Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence, Saison 2019
Philharmonia Orchestra
Direction musicale Esa-Pekka Salonen
Violoncelle Truls Mork
Conception sonore (concerto pour violoncelle) Ella Wahlström
Jean Sibelius:”Les Océanides”, poème symphonique pour orchestre, opus 73
Esa-Pekka Salonen:Concerto pour violoncelle
Igor Stravinski:L’Oiseau de feu
Aix-en-Provence, le 10 juillet 2019
Le concert à ne pas manquer en cette saison estivale et plus particulièrement au Festival d’Aix-en-Provence était celui proposé ce soir au Grand Théâtre. A la tête du Philharmonia Orchestra et avec le violoncelliste Truls Monk en soliste, Esa-Pekka Salonen nous conviait à une soirée de musique imagée et assez diversifiée, qui allait réunir trois compositeurs de nationalités différentes : Jean Sibelius (Les Océanides), Esa-Pekka Salonen (Concerto pour violoncelle) et Igor Stravinski (L’Oiseau de feu). Orchestre impeccable de tenue, d’efficacité et surtout de musicalité. La version finale Les Océanides, en ré majeur en un seul mouvement (remaniée plusieurs fois) et créée à Norfolk (USA) le 4 juin 1914 avec le compositeur à la baguette, nous offre un moment de musique expressionniste d’une grande fraîcheur. la petite harmonie joue les atmosphères avec le calme d’un lever du jour mais, sans doute, l’agitation nous révèle des nymphes avec les harpes qui égrainent leurs notes. Les divers instruments, soutenus par le trémolo des cordes affichent les couleurs dans de belles unités sonores. Nous assistons à une descente dans les profondeurs sous-marines sur une longue tenu. Le calme du chef d’orchestre nous éblouit ; sans geste inutile il impose sa vision de l’oeuvre à ses musiciens. La magie opère et, comme l’orchestre, nous nous sentons subjugués par cette direction précise qui donne du souffle avec des respirations suspendues.
Le Concerto pour violoncelle et orchestre composé par Esa-Pekka Salonen était attendu impatiemment ; tout d’abord afin de découvrir l’oeuvre écrite par ce compositeur chef d’orchestre éminemment célèbre, jouée ici en création française, mais aussi afin d’écouter le violoncelliste norvégien de renommée internationale Truls Monk. Une oeuvre imaginative qui met en valeur le soliste mais dans un mode plus intensif que virtuose et dans une partition pourtant réputée pour sa difficulté. Le compositeur avoue vouloir rechercher une autre forme de maestria, dans l’intensité, l’introspection et une certaine recherche harmonique dans les sons. Dans une sorte de métaphore cosmique, le soliste suit une trajectoire sonore laissant filer dans son sillage la queue d’une comète imaginée. Esa-Pekka Salonen va chercher l’inspiration dans les nuages laissant l’archet du violoncelliste effectuer des volutes sonores et visuelles sur des bariolages expressifs. Le compositeur utilise tous les instruments mis à sa disposition pour créer les atmosphères sorties de son imagination : flûte en sol, petite clarinette, clarinette basse ou contrebasse, contrebasson, célesta, piano, bongos, congas, xylophone en gouttes d’eau, mais aussi avec la conception sonore d’Ella Wahlstrom qui reprend en écho les sons du violoncelle. Effet garanti ! Si l’orchestre suit avec précision la direction millimétrée et pourtant onirique du chef d’orchestre, laissant ressortir les atmosphères dans des sonorités somptueuses ou plus marquées, le violoncelliste norvégien défend avec maestria cette oeuvre originale mais d’une grande portée musicale avec un vibrato intense et habité qui projette au loin les sonorités. Le soliste donne corps aux idées du compositeur qui veut trouver une certaine virtuosité dans les respirations ou les harmonies statiques et suspendues. Une partition qui donne libre cours à la frénésie dans un duo truls Mork et Emmanuel Curt aux congas et bongos. Cette oeuvre et cette interprétation ont captivé un public qui s’est déchaîne en applaudissements après les dernières notes. Superbe ! L’Oiseau de feu, commande de Serge Diaghilev pour Les Ballets russes et créé le 26 juin 1910 à l’Opéra de Paris, a certainement rendu Igor Stravinski célèbre. Ecriture novatrice, énorme orchestre. L’oeuvre est présentée ici dans sa version originale de 1910. Sans partition et avec une rare élégance, Esa-Pekka Salonen nous fait vivre ce conte russe dans toutes les inflexions voulues par le compositeur. Les changements de tempi sont rapides et nets, une petite harmonie d’une précision horlogère, des percussions présentes ; l’énorme travail sur les sonorités fait ressortir les instruments solistes et nous passons de la nostalgie au ravissement. Il n’est pas possible de passer en revue chaque famille d’instruments mais ce tableau sonore ne peut que subjuguer avec les couleurs, les rythmes, les nuances effectués avec une grande intelligence musicale ainsi qu’une grande compréhension du texte. Sons exacerbés, cordes déchaînées ou calme nostalgique sur un solo de basson. Cette musique expressive, jouée à ce degré de perfection et dirigée par un chef d’orchestre fascinant qui sait aussi bien faire résonner les notes que les laisser respirer a captivé une salle entière. Peu de gestes, si ce n’est avec une grande précision, pas de sauts intempestifs, mais une interprétation rarement égalée. Un immense bravo pour le chef et son orchestre. Un concert mémorable et inoubliable. Un bis entraînant sur une musique de Kurt Weill en référence à Grandeur et décadence de Mahagonny joué quelques jours auparavant et, dans un tout autre registre, Maurice Ravel Les contes de ma mère l’Oie Le jardin féérique. Majestueux jardin qui donne la parole au violon solo.