Bayreuth, festspielhaus, 2018
“LOHENGRIN”
Opéra en trois actes, livret de Richard Wagner
Musique de Richard Wagner
König Heinrich GEORG ZEPPENFELD
Lohengrin PIOTR BECZALA
Elsa von Brabant ANJA HARTEROS
Friedrich von Telramund TOMASZ KONIECZNY
Ortrud WALTRAUD MEIER
Der Heerrufer des Königs EGILS SILINS
1 Edler MICHAEL GNIFFKE
2 Edler ERIC LAPORTE
3 Edler KAY STIEFERMANN
4 Elder TIMO RIIHONEN
Orchestre et Choeur du Bayreuther Festspiele
Direction musicale Christian Thielemann
Chef du Choeur Eberhard Friedrich
Mise en scène Yuval Sharon
Décors et costumes Neo Rauch & Rosa Loy
Lumières Reinhard Traub
Bayreuth, le 10 août 2018
L’édition du Festival de Bayreuth 2018 nous présente un Lohengrin très différent de l’édition 2010. Ici l’accent est mis, non sur la rédemption par l’amour, mais sur l’échec de Lohengrin. Le Chevalier s’en va, il n’a pas réussi à soumettre Elsa, le peuple de Brabant restera-t-il dans l’ombre ? Cette édition 2018, sans avoir subi véritablement des échecs a du faire face à beaucoup de changements et de renoncements. Anna Netrebko initialement prévue ne chantera pas, le Festival a renoncé à faire appel au metteur en scène Alvis Hermanis, et Roberto Alagna a annulé sa participation quelques jours avant les premières répétitions. Qu’à cela ne tienne, “the show must go on”. Les décors et costumes de Neo Rauch et Rosa Loy étant prêts, Yuval Sharon, le nouveau metteur en scène a dû s’adapter, mais cette production ne restera sûrement pas dans les annales. A Bayreuth, lohengrin serait-il toujours voué à des représentations animalières ? Après la production 2010 de Hans Neuhenfels où le peuple était représenté par des rats, le mythe est tombé dans les mites. La mite recherche la lumière, tout comme le peuple de Brabant qui porte ses ailes et n’est plus éclairé ; il vit dans la pénombre et voit en Lohengrin le protecteur qui va lui apporter cette clarté. N’a-t-il pas d’ailleurs, en guise d’épée, l’éclair qui caractérise Zeus lui-même ? Yuval Sharon voit dans la rébellion d’Elsa une échappatoire aux doutes politico-sociaux qui assaillent Richard Wagner alors qu’il participe aux barricades de Dresde. Ortrud n’est plus une ennemie, bien au contraire, elle aide Elsa à s’émanciper de la tutelle de Lohengrin en posant la question fatidique. lohengrin est-il toujours le chevalier lumineux ou est-il ce mari macho qui enchaîne sa femme à un poteau dans la chambre nuptiale ? Mais chez ce peuple ne bat-on pas les femmes, ne les enferme-t-on pas, ne les brûle-t-on pas ? Cette nouvelle version de l’opéra romantique revisité dans un conte de fées dramatico-maléfique n’apporte aucun éclairage nouveau malgré le transformateur électrique qui se dresse au milieu de la scène. Bien que le metteur en scène signale dans le programme de salle vouloir élargir l’oeuvre d’art total (gesamtkunstwerk), la direction d’acteurs reste assez minimaliste avec très peu de jeu théâtral. C’est donc la vision de Neo Rauch et Rosa Loy qui, par les décors et costumes, jouera la prépondérance visuelle. Doit-on s’étonner de l’impact pictural alors que nous savons qu’ils sont tous deux peintres ? Le choix se porte sur les couleurs ; peu en vérité, le bleu, couleur froide qui nous plonge dans un conte que nous voyons de l’extérieur, et un orange très vif, couleur opposée et chaude, très chaude pour la chambre nuptiale où Lohengrin tente d’imposer sa volonté à Elsa. Les fonds de scène sont des panneaux peints par les deux artistes où percent de pâles rayons de soleil à demi couverts par des nuages. Toujours dans des tons bleutés, le deuxième acte est un paysage de prairie faisant référence à la peinture flamande ou plus spécialement aux carreaux de Delft. Telramund et Ortrud s’y disputent dans un éclairage astucieusement imaginé par Reinhard Traub qui les fait apparaître très petits, comme irréels. On apprécie moins le combat que se livrent dans les airs Telramund et lohengrin, épées en mains, tels deux mites vindicatives. Un peu enfantin peut-être, mais ne sommes-nous pas dans un conte de fées ? Les costumes sont beaux, somptueux même, taillés dans des tissus de prix, tous dans des tons de bleus, disparates mais évoquant l’époque médiévale tardive, que l’on retrouve dans les peintures d’un Bruegel lorsqu’il représente le peuple. Ortrud porte-t-elle la robe de la reine maléfique dans le film Blanche-neige ? costume impressionnant et seyant. Bien qu’agréable à regarder, cette production devra sans nul doute son immense succès à un plateau remarquable de qualité et d’intensité. Qu’il nous soit permis de commencer par le Lohengrin de Piotr Beczala ; ayant chanté ce rôle à Dresde en 2016, avec Christian Thielemann à la baguette, il remplace ici Roberto Alagna au pied levé. Grâce lui soit rendue pour cette interprétation magnifique. Une première prestation au Festspielhaus, et au pied levé, est certainement une aventure stressante, mais il est sans doute tentant de relever le défit. On ne saura pas quel Lohengrin aurait été Roberto Alagna, mais ce que l’on peut dire est que le ténor polonais nous a proposé une magnifique version du héros de Richard Wagner. Elegant, sensible et vocalement superbe. Car, très peu servi par la mise en scène, le succès ne revient qu’à ses qualités. Une voix claire, solide qui porte au loin ses aigus percutants. Sa voix bien placée passe sans forcer et lui autorise de très beaux pianissimi. A l’aise dans ses déplacements, on regrette une direction d’acteurs insipide qui l’oblige à dire ” Ich liebe dich” sans même regarder Elsa. Jolies nuances dans une voix homogène pour un “In fernem land” chanté avec de belles respirations dans un phrasé musical où les aigus sont soutenus par un long souffle. Superbe interprétation dans une diction parfaite. Avec son départ s’éteignent les bannières en forme de mites. Le peuple retourne à l’obscurité. Face à un Lohengrin tout en élégance, le solide Telramund de Tomasz Konieczny. Diversement apprécié lors de la première représentation, il est ici très applaudi faisant ressortir les côtés abrupts du personnage dans une voix sulfureuse qui convient à ce rôle. Avec des graves convaincants et des aigus puissants, il devient terrifiant alors que l’on prépare le bûcher pour Elsa. Il impressionnera encore au deuxième acte dans son échange avec Ortrud par sa voix colorée dans une interprétation juste et rythmée. Georg Zeppenfeld est le Roi Henry, rôle qu’il interprétait déjà dans la précédente production. Il a gardé l’assurance de sa voix grave, percutante dans chaque registre qui manifeste une belle autorité dans une puissance projetée. Voix solide et belle prestance donnent la personnalité qui convient à ce roi. Egils Silins est un Héraut de haute volée. Il projette sa voix avec énergie tout en lui gardant une couleur homogène. Dans des rôles très courts, Micharl Gniffte, Eric Laporte, Kay Stiefermann et Timo Rihonen font preuve d’intelligence vocale et sont à la hauteur de ce superbe plateau. Anja Harteros est ici Elsa, un rôle qu’elle a souvent interprété et marqué de son empreinte vocale mais qu’elle chante pour la première fois au Festspielhaus. Difficile de se démarquer vraiment dans cette mise en scène. Portant une robe qui pourrait être celle d’Alice dans “Alice au pays des merveilles”, elle a souvent un air soumis qui contraste avec sa voix en pleine maturité. Elle se distinguera par de beaux aigus puissants et soutenus. Sans doute n’a-t-elle plus la fraîcheur d’une Elsa, mais la longue fréquentation du rôle lui procure une belle aisance vocale. La richesse du timbre est toujours là, lui permettant de belles nuances colorées et de jolis phrasés. De beaux duos aussi, équilibrés, avec ortrud dans une même esthétique musicale sur une belle longueur de souffle, et plus sensible avec Lohengrin. Si la mise en scène nous enlève un peu de l’émotion apportée par la musique, la beauté du chant nous emporte tout de même. Après dix ans d’absence dans le temple dédié à Richard Wagner, Waltraud Meier revient pour faire ses adieux à un rôle qu’elle a porté aux sommets. Elle est ici une somptueuse Ortrud. La richesse du timbre, la qualité du phrasé, la puissance de ses aigus et la chaleur ambrée des graves donnent le caractère à ce personnage qu’elle module selon ses intentions. La voix homogène garde sa couleur dans la belle conduite d’un chant élégant. Cette grande dame du chant a gardé l’épaisseur du médium et la clarté des aigus projetés. Même dans ce rôle maléfique, Madame Meier garde cette distinction innée qui la caractérise. Une ovation la saluera pour son interprétation d’Ortrud, mais aussi pour la conduite sans faute de sa carrière. Un plateau dont l’homogénéité se révèle aussi dans les ensembles et le quintette a cappella. Superbe prestation du Choeur très bien préparé par son chef Eberhard Friedrich. Choeur de voix d’hommes ou mixtes, dans un ensemble parfait, qui suit avec beaucoup de rigueur les inflexions du chef d’orchestre. Maître incontesté sur la colline après Richard Wagner, Christian Thielemann est à la baguette. Avec ce Lohengrin, le maestro aura dirigé au Festspielhaus tous les ouvrages majeurs de Richard Wagner. Inutile de préciser qu’il connait son orchestre jusqu’au bout de sa baguette et que les distances entre la fosse et le plateau n’ont aucun secret pour lui. C’est donc avec maestria qu’il dirige choeur, chanteurs et orchestre sans que l’on remarque le moindre décalage. Tempi allants, baguette énergique, il fait ressortir les divers instruments dans des nuances appropriées et on ne peut lui reprocher de ne pas avoir une connaissance approfondie de l’ouvrage, ni de couvrir jamais les chanteurs. Ayant été formé au Deutsche Oper de Berlin comme répétiteur, assistant de d’Herbert von Karajan puis de Daniel Barenboim au Festival de Bayreuth, Christian Thielemann a été à bonne école et sait comment faire sonner les cuivres ou jouer avec les couleurs d’un quatuor réceptif à la moindre inflexion de sa baguette. Le cor anglais amène le mystère, les cors se répondent en coulisses et les trompettes n’ont jamais de sons saturés. Tout est mesuré et équilibré dans ces sonorités aux rondeurs légendaires. Christian Thielemann impose ses tempi et sa vision de l’ouvrage. Peut-être les temps sont-ils un peu trop scandés donnant un air un peu militaire à certains passages, et c’est dans le Prélude de l’acte I que cette impression est la plus sensible. Le maestro est-il influencé par l’idée du metteur en scène qui enlève tout romantisme à l’ouvrage ? Toujours est-il que les sons éthérés comme joués avec des archets sans fin sur de profondes respirations manquent ici. Toujours à l’écoute des chanteurs, le maestro les soutient, les amène vers des envolées lyriques sans jamais les couvrir. Cet orchestre aux sonorités généreuses est toujours un enchantement à écouter. Chanteurs, choeur, orchestre font le succès de la représentation qui voit arriver, avant que le rideau ne tombe, un Gottfried tout vert, venu tout droit de la planète Mars, passée près de la terre il y a peu de temps, ou représentation d’un ampelmännchen, petit homme vert qui fait passer les piétons aux feux tricolores en Allemagne ? Plus qu’un art total, ce Lohengrin restera dans les mémoires comme un Art musical d’exception. Photo Enrico Nawrath