Paris, Opéra Bastille, saison 2019/2020
“KNJAZ IGOR” (Le prince Igor)
Opéra en 4 actes, livret d’Alexandre Borodine, d’après Vladimir Stassov, lui même adapté du Dit de l’ost d’Igor
Musique Alexandre Borodine
Prince Igor ILDAR ABDRAZAKOV
Iaroslavna ELENA STIKHINA
Vladimir PAVEL CERNOCH
Prince Galitski DMITRY ULYANOV
Kontchak DIMITRY IVASHCHENKO
Kontchakovna ANITA RACHVELISHVILI
Skoula ADAM PALKA
Ierochka ANDREI POPOV
Ovlour VASILY EFIMOV
La Nourrice MARINA HALLER
Une jeune polovtsienne IRINA KOPYLOVA
Orchestre et Choeurs de l’Opéra national de Paris
Direction musicale Philippe Jordan
Chef des ChoeursJosé Luiz Basso
Chef des ChoeursJosé Luiz Basso
Mise en scène Barrie Kosky
Décors Rufus Didwiszus
Costumes Klaus Bruns
Lumières Franck Evin
Chorégraphie Otto Pichler
Paris, le 1er décembre 2019
Après avoir présenté, en 2018, Boris Godunov, de Modeste Moussorgski, Stephane Lissner proposait Le Prine Igor, une autre grande épopée russe. L’ouvrage d’Alexandre Borodine, assez peu représenté, entrait pour la première fois au répertoire de l’Opéra de Paris. Ouvrage très attendu qui se jouait à guichet fermé en ce dimanche après-midi. Pourrait-on titrer “Quand le sublime côtoie la médiocrité” ? Sublime musique, superbe interprétation, médiocre mise en scène qui a été copieusement huée le soir de la première. En cet après-midi du 1er décembre le calme est revenu ; le metteur en scène Barrie Kosky ne s’étant pas présenté, un déluge d’applaudissements saluait chanteurs et chef d’orchestre. Peut-on considérer cette oeuvre comme un ouvrage communautaire ? Alexandre Borodine étant décédé avant de l’avoir terminé, Nikolaï Rimsky-Korsakov et Alexandre Glazounov ont orchestré et mis en forme cet opéra, composant même entièrement quelques passages. Pour se tenir au plus près de la composition d’Alexandre Borodine, le metteur en scène a pris le parti de supprimer certaines parties de l’ouvrage n’ayant pas été écrites par le compositeur, ainsi l’acte III. Remaniement aussi avec une ouverture (orchestrée par A. Glazounov) placée entre les actes II et IV, et le second monologue d’Igor chanté à l’acte IV. Si ces changements ne nuisent pas à la compréhension de l’ouvrage, l’adaptation imaginée par le metteur en scène est, elle, plus problématique. Igor n’est plus le héros du récit médiéval acclamé par son peuple au retour de captivité, mais une sorte de looser assailli par les doutes qui le tourmentent dès le début. Nous ne sommes plus au XIIe siècle quand les princes russes règnent sur leur ville, mais dans une Russie contemporaine où règnent violence, corruption et kalachnikov. Si cette mise en scène nous prive de ces ambiances russes aux costumes fastueux, elle nous plonge dans une laideur constante baignant dans des teintes ternes. Seul point positif à mettre à l’actif du metteur en scène, une direction des acteurs assez fouillée, mais allant dans une direction que nous n’aurions pas aimé emprunter. les décors conçus par Rufus Didwiszus nous avaient agréablement surpris au prologue, qui nous faisaient entrer dans une superbe église russe toute dorée, Igor assis au milieu sur un trône, se détachant du noir environnant dans lequel le choeur était plongé. Seule faute de goût, une immense croix catholique en néon blanc. Hélas ! le deuxième tableau nous emmenait chez le prince Galitski où un barbecue était proposé au bord d’une piscine pour une beuverie. Point de tente dans les steppes chez Kontchak le polovtsien, mais un horrible sous-sol où sont jetés les prisonniers et, pour finir, une portion de route où le peuple n’acclamera qu’un simple d’esprit (référence à Boris Godounov ?) Les lumières de Franck Evin tentent de créer des atmosphères mais ne parviennent qu’à créer un malaise. Que dire des costumes créés par Klaus Bruns à part qu’ils n’ont rien d’attrayant et paraissent parfois incongrus, comme le costume gris, très bien coupé, d’un Kontchak version Machiavel devant un Igor sanguinolent. Soldats, déserteurs en treillis, peuple dépenaillé et robe de cocktail pour l’entrée en scène de Iaroslavna. Horrible chorégraphie conçue par Otto Pichler qui mélange prisonniers russes et esclaves polovtsiens dans des danses de sauvages, pourtant moment phare de l’opéra. Unique moment agréable : quelques tours de danse dans de longues robes faites de morceaux d’étoffes colorées. Mais tâchons d’oublier ce fatras pour nous concentrer sur les voix. Des voix slaves, profondes et colorées. Elena Stikhina nous propose une Iaroslavna d’une justesse d’interprétation époustouflante. Sensible, émouvante, elle est l’âme de cet opéra. Une voix claire et pourtant moelleuse, percutante, aux aigus purs et tenus. La soprano russe déploie une ligne de chant homogène d’une rare beauté dans chaque registre. Un véritable régal ! Somptueuse Anita Rachvelishvili qui incarne une Kontchakovna amoureuse et passionnée dans une voix voluptueuse. Voix profonde et équilibrée qui s’est peut-être même affinée dans son émission. Souffle, chaleur du timbre avec des graves sonores jamais poitrinés et des piani veloutés. Rôle court mais largement ovationné. Un rare plaisir ! On apprécie aussi le soprano clair de Irina Kopylova la Jeune polovtsienne. Plus présent que jamais, Ildar Abdrazakov interprète Igor, présenté comme un looser par le metteur en scène. La basse russe affirme sa présence dans une voix large et profonde aux inflexions dramatiques. Avec une voix sonore aux aigus pleins, Ildar Abdrazakov sait allier puissance et rondeur de son, chaleur du timbre et phrasé. Ses graves venus des profondeurs résonnent sans forcer et de jolies nuances laissent percer la tendresse à l’évocation de la douce Iaroslavna. Joli duo de basses avec le Khan Kontchak chanté par Dimitry Ivashchenko dans une voix solide sur une belle longueur de souffle. Expressivité et projection font de ce rôle un moment de grande tension. Autre voix de basse, celle de Dmitry Ulyanov. Un prince Galitski brutal qui utilise sa projection pour faire ressortir le caractère vulgaire du personnage mais qui sait aussi utiliser sa voix sonore et bien placée pour des phrases musicales. Le ténor Pavel Cernoch campe un Vladimir émouvant dans une voix claire et sonore qui laisse transparaître ses sentiments dans un beau duo d’amour avec Kontchakovna. Phrasé et legato sur une belle longueur de souffle. Belle voix de ténor, en place, pour l’Ovlour convaincant de Vasily Efimov. Adam Palka (basse) Skoula et Andrei Popov (ténor) Ierochka forment un couple de déserteurs aux voix opposées mais qui, de ce fait, animent et convainquent. Intelligence du jeu et puissance vocale pour des personnages de premier plan. On ne peut que louer la prestation du choeur préparé par José Luis Basso. Homogénéité des voix, accents slaves, précision des attaques et justesse de jeu. Interprétation magistrale ! Philippe Jordan a su tirer le meilleur de son orchestre. Tempi allant, nuances appropriées, soutient des chanteurs, mais surtout une compréhension de la musique russe et de ses couleurs qui fait ressortir chaque accent, chaque respiration ainsi que les phrases musicales de chaque instrument soliste. Philippe Jordan a pu, avec énergie et des gestes larges, nous transporter en Russie, ce que n’ont pas su faire le metteur en scène et son équipe. In fine, des ovations très méritées pour tous les artistes et pour ce grand moment de musique. Photo Agathe Poupeney