Aix-en-Provence, Théâtre de l’Archevêché, saison 2019
“TOSCA”
Melodramma en trois actes, livret de Luigi Illica et Giuseppe Giacosa, d’après la pièce de Victorien Sardou
Musique de Giacomo Puccini
Floria Tosca ANGEL BLUE
La Primadonna CATHERINE MALFITANO
Mario Cavaradossi JOSEPH CALLEJA
Il barone Scarpia ALEXEY MARKOV
Cesare Angelotti SIMON SHIBAMBU
Il sagrestano LEONARDO GALEAZZI
Sciarrone JEAN-GABRIEL SAINT MARTIN
spoletta MICHAEL SMALLWOOD
Un carceriere VIRGILE ANCELY
Le Majordome JEAN-FREDERIC LEMOUES
Choeur, Maîtrise et Orchestre de l’Opéra de Lyon
Direction musicale Daniele Rustioni
Chef de Choeur Hugo Peraldo
Mise en scène et vidéo Christophe Honoré
Scénographie Alban Ho Van
Costumes Olivier Bériot
Lumière Dominique Bruguière
Collaborateur à la vidéo Baptiste Klein
Aix-en-Provence, le 6 juillet 2019
Exercice de style, étude de caractère ou immersion dans une répétition? Un peu de tout cela sans doute. Pierre Audi, Directeur général du Festival d’Aix-en-Provence, qui succède à Bernard Foccroulle à ce poste, signe ici sa première édition. Dans une certaine continuité voulant mener son festival vers une recherche moins traditionnelle, il fait entrer Puccini dans le répertoire du Festival d’Aix avec Tosca, l’opéra des opéras. Pour ce faire il fait appel au cinéaste Christophe Honoré dont la mise en scène de Cosi fan tutte en 2016 dans ce même festival avait été diversement appréciée. Pas de Tosca traditionnelle donc. Le metteur en scène, souvent interpelé par le caractère de Diva a voulu faire ressortir toute l’ambiguïté d’une Prima Donna qui, au soir d’une longue et éblouissante carrière doit passer le flambeau à une Diva naissante. Vidéos, flashback, photos, la longue liste des superbes Tosca, de Maria Callas à Shirley Verrett, en passant par Renata Tebaldi, sans oublier Catherine Malfitano, défile sur écran. Le propos peut-être intéressant vu sous l’angle de l’étude, mais enlève toute l’émotion et la tension contenue dans l’ouvrage. Christophe Honoré fait donc appel à deux Tosca. L’une vieillissante, et qui laisse admirablement percevoir ses sentiments contradictoires, prise par la musique, submergée par ses souvenirs, ou simplement effrayée par le talent de la Diva naissante. Grâce soit rendue à Christophe Honoré de n’avoir rien changé à la partition. Et, si le spectateur se trouve déconcerté voire déçu par cette représentation qui ne met pas vraiment les chanteurs en valeur, les brimant même dans l’expression, il lui reste la musique. Visuellement c’est agréable, l’époque est la nôtre. Le scénographe Alban Ho Van nous fait entrer dans la demeure de la Prima Donna qui reçoit toute l’équipe de Tosca pour une répétition filmée. Nous ne verrons donc pas l’intérieur de l’église Sant’Andrea, ni le Palais Farnese, pas plus que le Château Sant’Angelo de l’acte III qui sera simplement évoqué en miniature dans une vidéo. Mais qu’est-ce donc qui a poussé le metteur en scène à faire monter l’orchestre de la fosse sur la scène pour ce dernier acte, un manque d’idée scénique, un manque de moyens ? Nous en profiterons pour apprécier l’orchestre et son chef dans un direct visuel. Seule mourra la Primadonna vieillissante en haut d’un mur. Franc succès ? Pas vraiment avec des sièges qui se libèrent au fil des deux entractes, sans doute des spectateurs déçus de ne pas ressentir les émotions attendues, mais chanteurs très applaudis en fin de représentation. Si l’on prend ce spectacle pour ce qu’il est, un travail sur Tosca, cela se laisse voir sans crier au scandale.Les lumières conçues par Dominique Bruguière sont agréables et adaptées aux pièces de la demeure, avec petites lampes d’atmosphère et cuisine à l’éclairage plus cru où Cavaradossi boit beaucoup ; ce qui lui donnera une gueule de bois alors qu’il est censé chanter sous la torture. Les costumes contemporains d’Olivier Bériot habillent les chanteurs sans extravagance, et la jeune Diva troquera son jean pour la longue robe rouge traditionnelle de Floria Tosca pour tuer Scarpia après avoir chanter le “Vissi d’arte” tant attendu. Incongru ? Au niveau des voix, aucune déception avec un cast superbe. Catherine Malfitano est cette Prima Donna qui regarde encore Mario Cavaradossi avec les yeux amoureux et jaloux de Floria Tosca. Les vidéos de Baptiste Klein et Christophe Honoré nous la montrent alors qu’elle interprétait ce rôle aux côtés de Plàcido Domingo en 1992 pour un superbe film télévisé, tourné à Rome dans les lieux historiques aux heures réelles. Catherine Malfitano, omniprésente sur scène est on ne peut mieux choisie ; ses sentiments s’expriment sur son visage et dans le moindre de ses gestes, donnant de la crédibilité au propos du metteur en scène en revivant ses moments de gloire et ses émotions musicales. Drôle d’idée que de faire chanter la complainte du Pâtre par une Prima Donna vieillissante! Angel Blue a certainement le talent qu’il faut pour devenir une Diva à part entière. Pour la première fois sur la scène du Festival d’Aix-en-provence et dans une prise de rôle, la soprano américaine nous dévoile ses possibilités vocales et scéniques. Jeu d’une grande justesse d’expression et voix aux multiples facettes, qui vont des pianissimi veloutés aux aigus superbes, pleins, ronds et tenus. Voix sûre sans dureté, équilibrée, au vibrato agréable. C’est avec une grande musicalité et dans une voix émouvante qu’elle chante son air “Vissi d’arte” alors que la mise en scène n’est pas là pour l’aider ni rendre crédible l’assassinat de Scarpia. Mais grand succès pour pour cette somptueuse soprano qui marque ce spectacle de sa patte vocale. Joseph Calleja est ce Mario Cavaradossi qui a gardé une grande tendresse pour la Prima Donna, en mémoire d’anciennes émotions partagées, mais qui succombera au charme de la nouvelle Floria Tosca. Scéniquement le ténor maltais fait sans doute ce qu’on lui demande, mais il est loin de pouvoir exprimer toute la virilité et la tendresse contenues dans ce rôle où la scène de torture tombe à plat. Il fait de son mieux pour rendre ce rôle crédible avec une voix sonore et projetée au medium homogène. Ses aigus sont sûrs, à peine voilés par moments, mais chanté sans forcer avec les Vittoria ! du deuxième acte lancés avec force et détermination. Son air ” E lucevan le stelle”, introduit par un superbe solo de clarinette, se révèle musical et rempli d’émotion, chanté dans un joli phrasé aux nuances pleines de douceur. Sans l’aide de la mise en scène, Joseph Calleja donne ici le meilleur de son art. Alexey Markov se fera remarquer par la beauté d’une voix sans faiblesse à l’homogénéité parfaite. On apprécie le phrasé, la musicalité et les belles prises de notes sans rudesse. Puissance et ligne de chant cohabitent chez ce baryton russe dont la voix grave laisse percer les harmoniques. On regrette une mise en scène qui ne permet pas de rendre toute la noirceur du personnage. Mais, superbe ! Dans les rôles moins importants, chaque personnage est très en place vocalement et contribue à l’homogénéité de ce plateau équilibré. Simon Shibambu pour un Angelotti sonore, Leonardo Galeazzi dans un sagrestano projeté et rythmé, Michael Smallwood, un Spoletta très en place. Belle intervention de la Maîtrise et du Choeur de l’Opéra de Lyon. Daniele Rustioni donne toute sa dimension à la partition de Giacomo Puccini. Chef permanent de l’orchestre de l’Opéra de Lyon qu’il dirige ici, il a su insuffler aux musiciens la tension, le lyrisme de certaines phrases et l’émotion contenue dans l’ouvrage. Un orchestre au top niveau où intelligence de jeu et musicalité se côtoient avec bonheur. A l’écoute de son chef, l’orchestre réagit aux tempi et aux nuances laissant entendre de très beaux solos : flûte, clarinette, cor, quatuor de violoncelles… Musicalement et vocalement c’est une réussite. Pour le reste il faudrait adhérer au propos. Mais les festivals ne sont-ils pas terre d’expériences ?photo Jean – Louis Fernandez