Théâtre Antique, Orange, Chorégies 2019
“DON GIOVANNI”
Dramma giocoso en deux actes, livret de Lorenzo da Ponte
Musique de Wolfgang Amadeus Mozart
Don Giovanni ERWIN SCHROTT
Le Commandeur ALEXEÏ TIKHOMIROV
Donna Anna MARIANGELA SICILIA
Don Ottavio STANISLAS DE BARBEYRAC
Donna Elvira KARINE DESHAYES
Leporello ADRIAN SÂMPETREAN
Masetto IGOR BAKAN
Zerlina ANNALISA STROPPA
Orchestre de l’Opéra de Lyon
Choeur de l’Opéra de Monte-Carlo
Choeur de l’Opéra Grand Avignon
Direction musicale Frédéric Chaslin
Chef des choeurs Stefano Visconti, Aurore Marchand
Chef des choeurs Stefano Visconti, Aurore Marchand
Mise en scène et décors Davide Livermore
Costumes Rudy Sabounghi
Lumières Antonio Castro
Vidéos D-Wok
Orange, le 2 août 2019
Après la fresque historique Guillaume Tell, Don Giovanni investit le Théâtre Antique d’orange pour deux représentations. On pouvait se poser la question : Mozart, dans ce vaste théâtre à ciel ouvert ? La question ne se pose plus. Don Giovanni a triomphé. Depuis sa création à Prague le 29 octobre 1787 sous la baguette du compositeur, le chef d’oeuvre de Wofgang Amadeus Mozart n’a jamais quitté l’affiche. Ce “Dramma giocoso” passe avec intelligence et souplesse du style bouffe au drame, sans pathos. L’écriture imagée démontre la grande connaissance des caractères, mais aussi l’immense talent du compositeur qui passe avec justesse d’un style à l’autre sans rupture, illustrant à merveille les particularités de chaque personnage. La mise en scène a été confiée à Davide Livermore. Si le metteur en scène fait ses débuts aux Chorégies, il est un grand habitué des scènes théâtrales où il officie depuis 22 ans, et cela dans tous les registres qui touchent à la scène. C’est sans doute cette grande connaissance du théâtre qui lui a permis de donner ce rythme soutenu aux acteurs dans une direction scénique millimétrée. Aucun décor et une mise en scène peu cohérente toutefois. Ce sera donc au talent des chanteurs que reviendra le succès de ce Don Giovanni dans un mélange des époques qui n’a pas de sens et qui n’apporte rien. Davide Livermore a-t-il voulu donner à ce Don Giovanni un éclairage nouveau, intemporel ? Heureusement Mozart et sa musique triomphent toujours de ces originalités les reléguant à l’arrière plan. Deux voitures sur scène, un taxi jaune qui arrive sur les dernières notes de l’ouverture dans un grand crissement de pneus ; il servira de véhicule mais aussi de pavillon où l’on pourra s’isoler, se cacher ou échanger quelques serments.Une autre voiture, noire, amènera le Commandeur et ses gardes du corps déboulant style mafiosi. Une calèche aussi tirée par un cheval permettra au trio des masques de venir incognito. De statue de pierre, point. Notre Commandeur mafioso reviendra pistolet au poing pour un échange de coups de feu fatals à Don Giovanni. Rien de vraiment fâcheux, mais rien de talentueux non plus dans cette interprétation qui vaudra de nombreux sifflets au metteur en scène. On a beaucoup de mal à comprendre le parti pris de Rudy Sabounghi pour des costumes qui passent d’une époque à l’autre sans lien évident. Des robes années 50, une robe à paniers de velours rouge pour Donna Elvira, un Don Ottavio vêtu d’un costume noir époque Louis XV/Louis XVI ou d’un smoking, et pour Don Giovanni, pantalon noir et chemise de la même couleur, actuels. D-Wok anime la scène de ses vidéos : ciel étoilé, projections de vieilles photos de femmes, très mal en point, sans doute sorties du catalogue de Leporello et couleurs changeantes sur le sol. Les spectateurs auront vite fait de laisser de côté les allées et venues du taxi jaune pour concentrer leur attention sur le talent des chanteurs. Un plateau de très haut niveau aussi bien vocalement que scéniquement. Erwin Schrott, est ici Don Giovanni. Il aborde le rôle avec la désinvolture d’un débauché sûr de son pouvoir de séduction mais sûr aussi de son impunité. Un personnage qu’il n’arrive pas à rendre totalement antipathique tant il l’interprète avec aisance, panache et naturel. Moins calculateur que le Valmont des Liaisons dangereuses, et plus léger que Casanova avec un goût certain pour le défi. Le public lui pardonne ses frasques et l’applaudit à tout rompre pour sa voix de baryton-basse au timbre chaleureux et homogène, son sens du rythme, du phrasé et une connaissance parfaite de la partition.Son air dit du Champagne “Fingh’han dal vino” est pétillant alors que “Deh ! vieni alla finestra” sur un air de mandoline est chanté avec plus de provocation que d’envie de séduire allongé sur le toit du taxi new yorkais, mais notre incorrigible Don Giovanni fait tourner la tête de Zerlina dans un “Là ci darem la mano” convaincant. Acteur hors pair, Erwin Schrott arrive à nous émouvoir dans ces ultimes moments où il entrevoit l’enfer. Irrésistible et captivant Erwin Schrott ! Le Leporello interprété par Adrian Sâmpetrean est aussi convaincant même si la voix sonne un peu assourdie par moments. Il investit le rôle avec intelligence évitant les outrances possibles du personnage. Du rythme et des duos avec Don Giovanni d’une rare compréhension vocale et scénique. Son air “Madamina, il catalogo è questo” est chanté avec musicalité dans une voix timbrée aux aigus projetés ; il nous fait partager ses peurs et ses révoltes grâce à une grande crédibilité d’expression. Stanislas de Barbeyrac donne de la consistance au rôle de Don Ottavio par son jeu appuyé et une voix de ténor corsée. Si le rôle est un peu falot, il l’investi et chante ses airs avec conviction et un charme certain dans une voix qui passe avec facilité, une belle conduite du chant et du style dans le phrasé. Igor Bakan est ici Masetto. Un amant jaloux, certes, mais qui sait se laisser attendrir par Zerlina. Crédible dans son jeu, sa voix sonore est percutante autant que son caractère est bouillonnant. Une interprétation rythmée et vocalement colorée. Alexei Thikomirov a la stature et la voix d’outre tombe qui conviennent au Commandeur. Mariangela Sicilia, qui venait en remplacement de Nadine Sierra, est une Donna Anna à la voix percutante et à la colère crédible bien qu’elle joue sur l’ambiguïté du personnage ; “Or sai chi l’onore” est chanté avec caractère et passe très bien, alors que “Crudele ?…Non mi dir” plus sensible, fait résonner de beaux aigus. Karine Deshayes est une Donna Elvira somptueuse qui interprète son rôle sans frénésie mais avec détermination, aussi bien dans la colère que dans ses moments d’apaisement. “Mi tradi quell’alma ingrata” est chanté avec force dans une voix incisive au phrasé musical. Agilité et justesse associées à la sensibilité caractérisent le jeu et le chant de la mezzo-soprano. La Zerlina d’Annalisa Stroppa ne manque pas de piquant, mutine elle module sa voix claire comme ses sentiments. Avec de belles attaques et beaucoup de musicalité, elle chante avec goût et un joli style, manipulant avec grâce le jaloux Masetto dans un “Batti, Batti o bel Masetto” teinté de charme et d’impertinence. Les Choeurs de l’Opéra de Monte-Carlo et de l’Opéra Grand Avignon, bien qu’avec des interventions assez courtes ont fait preuve d’une grande intégrité musicale avec des voix homogènes et un jeuapproprié. L’Orchestre de Lyon avec à la baguette Frédéric Chaslin, qui dirigeait sans partition, a su animer ce Don Giovanni avec beaucoup de talent même si les premiers accords semblaient un peu hésitants. Cette première impression vite dissipée l’orchestre, à son meilleur, a su soutenir le rythme de la première à la dernière note. Le maestro, énergique et précis, laisse sonner l’orchestre tout en faisant ressortir les instruments solistes dans une belle unité de sons. Les tempi justes changés avec souplesse donnent légèreté et continuité dans une action soutenue. Souffle, respirations portent les chanteurs sans jamais les couvrir. Un Don Giovanni qui retient l’attention du public jusqu’aux derniers accords sans le secours de cette mise en scène incohérente, Mais un Don Giovanni de grande qualité grâce au talent de chacun pour une représentation très réussie. Photo Bruno Abadie