Marseille, Opéra municipal saison 2018/2019
“RIGOLETTO”
Opéra en 3 actes, livret de Francesco Maria Piave d’après Le Roi s’amuse drame romantique de Victor Hugo
Musique de Giuseppe Verdi
Gilda JESSICA NUCCIO
Maddalena ANNUNZIATA VESTRI
Giovanna CECILE GALOIS
La Comtesse Ceprano LAURENCE JANOT
Le Page CAROLINE GEA
Rigoletto NICOLA ALAIMO
Le Duc de Mantoue ENEA SCALA
Sparafucile ALEXEY TIKHOMIROV
Le Comte Monterone JULIEN VERONESE
Marullo ANAS SEGUIN
Matteo Borsa CHRISTOPHE BERRY
Le Comte Ceprano JEAN-MARIE DELPAS
l’officier ARNAUD DELMOTTE
Orchestre et Choeur de l’Opéra de Marseille
Direction musicale Roberto Rizzi-Brignoli
Chef de Choeur Emmanuel Trenque
Mise en scène Charles Roubaud
Décors Emmanuelle Favre
Costumes Katia Duflot
Lumières Marc Delamézière
Vidéos Virgile Koering
Marseille, le 1er juin 2019
Après le triomphe de Turandot le mois dernier, l’Opéra de Marseille offrait Rigoletto à son public en clôture de la saison 2018/2019. Les places s’étant vendues rapidement, l’opéra affichait complet en cette soirée de première. Il faut dire qu’à Marseille Rigoletto est un peu un opéra fétiche, et nombreux sont les spectateurs qui se souviennent des triomphes remportés sur cette scène où Leo Nucci, un Rigoletto d’anthologie, trissait l’air de la “Vendetta” aux côtés de la magnifique Gilda de Christine Weidinger avec Michelangelo Veltri à la baguette. Mais, pour apprécier cette représentation il faut faire table rase de ses souvenirs et se laisser aller au plaisir du moment. Il faut dire, et répéter même, que Maurice Xiberras, Directeur général de l’Opéra de Marseille, a le “chic” pour toujours composer ses plateaux dans un souci de qualité et d’homogénéité. La production de ce Rigoletto est celle de Charles Roubaud, déjà présentée aux Chorégies d’Orange en 2017, mais adaptée aux dimensions de la scène de l’Opéra de Marseille. Charles Roubaud est le garant d’une mise en scène qui respecte l’histoire et la musique des opéras, dans l’esprit du compositeur, même si une transposition dans le temps est, comme ici, effectuée. En effet, nous sommes aux alentours des années 1930 et les lampes posées sur les tables dressées pour la fêtes organisée chez le duc de Mantoue nous le confirment. La gigantesque marotte imaginée par Emmanuelle Favre qui meublait l’immense scène du Théâtre Antique d’orange est conservée mais dans des dimensions adaptées. Décor unique aux proportions réduites ici. Si cette marotte qui se colore suivant les situations illustre à elle seule le rôle du bouffon qui, ce soir, a perdu sa bosse, elle réduit de beaucoup la place laissée aux acteurs. Il faudra toute l’ingéniosité du metteur en scène pour faire évoluer avec aisance les danseurs de la fête au premier acte. Utilisant le manche de cette marotte en passerelle, la surface est ainsi confortablement agrandie. Un Rigoletto plus intime mais qui enlève une certaine grandeur aux scènes en cantonnant les chanteurs sur le devant de scène, limitant les déplacements et la gestuelle. Oubliant d’autres productions, nous nous immergeons dans celle imaginée par Charles Roubaud, aidé en cela par les costumes toujours de bon goût conçus par katia Duflot, regrettant au passage l’habit de chasseur du duc de Mantoue qui ne le met absolument pas en valeur. Les vidéos de Virgile Koering permettent de passer sans transition du jardin de la maison de Rigoletto à l’auberge tenue par Sparafucile, laissant les lumières imaginées par Marc Delamézières créer les atmosphères différents avec un orage, aux éclairs lumineux, aussi inquiétant que la musique. Plateau homogène disions-nous malgré deux prises de rôles et non des moindres puisqu’il s’agit de Rigoletto et du duc de Mantoue. Nicola Alaimo est ce Rigoletto qui, sans ses attributs de bouffon, réussit à rendre ce rôle impressionnant et d’une grande crédibilité malgré le peu d’espace scénique qui lui est octroyé. Ce baryton que nous avions tant apprécié dans le rôle titre de Falstaff sur cette scène en 2015 donne cette dimension dramatique à Rigoletto et nous vivons avec lui ses doutes, ses colères et son chagrin. Sa voix naturelle est projetée sans exagération rendant avec musicalité ses émotions et, si elle manque parfois d’une peu de force, c’est la beauté du timbre et du phrasé, sur une belle longueur de souffle, que l’on retiendra principalement. Avec des passages d’intense émotion entre colère, tendresse et chagrin ultime, son “Pietà signori pietà !” fait monter les larmes aux yeux des spectateurs. Une prise de rôle assurée et réussie qui se transforme en triomphe à l’applaudimètre. Autre prise de rôle réussie pour Enea Scala et son duc de Mantoue. Il est ici un duc de Mantoue volage à souhaits qui évolue avec aisance et détermination dont les prises de notes franches séduisent aussi bien Gilda que le public. Projection, agilité dans les vocalises, justesse dans les passages acapella et insolence dans le timbre sont les qualités que l’on remarque et que l’on aime chez le ténor italien. Et même si, en cette soirée de première, il chante parfois un peu en force, on apprécie sa voix lumineuse et l’éclat de ses aigus faciles et soutenus. Succès assuré pour cette prise de rôle. Voix d’outre tombe pour le Sparafucile d’Alexey Tikhomirov. Une grande présence physique et vocale donnent à ce personnage la dimension inquiétante d’un tueur à gage maître de lui, de sa voix et des événements. Une voix sonore et des respirations justes pour un personnage éminemment inquiétant. La malédiction lancée par le comte Monterone de Julien Véronèse dans une voix de justicier résonne aussi bien dans le public que dans le coeur d’un Rigoletto accablé. Chaque second rôle se fait apprécier par la justesse d’une interprétation même brève. On note Anas Séguin dans un Marullo très à l’aise, Christophe Berry pour un Matteo Borsa percutant, Jean-Marie Delpas, un comte Ceprano toujours en place vocalement et scéniquement et l’Officier rythmique d’Arnaud Delmotte. La naïve Gilda de Jessica Nuccio est ici très à l’aise dans ses sentiments et sa voix. Amoureuse prête à affronter la honte et la mort, elle égrène ré bémol et ré dièse avec assurance et musicalité. Sa voix agréable et homogène laisse ressortir un vibrato intense et maîtrisé tout au long de son chant. Joli phrasé et respirations bien venues font apprécier sa musicalité malgré quelques moments un peu plus scolaires. Superbes duos avec le duc dans une même esthétique musicale ou avec Rigoletto pour des moments de tendresse. très appréciée du public, Jessica Nuccio sera très applaudie pour une interprétation qui participe au succès de l’ouvrage. Annunziata Vestri campe ici une Maddalena des plus sensuelles. Sa voix grave, profonde et projetée résonne avec une certaine volupté. Plateau homogène aussi avec la Giovanna de Cécile Galois que l’on apprécie sur cette scène dans chacun de ses rôles, dans une voix généreuse et en place. Brève intervention de Caroline Gea très en place dans son rôle de Page, ici une soubrette. Le Choeur de l’Opéra de Marseille est ici un Choeur uniquement masculin. Très bien préparé par Emmanuel Trenque, il est très investi scéniquement, donnant du rythme à l’action et très en place vocalement avec des attaques franches et précises et une grande homogénéité de voix. A la baguette, on retrouve le maestro Roberto Rizzi-Brignoli, habitué maintenant à cet orchestre et qui remplace Laurence Foster initialement prévu. Dans des tempi justes, il donne rythme et relief à chaque scène, faisant résonner l’orchestre sans toutefois couvrir les chanteurs. Sa direction un peu nerveuse par moments laisse les solistes de l’orchestre s’exprimer avec souplesse pour des solos de violon, violoncelle ou clarinette aux accents remplis d’émotion. Attaques de trompettes justes, flûtes mystérieuses pour un orage inquiétant, homogénéité des cordes, timbales présentes et petite harmonie précise donnent à cette représentation tous les accents voulus par le compositeur dans une riche palette d’émotions. De longs, longs rappels et des bravi sonores clôturent cette saison qui a fait l’unanimité des spectateurs. Un grand bravo ! Photo Christian Dresse