Aix-en-Provence, Festival de Pâques 2019: Johannes Brahms Quintettes

Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence, saison 2019
Johannes Brahms Quintettes
Violons Renaud Capuçon, Guillaume Chilemme, Raphaëlle Moreau
Altos Gérard Caussé, Adrien La Marca
Violoncelles Gautier Capuçon, Edgar Moreau
Piano Nicholas Angelich
Johannes Brahms: Quintette à cordes no 1 en fa majeur, op. 88;
Quintette à cordes no 2 en sol majeur, op. 111;Quintette pour piano et cordes en fa mineur, op. 34.
Aix-en-Provence, le 18 avril 2019
Pour varier les plaisir de ce Festival de Pâques, Renaud Capuçon réunissait ses amis (toutes générations confondues) pour une soirée de musique de chambre dédiée à Johannes Brahms et trois de ses quintettes, dans l’Auditorium Campra du Conservatoire Darius Milhaud d’Aix-en-Provence. Soirée qui allait donner lieu à une captation en vue d’une prochaine sortie de disque. En effet, cette salle permet une ambiance intime et chaleureuse où chaque nuance prend une dimension particulière. Même dans sa musique de chambre, les sentiments de Johannes Brahms transparaissent et s’affirment avec force. Passionnée, exaltée pour quelques mesures son écriture classique lui vaudra quelques conflits avec des compositeurs plus novateurs tel Franz Liszt. Sa passion pour Clara Schumann, sans doute jamais aboutie (sans doute aussi, sont-elles les plus belles ! ) se comprend, se vit dans des moments de grande intensité sans jamais atteindre son paroxysme. Dans le Quintette à cordes No1, Johannes Brahms introduit un deuxième alto; il donne ainsi plus de force et de rondeur de son aussi bien dans le Grave, joué appassionato, que dans les autres mouvements, faisant une jonction sonore entre les sons aigus des violons et le violoncelle qui tient ici une partie importante. Renaud Capuçon et Guillaume Chilemme sont les deux violonistes, Adrien La Marca et Gérard Caussé les altistes, Edgar Moreau jouant la partie de violoncelle. Cette formation fait montre d’une grande rigueur dans cette architecture musicale avec des places d’archets étudiées et des montées en intensité contrôlées dans un souci d’équilibre des sons et du vibrato; les longues phrases romantiques n’excluant en rien certaines atmosphères plus légères. Le discours entre les cinq musiciens peut s’intensifier dans un enchevêtrement de phrases, le violoncelle est là pour calmer le jeu de sa gravité sonore. Ici, le charme du premier violon répond à la passion du premier alto là, les accords puissants marquent le fugato endiablé d’un Finale qui laisse la parole à chacun. Au tapis moelleux des altos répond un violon au sautillé léger. Joie de cet Allegro energico où le plaisir de jouer ensemble est évident. Dans le second quintette à cordes nous retrouvons les mêmes artistes si ce n’est Gérard Caussé qui, cette fois, tient la partie de premier alto. Très passionnée cette pièce en quatre mouvements, plus tardive que la précédente, nous plonge dès les premières notes dans le discours du violoncelle aux grandes phrases enflammées où la belle technique d’archet d’Edgar Moreau impose sa présence dans un vibrato intense. Dans cette écriture, très différente du quintette précédent, le mode majeur fait place au mode mineur grâce aux sonorités romantiques de l’alto, le 1er violon entraînant chaque instrument dans une reprise plus vive et une grande montée en puissance tout en maintenant la pureté des sons jusque dans les accords affirmés. Romantique le deuxième mouvement où l’alto nous fait entendre, en réminiscence, quelques notes du mouvement lent de la troisième symphonie de Brahms. Discours qui reste passionné avec des intentions quasi religieuses ou des ornementations de l’alto. Le poco Allegretto donne la parole au violoniste qui s’impose sur les bariolages d’un violoncelle comme coupé du discours commun. Grande unité de sonorités où tous se mettent d’accord sur des rythmes syncopés. Dans un discours allant, l’alto dialogue avec le violon pour un Vivace à la hungareze puissant, rythmé, enjoué, où chaque musicien apporte une pierre à l’édifice sonore. Même force, même intensité de son jusque dans les pizzicati projetés avec vigueur. Une grande intensité musicale et une grande force de sentiments donnent à cette interprétation une dimension particulière. Cette formation avec deux altos apporte de la profondeur sonore aux crescendi intenses. Dans le Quintette no34, en quatre mouvements, Johannes Brahms donne la parole au piano, joué ici par Nicholas Angelich. Petit changement aussi dans le quatuor à cordes. Si Renaud Capuçon tient toujours la partie de premier violon et Gérard Caussé celle d’alto, Raphaëlle Moreau sera le second violon alors que la partie de violoncelle sera confiée à Gautier Capuçon. Comme il est intéressant de voir combien les générations se mélangent dans la même esthétique musicale où chacun se fond dans le son de l’autre ! Une leçon de vie aussi bien que de musique. Si ce quintette présente la même passion, l’ajout du piano apporte une dimension et des sonorités différentes. D’entée, la parole est donnée au violoncelle. Gautier Capuçon expose sa sonorité avec puissance. Son aisance d’archet et son vibrato intense se remarqueront tout au long de ce quintette avec de tendres nuances. A cette sonorité somptueuse répond le charme nostalgique de l’alto de Gérard Caussé. Dans un beau travail d’écoute, Renaud Capuçon reprend le thème avec force ou sensibilité soutenu par Raphaëlle Moreau qui entre dans le son du soliste avec musicalité. Nicholas Angelich se glisse dans les sonorités du quatuor avec justesse, jouant les nuances avec finesse et subtilité, tout en jouant une partie soliste dans une complexité de rythmes. Limpide, lumineux est le deuxième mouvement exposé avec beaucoup de calme par le pianiste, les cordes s’exprimant en contre-chant comme pour une berceuse aux légers balancements. Délicat toucher d’un pianiste qui entre dans le jeu des cordes avec élégance et empathie. Scherzo diabolique où les rythmes se lient à la puissance dans un fugato entraîné par le tempérament passionné du violon solo. Plus mélancolique est le Finale aux forces contradictoires mais toujours joué avec une précision d’archets et des intentions musicales que le pianiste saisit à la volée avec des notes perlées ou plus liées. Une interprétation d’une qualité exceptionnelle qui demande à chacun des interprètes une grande force physique mais aussi un grand calme intérieur. Un immense bravo! Photo Caroline Doutre