Altiste connu et reconnu, Gérard Caussé, avec la complicité de son Gasparo Salo de 1560, met l’alto à l’honneur depuis de nombreuses années déjà. A l’occasion du Festival de Pâques d’Aix-en-Provence, et entre deux répétitions, il nous fait partager l’amour qu’il porte à cet instrument ainsi qu’à la musique avec cette élégance qui le caractérise et un enthousiasme de jeune homme.
– Afin de mieux faire connaissance, pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre parcours musical ainsi que sur votre approche de l’alto ?
J’ai vécu une enfance heureuse et joyeuse à Toulouse, souvent à la campagne, au sein d’une famille où mon père tenait à élever ses enfants dans une ambiance musicale. Il jouait de l’accordéon et avait une belle voix de baryton. Nous étions trois enfants, chacun devant jouer d’un instrument différent. Ma soeur apprenant déjà le violon, un ami de mon père suggéra alors l’alto pour moi. Voici pourquoi, à une époque où les altistes venaient presque exclusivement du violon (avec une connotation souvent désobligeante) j’ai commencé l’étude de l’alto directement. Ensuite j’ai suivi un cursus normal, conservatoire à Toulouse, au conservatoire de Paris, classes d’alto, de musique de chambre… Les choses se sont enchaînées avec évidence.
– Les sonorités de cet instrument dont vous parlez si bien ont-elles influencé votre choix ?
Pas un choix car à l’âge de huit ans on m’a proposé cet instrument, mais très vite j’ai aimé ses sonorités larges, remplies de vibrations, propices à la nostalgie, à la rêverie pouvant aussi dégager une certaine autorité. Je me suis senti à l’aise.
– Peut-on dire que vous avez vécu une histoire d’amour avec votre alto ?
Absolument, et qui perdure encore. Il n’est pas toujours évident, lorsqu’on est jeune, de choisir l’instrument qui va vous convenir et avec lequel vous allez passer une très grande partie de votre vie. Mais là, je suis tombé amoureux du son et des possibilités qu’offre cet instrument. Morphologiquement aussi il me convenait. Sans chercher à le dominer je pouvais faire corps avec lui, et au bout de toutes ces années et toutes ces heures, parfois difficiles, passées ensemble, s’est installée une fusion, une façon de vivre et de penser la musique à deux.
– Méconnu plutôt que mal aimé, l’alto souvent considéré comme un instrument de jonction à l’orchestre a pris ses lettres de noblesse en quelques décennies, que pensez-vous de ce parcours ?
Je dirais enfin ! si cet instrument est resté très longtemps ignoré du grand public il n’en est rien maintenant grâce à de nombreux compositeurs qui ont su écrire pour lui et le mettre en valeur ; bon nombre d’entre eux m’ont d’ailleurs dédicacé leurs oeuvres. On ne peut les nommer tous, mais Henri Dutilleux, Philippe Hersant, Michaël Lévinas, Pascal Dusapin, Betsy Jolas… ont pu donner une certaine modernité à cet instrument qui sait s’adapter mais qui est aussi capable de virtuosité. Il est tout à fait courant maintenant que le public vienne au concert attiré par l’interprétation d’un concerto écrit pour l’alto.
– Quel trait de caractère donneriez-vous à cet instrument est-il en rapport avec le vôtre ?
L’alto est un instrument qui ne dévoile pas d’emblée son caractère. Il paraît de prime abord ne jouer qu’un rôle de second plan. Il n’en est rien. Capable de faire un tapis sonore à son jeune parent plus démonstratif qu’est le violon, il est capable de prendre la parole et de se faire écouter. L’alto est généreux, il prend le temps de dire les choses et sa sonorité sert de trait d’union entre les instruments du quatuor à cordes. Mais ne vous fiez pas à sa bonhomie, l’alto est fier aussi, c’est un instrument de passions. Sans doute nous ressemblons-nous.
– Pour vous, quelles sortes de compositions mettent le plus l’alto en valeur ?
Mises à part les oeuvres contemporaines écrites spécialement pour l’alto, je dirais que dans des temps plus anciens, Mozart, qui appréciait beaucoup cet instrument a écrit des pages admirables dans ses quintettes à cordes pour des formations avec deux altos, donnant plus d’importance à ces deux voix qui prennent la parole et se répondent parfois. Plus près de nous Hector Berlioz avec Harold en Italie, oeuvre pour orchestre et alto principal, a su utiliser la richesse et la profondeur de ses sonorités dans des phrases langoureuses. Un régal pour les altistes !
– Après la création du quatuor Via Nova, vous quittez le quatuor Parrenin pour l’Ensemble intercontemporain de Pierre Boulez, une expérience, un nouvel apport musical ?
C’est vrai, j’aime me lancer dans des aventures, expérimenter des horizons différents, toujours dans une idée de partage ; partage d’émotions, de connaissances. Créer le quatuor Via Nova, qui a débouché sur un prix du disque chez Erato était très excitant, mais faire partie du quatuor Parrenin, établi depuis longtemps et composé de grands artiste était exaltant ; j’étais encore très jeune, et la création du quatuor d’Henri Dutilleux, Ainsi la nuit fait partie des grands moments. Nous jouions beaucoup, trop peut-être pour une vie de famille. Alors, l’opportunité Pierre Boulez, une figure incontournable, un phénomène à cette époque, qui avait fondé son Ensemble intercontemporain en 1976, était une aventure à ne pas laisser passer. Un répertoire de commandes qui donnait la possibilité d’échanger avec les compositeurs dans une ambiance conviviale était nouveau pour moi et très enrichissant. J’étais le seul altiste et j’y suis resté trois ans. Ces créations font partie des plus beaux moments musicaux. Nous avions l’impression d’être un maillon dans l’histoire de la musique. Pierre Boulez avait créé l’IRCAM et invitait des compositeurs tels Ligeti ou Stockhausen… Des moments de grande intensité. Si la musique de Pierre Boulez est moins jouée actuellement, il restera une figure incontournable de la musique contemporaine.
– Vous aimez enseigner, et vous l’avez fait de nombreuses années, est-ce dans une idée de partage, de transmission ?
Evidemment la transmission est importante ; ce que vous avez reçu, appris, il faut le redonner ensuite enrichi de vos expériences personnelles, de votre ressenti. Mais le partage est toujours là, présent. Il faut apprendre aux jeunes musiciens à faire de la musique pour les autres mais surtout avec les autres. Que penseriez-vous d’un instrumentiste qui jouerai toute sa vie tout seul dans son salon ? Impensable ! C’est ce que l’enseignement dans les conservatoires permet de faire. les élèves se rencontrent, s’écoutent, participent dans des classes de musique de chambre ou d’orchestre. C’est cette notion d’écoute qu’il faut développer. En France, nous sommes en retard dans l’enseignement de la musique par rapport à d’autres pays. La musique, ce n’est pas uniquement des sons, ce sont des ondes qui se propagent et que l’on partage.
– Cette idée de partage est-elle plus évidente en musique de chambre ou en soliste avec orchestre ?
Dès que vous faites de la musique avec quelqu’un d’autre, vous partagez ; ne serait-ce que le champ auditif. En musique de chambre, et encore plus en quatuor, vous êtes obligé d’écouter les autres instruments et d’instaurer un dialogue. Vous ne pouvez pas jouer une phrase musicale en ne pensant qu’à votre plaisir personnel, sans répondre dans le même phrasé, le même style. C’est la vie en société, le rapport aux autres. Pour les sonates c’est un peu différent. Il faut laisser à l’autre instrument le temps de s’exprimer, puis prendre la parole soi-même ou dialoguer. Mais même en soliste avec orchestre la notion de partage est présente. C’est un autre plaisir ; se sentir soutenu, appuyé par quatre vingts musiciens parfois, qui vous écoutent et font attention à ne jamais vous couvrir. C’est très puissant ! En toutes choses la musique faite à plusieurs est une recherche d’équilibre. Sans doute l’auditeur ne se rend-il pas obligatoirement compte de ce travail fait en amont, et c’est tant mieux. Il ne partage que le résultat, les émotions.
– De quelle manière la musique que vous faites vous rend-elle heureux ?
La musique sous toutes ses formes m’a toujours rendu heureux. Celle que nous faisons ensemble mes collègues et moi, mais aussi lorsque je travaille seul, en approfondissant une phrase musicale, en cherchant l’idée du compositeur ou en perfectionnant un passage difficile, mais aussi en écoutant de la musique. le public vient nous couter certes, mais il vient aussi ressentir, partager des moments d’émotions, et cela depuis des centaines d’années. Quel plus grand bonheur que de participer à ces émotions ? Il faut inculquer cette notion aux enfants dans les écoles, et dès le plus jeune âge. Bonheur assuré !
Merci Gérard Caussé pour ce délicieux moment partagé avec les lecteurs de GBopera. Photo Caroline Doutre