Marseille, Opéra Municipal, saison 2018 / 2019
“TURANDOT”
Drame lyrique en trois actes, livret de Giuseppe Adami et Renato Simoni, d’après la fable de Carlo Gozzi, Turandotte.
Musique de Giacomo Puccini
Turandot RICARDA MERBETH
Liù LUDIVINE GOMBERT
Deux jeunes filles EMILIE BERNOU et MELANIE AUDEFROY
Calaf ANTONELLO PALOMBI
Timur JEAN TEITGEN
Ping ARMANDO NOGUERA
Pang LOÏC FELIX
Pong MARC LARCHER
Altoum RODOLPHE BRIAND
Le Mandarin OLIVIER GRAND
Le Prince de Perse WILFRIED TISSOT
Orchestre et Choeur de l’Opéra de Marseille
Direction musicale Roberto Rizzi Brignoli
Chef de Choeur Emmanuel Trenque
Directeur de la Maîtrise des-Bouches-du-Rhône Samuel Coquard
Mise en scène Charles Roubaud
Costumes Katia Duflot
Décors Dominique Lebourges
Lumières Marc Delamézière
Vidéo Camille Lebourges
Marseille, le 27 avril 2019
Très attendu à l’Opéra de Marseille, Turandot, l’ultime opéra de Giacomo Puccini, s’avère être un triomphe. Plus aucun fauteuil de libre en cette soirée de première. Maurice Xiberras, le directeur général, fidèle à ses goûts et ses convictions, avait choisi la production de Charles Roubaud, une valeur sûre, connu pour ses mises en scènes élaborées dans un grand respect du texte, de la musique, du compositeur et des chanteurs. Certains se souviennent avoir vu cette production présentée avec succès dans le vaste Théâtre Antique des Chorégies d’Orange en 2012. Ici, sur la scène de l’Opéra de Marseille, à l’intérieur et dans un espace réduit, nous nous trouvons immergés au coeur de ce conte onirique et dramatique entourés par les pupitres de percussions dispersés dans les loges d’avant-scène. Impossible de s’évader un instant tant les côtés sonores et visuels vous scotchent pendant plus de deux heures dans votre fauteuil. On le sait, Giacomo Puccini est mort avant d’avoir terminé son opéra, les dernières notes écrites de sa main s’arrêtent à la mort de Liù. D’ailleurs, lors de la création de l’ouvrage, le 25 avril 1926 à la Scala de Milan Arturo Toscanini, qui dirigeait l’orchestre posa sa baguette à cet instant précis refusant de diriger une fin composée par un autre que Puccini. Après plusieurs remaniements, le compositeur Franco Alfano signe une fin traditionnellement jouée depuis. C’est celle que nous écouterons ce soir. Inutile de préciser qu’il faut des voix hors normes pou interpréter ces personnages face à cette musique puissante, violente même qui contraste avec le caractère de glace de la princesse Turandot. Ici aucune faiblesse. Chanteurs, orchestre, mise en scène, tout concourt à décrire la puissance des sentiments, aussi bien dans la cruauté de Turandot que dans l’amour sans condition de Liù ou dans l’inconscience tumultueuse d’un orgueilleux Calaf. Avec les éléments de décors conçus par Dominique Bourges nous sommes en Chine. Rien de surchargé, mais une simplicité évidente qui laisse évoluer les chanteurs avec aisance. En fond de scène la grande porte rouge qui s’ouvre sur la Cité interdite dont on voit les toits se profiler au loin. Une galerie où Altoum apparait en majesté et une sorte de petite bibliothèque d’où les trois ministres sortent les livres du savoir. Leur moment de nostalgie est animé par la vidéo de Camille Lebourges qui les plonge dans des souvenirs bucoliques loin de cette princesse qui fait couper les têtes. Des idées, telle cette sphère métallique froidement éclairée dans laquelle apparait Turandot, ou ces combats de rues, silencieux mais inquiétants devant des murs tachés de sang qui illustrent la violence latente qui règne et qui conduira au suicide de Liù. Tout est bien dosé, aidé en cela par les lumières imaginées par Marc Delamézière qui jouent les clairs-obscurs créés par une lune blafarde ou les éclats dorés de cet astre à son sommet. Katia Duflot signe les costumes d’une justesse parfaite aussi bien dans les vêtements délavés portés par le peuple que dans les longues tenues de Turandot, agrémentées par une coiffe noire en éventail ; une sobriété qui touche à l’austérité. Rien d’ostentatoire dans le long manteau de Calaf, seul le costume de l’empereur est conçu pour représenter le faste dans lequel rayonne le Fils du Ciel. Encore une fois, un plateau d’exception nous était offert. Le Calaf d’Antonello Palombi qui ne craint pas d’affronter Turandot et ses énigmes s’impose d’entrée. Voix généreuse, projetée, dont les aigus solides et tenus font trembler le peuple et les colonnes de la Cité dans ses appels à Turandot accompagnés par le son stupéfiant d’un gong. Mais si la force de sa voix peut faire vaciller Turandot, cet immense ténor est aussi capable d’émotion et de tendresse lorsqu’il s’adresse à Liù dans “Non piangere Liù”. Attendu pour le “Nessun dorma” sa voix assurée et claire lance son “Vincero” en vainqueur. Aigus faciles, sonores, qui auront raison des réticences de Turandot. Face au Calaf triomphant d’Antonello Palombi, il fallait une immense Turandot. Ricarda Merbeth est cette impressionnant princesse de glace ; altière, inaccessible, à la tessiture haut perchée mais musicale, dont les aigus tranchants font tomber les têtes. La soprano allemande est tout cela. Une allure, une voix immense qu’aucun orchestre ne saurait couvrir. Nous apprécions la beauté du timbre, la justesse des notes projetées et la femme qui tend à percer sous le masque de glace qui se craquèle. Quelle belle image que celle de cette princesse qu’un homme vient de vaincre et qui, comme un oiseau blessé s’accroche à la sphère protectrice ! Face à ce couple de choc, la tendre Liù de Ludivine Gombert fait résonner son timbre émouvant de soprano avec justesse. Dans un jeu sobre et un phrasé musical, elle ouvre son coeur et l’offre en sacrifice avec un naturel qui touche Calaf et stupéfie Turandot. Une prise de rôle très réussie et qui sera très applaudie. A son côté Jean Teitgen se révèle un grand Timur. Jeu sobre aussi mais très juste, voix souple et moelleuse de basse bien projetée. Chacune de ses interventions est très remarquée. Diction parfaite et phrasé très musical font de ce Timur un rôle de premier plan. Succès assuré ! Ce plateau d’une grande homogénéité nous propose un trio de ministres épatant. Même jeu, même esthétique musicale, même qualité des voix. Omniprésent, ce trio millimétré apporte un peu d’humour à la noirceur ambiante. Le Ping d’Armando Noguera entraîne de sa voix chaude et percutante de baryton le Pang de Loïc Félix et le Pong de Marc Larcher deux voix de ténor de style et de justesse confondants. Juste aussi la voix de Rodolphe Briand pour un Altoum assuré dans une voix projetée. Le Mandarin d’Olivier Grand impose sa voix de baryton sonore et les deux jeunes filles Emilie Bernou et Mélanie Audefroy apportent un peu de fraîcheur. Remarquable Maîtrise des Bouches-du-Rhône d’une précision irréprochable. Emmanuel Trenque a su préparer un Choeur au mieux de sa forme ; une détermination dans le jeu, les voix, la netteté des attaques qui fait entendre sa puissance vocale ou ses lamentations d’une façon stupéfiante. la puissance de cet ouvrage ne pourrait exister sans un orchestre d’une grande précision. Le maestro Roberto Rizzi Brignoli dirige cette masse sonore avec intelligence sans jamais couvrir les voix mais en laissant ressortir les instruments solistes tout en projetant les instruments spéciaux des pupitres de percussions. Un grand bravo à l’orchestre dont la puissance, les couleurs des sons et les nuances contrastées ne laissent personne indifférent. Une réussite totale pour cette Turandot qui a fait trembler les murs de la Cité interdite et créé un tsunami d’applaudissements. Photo Christian Dresse