Aix-en-Provence, Théâtre de l’Archevêché, saison 2018
“ARIADNE AUF NAXOS”
Opéra en un acte précédé d’un prologue, livret de Hugo von Hofmannsthal.
Musique de Richard Strauss
La Prima Donna / Ariane LISE DAVIDSEN
Le Ténor / Bacchus ERIC CUTLER
Zerbinetta SABINE DEVIEILHE
Le Compositeur ANGELA BROWER
Le Maître de musique JOSEF WAGNER
Le Maître à danser RUPERT CHARLESWORTH
Arlequin HUW MONTAGUE RENDALL
Brighella JONATHAN ABERNETHY
Scaramuccio EMILIO PONS
Truffaldino DAVID SHIPLEY
Naïade BEATE MORDAL
Dryade ANDREA HILL
Echo ELENA GALITSKAYA
Un officier PETTER MOEN
Un perruquier JEAN-GABRIEL SAINT MARTIN
Un laquais SAVA VEMIC
Le Majordome MAIK SOLBACH
L’Homme le plus riche de Vienne PAUL HERWIG
Sa Femme JULIA WIENINGER
Orchestre de Paris
Direction musicale Marc Albrecht
Mise en scène Katie Mitchell
Décors Chloe Lamford
Costumes Sarah Blenkinsop
lumière James Farncombe
Dramaturgie Martim Crimp
Responsable des mouvements Joseph W. Alford
Chefs de chant Mathieu Pordoy, Gary Matthewman
Aix-en-Provence, le 4 juillet 2018
En cette soirée du 4 juillet, s’ouvrait la douzième, et dernière, édition du Festival d’Aix-en-Provence dans la programmation de son directeur général Bernard Foccroulle. Tout au long de ces années, 65 productions d’opéras ont été présentées à un public toujours plus nombreux et plus curieux aussi car, de classique à ses débuts, ce festival au rayonnement international est devenu plus créatif et plus avant-gardiste dans ses choix, mais aussi dans ses productions. Utilisant les résidences (chanteurs, metteurs en scène, chefs et orchestres), Bernard Foccroulle s’est même permis de redonner certains opéras dans des programmations rapprochées – Don Giovanni, La flûte enchantée – sans aucune désertion du public ; c’est dire si ce dernier a fait confiance au directeur du festival dans ses choix et même dans ses goûts, souvent très audacieux. On se souvient d’un Enlèvement au sérail qui avait fait grand bruit dans le contexte politique de l’époque. Mais, pour cette soirée d’ouverture, point de polémique avec ce classique de Richard Strauss Ariadne auf Naxos, déjà présenté plusieurs fois sur cette scène avec, dans le rôle titre, d’immenses chanteuses : Teresa Stich-Randall en 1963, Régine Crespin en 1966 ou Jessye Norman en 1985. Il y a eu deux versions d’Ariadne auf Naxos Richard Strauss/Hugo von Hofmannsthal, la première créée le 25 octobre 1912 au Théâtre de Cour de Stuttgart, soldée par un échec, et qui faisait référence à la pièce de Molière Le Bourgeois gentilhomme, puis une seconde, créée à l’Opéra de Vienne le 4 octobre 1916, en un acte précédé d’un prologue, où il n’était plus question de la pièce de Molière. Succès immédiat. C’est donc cette version qui nous était proposée ce soir, avec ce rôle d’Ariane qui a séduit les plus grandes chanteuses d’Elisabeth Schwarzkopf à Margaret Price, obtenant toujours un immense succès. Cette nouvelle production d’Ariadne auf Naxos, qui sera présentée au Théâtre des Champs-Elysées en février 2019, était proposée ce soir par la metteur en scène Katie Mitchell qui avait fait sensation dans la création de George Benjamin Written on skin présentée au Festival d’Aix-en-provence en 2012. Une mise en scène originale et de bon goût, qualités que nous avions retrouvées dans son Alcina de Georg Friedrich Haendel de 2015. Déjà moins enthousiasmés par sa production de Pelléas et Mélisande de Claude Debussy de 2016, nous sommes ici carrément déçus. Qu’arrive-t-il donc à Katie Mitchell et à son dramaturge Martin Crimp, manque d’inspiration ou méconnaissance de l’idée première de Richard Strauss et Hugo von Hofmannsthall ? Toujours est-il qu’au fil du temps l’ennui s’installe et que le but recherché, si tel était le cas, n’est pas atteint. Katie Mitchell aime les détails, mais trop, c’est trop. Qu’a-t-elle voulu nous dire en juchant le Maître à danser, tout de rose vêtu, sur des talons aiguilles, en faisant porter une robe rouge au maître de maison ou en faisant accoucher sur la table une Ariane déprimée ? le spectateur se perd en conjectures et regarde sa montre. Le décor unique de Chloe Lamford : une longue pièce élégante, dans des tons de gris, séparée par un rideau qui délimite la scène, encombrée d’une table, de chaises, d’une échelle… Tout se passe en avant-scène, sans grande profondeur, au propre comme au figuré. On répète, on discute, on s’agite sans grande cohésion. Les lumières de James Farncombe, plus ou moins éclatantes, teintées de bleu ou de jaune n’arriveront pas à créer des atmosphères, pas plus que les costumes de Sarah Blenkinsop qui n’ont rien de seyant ni d’original. Zerbinette, vêtue d’une robe rose et courte qui s’éclaire en guirlande lumineuse n’a rien d’une Colombine, et ses acolytes en pantalon noir et corset lumineux, rien non plus de comédiens sortis de la Comedia dell’ arte. C’est pourtant ce mélange, seria/buffa voulu par Richard Strauss où la comédie vient animer la tragédie grecque, qui crée le divertissement. Contraste entre la frivolité de Zerbinette et les lamentations d’Ariane, le courroux du Compositeur et la préciosité du Maître à danser. Contraste bien décrit par la musique mais qui fait défaut ici sous la direction musicale de Marc Albrecht, malgré l’excellence des 38 musiciens de l’Orchestre de Paris, dans une formation Mozart qui laisse ressortir ses solistes. Que se passe-t-il, le chef d’orchestre s’est-il laissé emporter par l’ambiance scénique, le vacarme des aménagements déménagements ? L’humour, le pétillant, la mélancolie de la musique de Richard Strauss ne ressort pas malgré le moelleux des cordes, la virtuosité du violon solo, le velouté du cor ou de la flûte. Marc Albrecht n’a pas su trouver l’unité de son, la pâte sonore, et le soutien qui fait le lien entre la fosse d’orchestre et la scène. Alors, que reste-t-il ? heureusement les voix sont là pour sauver le spectacle dans un cast homogène et de haut niveau. Une Ariane somptueuse, celle de la soprano norvégienne Lise Davidsen, ancienne artiste de l’Académie. Elle fait entendre ses plaintes dans une voix profonde et projetée au métal wagnérien. C’est avec une grande maîtrise que sa voix passe du mélodieux aux aigus éclatants dans une belle longueur de souffle. Avec des prises de notes sensibles ou des attaques puissantes jamais criées, lise Davidsen fait ici une prestation remarquable, réveillant par l’éclat et la beauté de sa voix un public par moments assoupi. A côté de cette Ariane mélancolique, et même dépressive, la pétulante Sabine Devieilhe, elle aussi ancienne artiste de l’Académie, prête ici sa voix de soprano à Zerbinette. Toujours appréciée, toujours attendue, on se souvient avec plaisir de sa voix pleine de fraîcheur alors qu’elle chantait dans la Finta giardiniera en 2012 dans ce même festival. Si elle séduit ici le Compositeur dans un duo équilibré, elle séduira aussi le public par le timbre de sa voix et son esthétique musicale. Légère Zerbinette ? Certes, mais sachant aussi être profonde. Avec une voix claire et un joli phrasé, elle charme avec un aigu en demi-teinte, une belle couleur expressive, la souplesse de ses vocalises et un superbe staccato de colorature aux aigus fulgurants. son air Grossmächtige Prinzessin est un modèle de virtuosité. Comme Ariane, on la sent un peu gênée scéniquement, un manque de direction des acteurs ou une volonté de la mise en scène ? Nous n’écouterons donc que les voix, comme celle d’Angela Brower qui est ici un Compositeur plus que convaincant, nous entraînant dans ses émotions et ses colères. Belle voix de mezzo-soprano, claire, aux aigus superbes. Dans une réelle sûreté de voix, elle fait montre d’une puissance vocale toujours timbrée au phrasé élégant. Une belle découverte que cette chanteuse américaine qui a su s’imposer, nous séduire et nous émouvoir dès les premières notes. Une interprétation sans fautes et qui donne du relief. Josef Wagner est un Maître de musique d’importance à la belle allure. dans une diction parfaite au phrasé musical, il pose sa voix sonore, mélangeant rythmes, respirations, avec aisance pour cette prestation réussie. Déjà entendu au festival dans la Flûte enchantée ou dans les Noces de Figaro à l’Opéra de Marseille, où il interprétait le rôle de Figaro, le baryton-basse autrichien a su ici imposer son Maître de musique. Autre belle voix que celle du ténor américain Eric Cutler. Habitué aux rôles héroïques, il est ici le dieu Bacchus qui sortira Ariane de sa mélancolie. Sa voix sûre, forte colorée, dynamique s’unit à celle d’Ariane dans des accents straussiens, voire wagnériens pour un duo de charme où son médium large, coloré et ses aigus puissants finissent par séduire Ariane qui reprend goût à la vie et à l’amour, pour un final avec feux de Bengale. Cette distribution homogène dans sa qualité nous fait rencontrer Rupert Charlesworth dans le rôle d’un Maître à danser haut en couleurs, caricatural, mais très bien interprété, qui sait projeter sa voix de ténor avec rythme et éclat jusque dans ses aigus. Les quatre masques, Huw Montague Rendall, Jonathan Abernethy, Emilio Pons et David Shipley respectivement Arlequin, Brighella, Scaramuccio et Truffaldino font de leur mieux pour amuser Ariane, allant même jusqu’à un show érotique, mais sans grand succès. Vocalement très bien, ils se mêlent avec intelligence aux autres voix, tout en faisant ressortir leurs spécificités vocales dans une même esthétique musicale ; ils seront très applaudis, ainsi que les trois nymphes Beate Mordal, Andrea Hill et Elena Galitskaya respectivement Naïade, Dryade et Echo. Toutes trois dans des registres différents mettront un peu de poésie dans des interprétations sensibles aux couleurs de voix contrastées. La basse serbe Sava Vemic, fera ressortir les graves de sa voix dans le rôle du Laquais et la voix bien placée du comédien Maik Solbach coordonnera tout cela en Majordome expérimenté. Si cette représentation traîne un peu en longueur dans une mise en scène où l’humour et le pétillant ne sont pas au rendez-vous, rendant peu lisible cet opéra dans l’opéra, nous ne pouvons que louer les artistes et chanteurs qui, à les entendre, nous auront procuré un réel plaisir. Photo by Pascal Victor/ArtComPress