Toulon, Opéra, saison 2018 /2019
“LE TELEPHONE”
Opéras bouffes en un acte, livrets du compositeur
Musique Gian Carlo Menotti
Lucy MICAËLA OESTE
Ben GUILLAUME ANDRIEUX
“AMELIA VA AU BAL”
Opéras bouffes en un acte, livrets du compositeur
Musique Gian Carlo Menotti
Amelia MICAËLA OESTE
L’Amie MARIE KALININE
Le mari GUILLAUME ANDRIEUX
L’amant CHRISTOPHE PONCET DE SOLAGES
Le commissaire THOMAS DEAR
1re femme de chambre ELISABETH LANGE
2e femme de chambre SYLVIA GIGLIOTTI
Orchestre et Choeur de l’Opéra de Toulon
Direction musicale Jurjen Hempel
Chef de Choeur Christophe Bernollin
Mise en scène Sylvie Laligne
Décors Jeanne Artous- Cassandra Bizzini, Benjamin Grange, Joana Henni
Costumes Giovanna Fiorentini
Lumières Patrick Méeüs
Vidéo Cassandra Bizzini
Toulon, le 26 avril 2019
En programmant deux oeuvres de Gian Carlo Menotti, l’Opéra de Toulon fait preuve d’originalité. Originalité qui a su séduire le public. Si Menotti sait être un compositeur dramatique, on se souvient de ses opéras Maria Golovin ou La Sainte de Bleecker street vus à l’Opéra de Marseille il y a quelques années, il est ici, dans ces deux opéras bouffes, un compositeur qui sait divertir. Gian Carlo Menotti est né en Italie mais il s’installe assez jeune à Philadelphie où il étudie au Curtos Institute of Music ; et, si ses opéras sont principalement chantés en anglais, c’est en Italie, à Spoleto, qu’il fonde son propre festival : le Festival des deux mondes. Il est d’ailleurs considéré comme un compositeur italien majeur du XXe, avec une écriture tonale mais dont les accents modernes donnent les couleurs particulières à sa musique. Le Téléphone, créé à New York le 18 février1947, et déjà intitulé Le Téléphone ou l’amour à trois se prête, avec la place que tient actuellement cet appareil, à une mise en scène contemporaine. C’est le parti que prend Sylvie Laligne, aidée en cela par les scénographes et décorateurs Jeanne Artous, Cassandra Bizzini, Benjamin Grange et Joana Henni. Nous entrons dans l’appartement d’une jeune fille moderne où la télévision, le téléphone et internet sont au centre de sa vie. Ben est un jeune sportif sans doute destiné à une belle carrière. Il est pressé, il doit se rendre à la gare mais espère faire une déclaration à Lucy qui n’a d’oreille que pour son téléphone et s’aperçoit que son petit ami est parti lorsque, enfin, entre deux sonneries de cet engin démoniaque, elle s’apprête à l’écouter. Consternation ! Mais le téléphone a aussi son bon côté, et s’il sonne, Ben est au bout du fil ; il peut enfin la demander en mariage… par téléphone. Les costumes de Giovanna Fiorentini illustrent le propos ; Ben portant jeans et veste de cuir, Lucy, une tenue décontractée d’intérieur, caleçon et T-shirt. Les lumières franches de Patrick Méeüs donnent à cet intérieur moderne une clarté joyeuse où l’humour est omniprésent. Micaëla Oeste est cette jolie Lucy, certes inconséquente, mais touchante à la fois et capable d’un petit moment de tendresse assez vite dissipé. La soprano américaine est parfaite dans le style et la clarté de sa voix qui sait passer avec agilité de l’air enjoué à un certain énervement, puis à la douceur, tout cela sur un rythme trépident. Bonne projection, belle diction et, si les phrases sont assez courtes, la musicalité ressort aux inflexions de sa voix jusque dans des aigus confortables et moelleux. Ben est plus calme, l’impatience le taraude, cela se sent, cela se voit, mais il se fâche avec mesure ; Ben reste un amoureux ! Ben, c’est Guillaume Andrieux, le superbe Pelléas de 2016, interprété sur cette même scène. Une voix bien placée, qui porte sans forcer et qui passe de la mélancolie à une certaine excitation, vite retombée à la sonnerie impérative du téléphone, dans une grande homogénéité du timbre de voix. Jolies phrases musicales ou plus rythmées pour un duo équilibré. cette musique joyeuse ou plus mélancolique aux accents de la clarinette est superbement interprétée par un orchestre à l’écoute du maestro Jurjen Hempel qui laisse ressortir chaque instrument soliste. Musique de chambre, musique imagée, musique précise qui soutient les chanteurs donnant relief et caractère à cette oeuvre colorée. Ici, Amelia va au bal ne suit pas l’ordre chronologique, car cet opéra a été composé en 1937, soit dix ans avant Le Téléphone. Sylvie Lalique se propose de nous le présenter comme une suite au précédent ouvrage, dix ans plus tard. Ben maintenant le Mari est devenu un sportif adulé et lucy qui a pris le nom de sa mère est Amelia. Nous apprenons tout cela par la presse people projetée en vidéo. Le couple est maintenant très riche et la petite tenue décontractée de Lucy laisse place à une robe de soirée excentrique et sophistiquée. Amelia a deux femmes de chambre, un habilleur et… un amant. Elle s’ennuie et veut aller au bal contre vents et marées. Elle veut aller au bal malgré la jalousie du mari qui veut tuer l’amant, malgré l’arrivée de la police, malgré l’amant arrêté et le mari hospitalisé. Elle veut aller au bal ! Et ce que femme veut… Elle ira au bal au bras du commissaire. Point final. Tout cela est traité sur le mode du vaudeville. Les portes claquent, tournent derrière le mari, derrière l’amant. Sommes-nous chez Georges Feydeau ? Non, les gratte-ciels que l’on voit projetés au loin au travers de la baie vitrée le prouvent. L’énorme lustre montgolfière éclaire la pièce de ses nombreuses ampoules. Les lumières jouent les atmosphères dedans, dehors, au rythme de la musique, des acteurs qui se cherchent, du couple qui se dispute ou au rythme des caprices d’Amelia et de son obsession. Elle veut aller au bal ! La direction des acteurs est millimétrée, l’action soutenue comme jouée dans le tempo. Amelia c’est notre Lucy d’avant l’entracte, élégante dans long tulle qui laisse voir la perfection de ses jambes. La voix est toujours belle, percutante et mélodieuse. Elle chante avec musicalité, avec des prises de notes délicates et des aigus faciles. Le jeu de Micaëla Oeste est aussi à l’aise que son chant donnant beaucoup de véracité et de piquant à ce personnage mi naïf, mi entêté. Elle tient tête à Guillaume Andrieux devenu un Mari jaloux mais qui a gardé toutes ses qualités vocales du début. La colère lui va bien et affermit sa voix face à l’Amant sensible ou exalté aux aigus solides du ténor Christophe Poncet Solages. Marie Kalinine est cette Amie aux allures de vamp et à la voix assurée et Thomas Dear un Commissaire style mafieux dont la belle allure et la voix profonde de basse séduiront notre belle Amelia. Le Choeur dans des costumes déjantés fait preuve d’une grande précision rythmique et l’orchestre dans cette partition plus fournie est précis avec des phrases lyriques ou puissantes. Une belle réalisation saluée par un public amusé et conquis. Et Amelia est partie au bal ! Photo © Frédéric Stéphan