avec sabres et des danseurs virevoltant. Somptueux costumes enfin qui contribuent à nous transporter dans ces ambiances slaves d’une époque révolue où la magnificence côtoie la simplicité du peuple composé de paysans et de serfs. Cette différence se retrouve aussi dans la musique qui passe avec facilité de la grandiloquence à la nostalgie, spécificité de l’âme russe. Tout en relatant une grande bataille l’opéra est conçu de façon assez intimiste avec des airs et des duos qui mettent en exergue le drame et les tourments vécus par les personnages. les voix se devaient d’être à la hauteur de ces longues phrases qui exposent les sentiments sans aucune ambiguïté. Joyeuse, amoureuse, la jeune Maria ne sait pas que cet amour la mènera à la folie. C’est Irina Churilova qui interprète ce rôle dans lequel elle fait ses débuts. Dans un soprano clair aux prises de notes délicates, elle parle de son amour. Mais sa voix laisse aussi transparaître ses sentiments, passant de la tendresse à l’inquiétude, de la perte de la raison à une douce berceuse sur fond de réminiscence de jours heureux. Superbe interprétation dans des nuances en transparence et dans une voix ample aux couleurs changeantes aux aigus purs et aux phrasés délicats. A ses côtés Olga Savova est Lyoubov ; mère attentive et épouse passionnée, elle fait retentir son mezzo-soprano solide avec force et projection. Ses beaux graves donnent une dimension tragique alors que ses aigus pleins et colorés laissent apparaître toute la tension contenue dans la fin de l’acte II. Belle allure, belle voix , superbe interprétation. Superbe voix aussi, celle du ténor Sergei Semishkur qui chante Andrei, l’amoureux malheureux de la jeune Maria. Il expose son amour dans une voix directe et projetée. Voix sincère et ronde aux aigus chaleureux et assurés. Superbe interprétation nuancée, émouvante, généreuse au phrasé musical. Les respirations en accord avec la musique nostalgique de Tchaikovsky laisseront planer l’âme de ce jeune homme qui tombera sous les balles d’un Mazepa odieux. Le baryton Edem Umerov est ce Mazepa, superbe d’allure, campé dans son rôle de hetman. Sa voix pourrait paraître décevante au premier abord avec un vibrato assez large mais il se reprend assez vite et projette des aigus larges et colorés. C’est sans doute au deuxième acte qu’il donnera toute la mesure de sa musicalité avec une voix plus assurée et un vibrato mieux contrôlé. Il doute et chante, soutenu par une clarinette plaintive son air O Maria ! avec beaucoup d’intensité, de belles respirations et des aigus soutenus. Dans ce très beau tableau éclairé de teintes sépia il interprète avec Maria un des plus beaux duos d’amour écrits pour l’opéra. Pour tenir tête à ce terrible Mazepa, il fallait une voix de basse puissante. Alexander Morozov sera ce Kotchoubei qui paiera de sa vie son affrontement au hetman. Beau rôle, belles phrases musicales interprétées dans une voix posée, sonore et colorée. Puissant dans la colère il transmet aussi une grande émotion dans un air aux aigus tenus alors qu’il est prisonnier ; mais belle émotion aussi dans cette prière avant d’être exécuté chantée dans une voix plus faible accompagné par la harpe dans un beau tableau sur chants religieux. Vasily Gorshkov est un cosaque ivre qui anime la scène avec talent dans une voix de ténor sûre et projetée donnant à son personnage une grande crédibilité. Oleg Sychov est Orlik qui impose son rôle avec autorité dans une voix de basse puissante et assurée. Le Choeur préparé avec beaucoup de soin par Andrei Petrenko a fait preuve d’une grande précision dans les attaques et d’assurance dans les mouvements. Homogénéité des voix et justesse d’expression dans la colère, la frayeur, les chants religieux ou joyeux. Effet sonore garanti à chaque intervention. Mikhail Sinkevich était à la tête de l’Orchestre du Mariinsky. Il a su avec énergie et détermination faire vibrer la musique de Tchaikovsky. Et qui mieux que ce compositeur a dépeint l’âme russe avec ses notes et ses couleurs ? Un orchestre puissant mais qui garde la rondeur des sons. Direction large dans des tempi allant, où le joyeux devient tragique où le folklore laisse place à l’inquiétude. Instruments solistes qui ressortent dans des interprétations choisies et nuancées. Belle direction jusque dans la fanfare sur scène qui anime la scène de bataille. Une représentation comme une fresque visuelle et musicale où la Russie respire et vibre sur les envolées musicales. Superbe! Photo Valentin-Baranovsky