Marseille, opéra municipal, saison 2019/2020
“LA REINE DE SABA”
Opéra en 4 actes, livret de Jules Barbier et Michel Carré, inspiré du recueil de Gérard de Nerval, Voyage en Orient
Musique de Charles Gounod
Balkis KARINE DESHAYES
Bénoni MARIE-ANGE TODOROVICH
Sarahil CECILE GALOIS
Adoniram JEAN-PIERRE FURLAN
Soliman NICOLAS COURJAL
Amrou ERIC HUCHET
Phanor REGIS MENGUS
Méthousaël JERÔME BOUTILLIER
Sadoc ERIC MARTIN-BONNET
Orchestre et Choeur de l’Opéra de Marseille
Direction musicale Victorien Vanoosten
Chef de Choeur Emmanuel Trenque
Marseille, le 22 octobre 2019
Version concertante pour cette “Reine de Saba” l’opéra de Charles Gounod, créé à Paris à la salle Le Peletier le 28 février 1862, présenté par l’Opéra de Marseille en ce mois d’octobre. Oublié cet opéra ? Peut-être pas, mais certainement peu représenté. Charles Gounod, très apprécié par le public marseillais dans les décennies passées, retrouve avec bonheur cette scène après son “Faust” joué la saison dernière. Cette page biblique, privée du faste de la mise en scène, devra son succès aux chanteurs et à la musique. Comme dans “La Flûte enchantée” qui se basait sur les rites maçonniques, on peut voir ici le côté ésotérique cher aux francs-maçons qui retrouvent avec Hiram, l’architecte du fabuleux Temple de Salomon, les bases de la franc-maçonnerie. Si Charles Gounod n’a pas fait dans la demi-mesure avec une orchestration digne de cette épopée (marches triomphales, passages retentissants avec cuivres éclatants), il n’a pas non plus ménagé les voix : parties de Choeurs monumentales et nombreux airs pour solistes qui sollicitent des tessitures haut perchées ; l’on y retrouve des envolées du compositeur avec certains accents de “Faust”, de “Roméo et Juliette” ou plus bucoliques de “Mireille”. Ecoutons donc cette musique sans apriori et surtout sans penser que c’est une oeuvre mineure, ce qu’elle n’est pas. A Jean-Pierre Furlan revenait la tâche d’être l’architecte Adoniram dans cette terrible écriture pour un ténor devant lutter contre un orchestre aux cuivres sonores et un immense Choeur, dans un registre constamment sur les hauteurs. Le ténor français que l’on avait applaudi la saison dernière dans le rôle du vieux Faust (Faust, de Charles Gounod) défend ce rôle, réussissant à transcrire ses émotions dans une diction parfaite. descendant de Caïn, il en a la fierté, fierté aussi de l’oeuvre qu’il sait pouvoir édifier, tout en laissant percevoir dans son interprétation aussi bien les doutes qui l’assaillent que la tendresse éprouvée pour la belle Balkis. Très bel air d’entrée “Faiblesse de la race humaine” chanté avec vaillance et superbe duo avec Balkis. On pourrait reprocher à Jean-Pierre Furlan de chanter souvent en force, mais avec l’écriture tendue et le dispositif orchestral, on ne peut qu’applaudir à cette performance qui donne vie et présence à un personnage qui ne faiblit jamais, même devant le roi Soliman interprété ici par la basse française Nicolas Courjal. Moins tendu ce rôle requiert toutefois une large tessiture car aux aigus sonores répondent des graves venus des profondeurs abyssales. Mieux en seconde partie, la voix de Nicolas Courjal s’assouplit et atténue cette fâcheuse envie de pousser les sons. Les phrases chantées piano font ressortir le timbre chaleureux de sa voix avec un legato plus sensible dans l’air “Sous les pieds d’une femme…” qui réussit à émouvoir. Ses doutes aussi devant l’affirmation des traîtres se laissent entendre dans sa voix. Si nous restons convaincus qu’une plus grande souplesse donnerait plus de rondeur à sa voix, nous reconnaissons toutefois que Nicolas Courjal est ici une des piliers du Temple. est-il vraiment de petits rôles ? Bien chantés ils font partie intégrante de l’ouvrage et d’un succès. Les trois traîtres que sont Eric Huchet (Amrou) à la voix de ténor percutante, Jérôme Bourtillier (Methousaël) baryton à la voix onctueuse et Régis Mengus (Phanor) voix aussi de baryton bien timbrée, participent au succès par l’homogénéité de leurs voix, le rythme soutenu et la compréhension des rôles qui donnent trios et quatuors toniques et toujours en place. Belle voix de basse pour Eric Martin-Bonnet (Sadoc) aux interventions justes et sonores. Karine Deshayes est cette reine Balkis qui défiera le roi Soliman dans une voix superbe, claire, juste et sensible dont les prises de notes délicates charmeront aussi bien Soliman qu’Adoniram. Cette admirable chanteuse, deux fois sacrée Artiste Lyrique de l’année, projette ses aigus sans aucune dureté sur de belles longueurs de souffle. Le talent et la musicalité de Karine Deshayes se mesurent aussi bien dans ses airs, ou cavatine ” Plus grand dans son obscurité…” de l’acte III, que dans ses duos avec Adoniram ou Soliman. Envoûtante Balkis ! Mais étonnante Marie-Ange Todorovitch dans le rôle travesti de Bénoni dans une tessiture montant jusqu’au la à laquelle elle ne nous avait pas habitués. D’entrée la vaillance de sa voix, la clarté de ses aigus surprennent et soulèvent l’enthousiasme. Voix fraîche de jeune homme, professionnalisme d’une artiste et un sans faute pour ce rôle. Une mezzo-soprano qui peut passer de l’Electra de Richard Strauss à l’amusante Isabella de l’Italienne à Alger de Rossini avec l’aisance d’une artiste accomplie. Cécile Galois (Sarahil) complète avec bonheur ce plateau avec une voix projetée et une belle présence dans chacune de ses interventions. Dans cette page biblique où le peuple est omniprésent, le Choeur déploie une palette de couleurs vocales et de nuances musicales assez impressionnantes et l’on peut percevoir tout le travail fait en amont avec le chef du Choeur Emmanuel Trenque. Attaques précises, homogénéité des voix, dans la stupeur comme dans l’éclat. Choeur féminin joyeux, Choeur masculin plus sombre et Choeur mixte monumental. Victorien Vanoosten était à la baguette. Chef assistant de Lawrence Foster à l’opéra de Marseille de 2015 à 2017 et pianiste concertiste, il mène maintenant sa carrière en toute liberté. La gestuelle est claire, énergique et arrive avec de larges gestes à créer des sons à faire s’écrouler les murs du Temple. Mais n’est-ce pas trop dans cette continuité de fortissimi obligeant les solistes à chanter en force ? L’orchestre est à l’écoute et dans les passages d’une plus grande souplesse l’on peut apprécier le moelleux des cordes, la sensibilité du clarinettiste solo Valentin Favre ou le son pur du violon solo Da-Min Kim qui s’exprime dans une grande liberté avec légèreté, souplesse et musicalité dans le seul passage non coupé du ballet. Il est à noter aussi la terrible efficacité des cuivres, ensemble, éclat et rondeur de sons. Une représentation qui finit dans de longs applaudissements. Venu avec un léger questionnement, le public repart conquis par cette oeuvre qu’il ne connaissait pas, mais ravi de cette découverte. Photo Christian Dresse