Saint-Pétersbourg, Théâtre Mariinsky, 237ème saison
“KNJAZ IGOR” (Prince Igor)
Opéra en deux actes et prologue, version du Théâtre Mariinsky 2008, livret du compositeur, d’après le conte médiéval russe The Tale of Igor’s Host
Musique Alexandre Borodine
Prince Igor ROMAN BURDENKO
Vladimir Igorevitch YEVGENY AKIMOV
Prince Galitsky VLADIMIR VANEYEV
Khan Konchak MIKHAIL KOLELISHVILI
Ovlur NIKOLAI GASSIEV
Skula GRIGORY KARASEV
Yeroshka ANDREI ZORIN
Yaroslavna ANNA MARKAROVA
Konchakovna OLGA BORODINA
Nourrice LYUDMILA KANUNNIKOVA
Une jeune polovtsienne ELENA USHAKOVA
Danseuse polovtsienne ALINA KRASOVSKAYA
Chef Guerrier ERWIN ZAGIDULLIN
Esclaves orientales ELENA BAZHENOVA, YEKATERINA MIKHAILOVTSEVA, DARIA SHIROKOVA
Choeur, Orchestre et Ballet du Théâtre Mariinsky
Direction musicale Vladislav karklin
Chef de Choeur Andrei Petrenko
Maître Ballet Dimitry Korneyev Chorégraphie Michel Fokine (1909)
Mise en scène (2008) Irkin Gabitov
Décors et costumes (2008) Vyacheslav Okunev
Lumières Vladimir Lukasevich
Saint-Pétersbourg, le 22 janvier 2020
Le Théâtre Mariinsky reprenait, en ce mois de janvier 2020, l’oeuvre d’Alexandre Borodine Le Prince Igor (Knyaz Igor), dans une production de 2008 avec une chorégraphie de Michel Fokine datant de 1909. Voir et écouter cette épopée médiévale russe du XIIe dans la salle mythique du Mariinsky est sans nul doute un réel plaisir. Cette oeuvre pour laquelle Borodine travaillera pendant 18 ans sans pouvoir la terminer est considérée comme une oeuvre majeure du compositeur bien que Nikolaï Rimsky-Korsakov et Alexandre Glasounov aient largement contribué à sa cohérence scénique et musicale, le livret du compositeur ayant laissé la trame et l’action. De nombreuses versions existent. Une version plus épurée, en 2 actes et prologue, nous est présentée ce soir. Mais, jouant les happy end, Igor réapparaît à l’extrême fin, redonnant le sourire à Yaroslavna et espoir à son peuple. Il est très rare à l’heure actuelle de voir un opéra représenté dans des décors qui correspondent à l’époque et l’action. Si ceux-ci peuvent sembler lourds à certains, cette fresque visuelle avec costumes somptueux, étendards étincelants, oriflammes et cavaliers sur leur monture nous procure le plaisir d’un superbe spectacle, sans transposition inutile, où le folklore slave côtoie les mélodies orientales. Igor a préparé son armée pour combattre les polovtsiens ; une éclipse de soleil sème le doute chez certains qui y voient un mauvais présage. Mais Igor passe outre et s’en va avec les princes et son fils Vladimir. Dans la mise en scène d’Irkin Gabitov et les décors de Vyacheslava Okunev de 2008, nous assistons à un départ coloré, béni par un patriarche en chasuble blanche avec défilé d’icônes dorées, les princes fièrement montés sur leur monture. les riches costumes des prêtres, le long manteau blanc et doré de Yaroslavna et les coiffes chatoyantes sont magnifiés par les lumières dorées conçues par Vladimir Lukasevich. Elles éclaireront de teintes claires les remparts où Yoroslavna se laisse aller à la nostalgie, ou de lumières plus orangées accompagnant les danses polovtsiennes dans de beaux couchers de soleil. la direction des acteurs est juste, précise et suit l’action et la musique apportant le rythme en accord avec les atmosphères. Le camp du Khan Konchak nous présente les tentes nomades, et les remparts en bois évoquent les défenses de la ville de Putivl. Si l’on pense souvent que les opéras russes sont dominés par les voix graves des hommes, deux beaux rôles de femmes sont distribués dans cet opéra. Anna Markarova est une superbe Yaroslavna d’allure, de maintien et de voix. Une voix puissante qui donne un joli duo avec Igor, alors qu’il va partir, avec des aigus qui portent
au loin. Mais voix qui peut se faire plus douce alors qu’elle est sur les remparts et évoque le Dniepr qui coule au loin dans un chant plus oriental accompagné par la clarinette. Morceau de bravoure pour une chanteuse, sensible et bien interprété, faisant ressortir ses peines et son angoisse, rythmé par des chants de femmes quasi religieux en coulisses. Mais voix qui peut aussi se faire incisive dans son courroux contre son frère le prince Galitsky. La voix solide d’Anna Markarova s’impose ici par ses couleurs dans de jolis phrasés. La voix sombre d’Olga Borodina fait merveille dans le rôle de Konchakovna. Cette voix remarquable semble s’être affinée dans ses prises de notes piano et propose une ligne de chant homogène aux phrasés mélodieux ; tendre amoureuse, elle laisse transparaître ses sentiments dans des couleurs nuancées avec un timbre chaleureux et de longues notes tenues sur une belle longueur de souffle, donnant avec Vladimir un beau duo d’amour équilibré, chanté dans une même esthétique musicale et finissant par un superbe aigu chanté à deux voix. Superbe ! Belle voix aussi, celle d’Elena Ushakova la jeune polovtsienne au soprano limpide et aux accents orientaux. Le Prince Igor de Roman Burdenko impose sa voix de baryton sonore et projetée avec des aigus larges et pleins. Dans un chant investi, ses graves résonnent et laissent percer ses doutes dans de beaux phrasés. Avec un jeu sobre, sa voix homogène dans chaque tessiture affirme sa puissance dans une rondeur de son qui séduit et fait résonner les accents slaves qui sont l’apanage des voix graves russes. Une voix à la hauteur du rôle. Face à lui, le Khan Konchak de Mikhail Kolelishvili au coeur aussi généreux que la voix. Superbe voix projetée aux graves veloutés. Il impose son rôle dans un manteau noir de fourrure porté sur une cuirasse dorée et chante son air dans une ligne de chant où diction rime avec souffle tout en laissant éclater ses aigus. autre voix grave, celle du baryton-basse Vladimir Vaneyev qui interprète un prince Galitsky viveur et grand buveur à la voix solide, pleine et forte aux beaux aigus projetés. Il nous fait entendre une chanson rythmée dans de belles couleurs de voix avec longueurs de souffle toujours timbrées. Diction et jeu appropriés le font remarquer. Evgeny Akimov est le prince Vladimir, prisonnier mais amoureux. Il déploie sa voix de ténor projetée dans un air qui fait ressortir ses aigus et sa sensibilité. Si ses graves paraissent un peu moins timbrés, il nous propose un chant au phrasé mélodieux qui fait ressortir sa musicalité. Voix homogène jusque dans ses aigus en demi teinte et chant sentimental pour un duo d’amour. Dans cette production chaque rôle semble bien distribué. L’Ovlur de Nikolai Gassiev nous fait entendre sa voix de ténor dans une interprétation inquiète et rythmé. Grigory Karasev, Skula (basse) et Andrei Zorin Yeroshka (ténor) interprètent avec bonheur les deux déserteurs dans des voix sonores, très en place rythmiquement et scéniquement révélant un jeu très convainquant. Il est à noter la bonne tenue du Choeur très bien préparé par Andrei Petrenko, qui a su en toutes occasions faire ressortir les accents slaves contenus dans la partition. Superbe d’homogénéité et de compréhension musicale. Choeur langoureux ou plaintif de femmes, ou moment d’émotion avec le choeur des boyards sonore et puissant. Belle compréhension scénique avec des mouvements précis et rythmés. Vladislav Karklin était à la tête de l’orchestre du Théâtre Mariinsky. Un orchestre pour lequel le répertoire russe n’a plus de secrets. Orchestre qui sonne dans une partition fournie où les percussions et les cuivres sont souvent à l’honneur. C’est dans des tempi assez vifs et une direction nerveuse que le maestro prend à bras le corps plateau et orchestre. Sans doute se laisse-t-il aller à diriger un peu trop fort un orchestre qui sonne naturellement enlevant ainsi un peu de grandeur à certaines phrases. Mais les atmosphères sont bien rendues avec des solistes qui étayent les couleurs des voix, ( violon solo, clarinette solo). Une représentation russe en tous points qui a ravi le public autant musicalement que visuellement. Un grand moment d’évasion. Photo Natasha Razina