Chorégies d’Orange, Théâtre Antique, saison 2018
“MEFISTOFELE”
Opéra en un prologue, quatre actes et un épilogue, livret du compositeur, d’après Johann Wolfgang von Goethe.
Musique Arrigo Boito
Mefistofele ERWIN SCHROTT
Faust JEAN-FRANCOIS BORRAS
Margherita/Elena BEATRICE URIA-MONZON
Martha MARIE-ANGE TODOROVITCH
Wargner/Nereo REINALDO MACIAS
Pantalis VALENTINE LEMERCIER
Orchestre Philharmonique de Radio France
Choeur de l’Opéra Grand Avignon, de l’Opéra de Monte-Carlo, de l’Opéra de Nice, Choeur d’enfants de l’Académie de musique Rainier III-Monaco
Direction musicale Nathalie Stutzmann
Coordination des Choeurs Stefano Visconti
Mise en scène Jean-Louis Grinda
Décors Rudy Sabounghi
Costumes Buki Shiff
Lumière Laurent Castaingt
Vidéo Julien Soulier
Orange, le 9 juillet 2018
Pour sa première édition aux Chorégies d’Orange, Jean-Louis Grinda, le nouveau directeur, frappe fort. Quoi de plus frappant en effet que de mettre en scène le diable sous cet immense ciel étoilé ? Grandiose doit être le qualificatif de cette production avec plus de cent cinquante chanteurs sur scène. Un monument ! Si la première version présentée à la Scala de Milan en 1868 est un échec total (elle durait 6 heures), la version revue (seulement 3heures), et présentée en 1875 à Bologne est un triomphe. C’est celle qui nous est présentée ce soir. Arrigo Boito est presque plus connu comme librettiste (Gioconda, Simon Boccanegra, Otello…) que comme compositeur et c’est bien dommage. Il n’est pour s’en persuader que d’écouter Mefistofele, qui allie théâtralité, airs et phrases musicales à une partition d’orchestre fournie et très bien composée. Très intéressé par la légende de Faust, Boito utilise une version écourtée de Goethe, souhaitant se démarquer du Faust de Charles Gounod. Il écrira donc le livret et la musique pour un prologue, quatre actes et un épilogue. La théâtralité s’installe dès les premières notes où les trompettes inscrivent avec force le caractère de l’opéra avec des thèmes qui parcourent l’ouvrage. Et, puisque nous parlons de la musique, restons-y en évoquant tout de suite la direction de Nathalie Stutzmann. Une femme à le tête de l’immense Orchestre philharmonique de Radio France ? Et pourquoi pas. Nathalie Stutzmann, qui est plus connue pour sa voix de contralto qu’elle a fait résonner sur les plus grandes scènes et dans bien des rôles écrits pour sa voix, n’en est pas à ses premières directions d’orchestre (Orchestre philharmonique de Londres, orchestre de Philadelphie, Orchestre philharmonique de Rotterdam…) et plus près de nous, le grand succès qu’elle rencontre en dirigeant Tannhaüser à l’Opéra de Monte-Carlo en 2017. Autorité dans une gestuelle ample, tempi bien choisis qui s’animent en faisant ressortir l’ironie d’un propos, envolées lyriques, ensemble des attaques, respirations, puissance en fin, à faire trembler l’empereur Auguste sur son socle, mais aussi piani sensibles. Nathalie Stutzmann dirige un orchestre en grande forme qui se fait remarquer par sa justesse d’exécution, la force et la rondeur des cuivres ou l’homogénéité de chaque pupitre dans une musicalité de chaque instant. Une direction…virile et néanmoins sensible. Jean-Louis Grinda met ce Mefistofele en scène avec faste et justesse, dans la tradition des mises en scène cohérentes et spectaculaires qui ont toujours été la signature des Chorégies d’Orange. certes, cette immense scène tout en longueur est souvent difficile à gérer. Mais Jean-Louis Grinda a su au contraire l’exploiter, la meublant de hauts échafaudages métalliques où prendront place les 150 choristes qui des hauteurs projetteront leurs voix ; le bureau de Faust, sur une estrade, se place lui au milieu de la scène. Dans une idée de mouvement, le metteur en scène utilise le pourtour de l’orchestre pour faire évoluer les chanteurs, donnant ainsi de la profondeur à la scène. Les lumières de Laurent Castaingt, ainsi que les vidéos de Julien Soulier contribuent à imager le propos et créer les ambiances dans un rouge satanique, ou en éclairant les anges d’un blanc virginal. Lumières rasantes pour plus de mystère, ou feu d’artifice projeté sur le mur pour une fête de Pâques enjouée. Et c’est dans cette fête que les costumes de Buki Shiff colorés et déjantés prennent leur dimension. Mefistofele est habillé en parfaite équation avec le jeu du chanteur, mi inquiétant, mi ironique et grinçant, mais tout à fait satanique. Ici pas de rouge, le diable est en noir portant perruque blonde, courte aux cheveux dressés. C’est un diable redoutable mais moqueur dont la redingote de cuir aux pans plissés bouge avec ses mouvements. Le smoking de Faust lui donne une belle allure de respectabilité. La robe blanche de Margherita ainsi que le costume de troyenne d’Elena habillent Béatrice Uria-Monzon de manière élégante. Plus amusant est le petit tailleur rose de Marta en accord avec le personnage un rien extraverti, mais quelle belle réalisation que ces innombrables costumes blancs, anges lunaires, qui vont terrasser le diable en personne ! Visuellement c’est une réussite avec une évolution des acteurs bien orchestrée et un Mefistofele qui des hauteurs de l’escalier manipule le globe terrestre. Et, si un incident technique survenu le soir de la première nous prive de l’envol du diable emportant Faust dans une nacelle, tout, dans le dispositif scénique en accord avec la musique, nous a séduits. Vocalement, c’est aussi une réussite, et c’est ce qui donnera à cette représentation cette sensation d’aboutissement. Nous avions hâte d’écouter Erwin Schrott sur cette scène ; nous ne serons pas déçus. Il investit littéralement la scène de sa présence et de sa voix dont la projection porte loin. Avec rythmes et aigus tenus, il interprète avec profondeur la “chanson du monde”. Il est un Mefistofele à la voix ample, puissante et solide qui inquiète dans un rire sardonique ou des sifflets stridents. Si ses graves manquent un peu de puissance, il incarne ici un Mefistofele affirmé qui arrive à imposer le rôle de ce diable volontaire, sûr de sa puissance, mais qui sera terrassé par la rédemptions de Faust. Et ce Faust, c’est Jean-François Borras. Il chante de sa voix percutante, projetée dans une belle clarté qui passe au-dessus de l’orchestre sans forcer dans cette immense théâtre à ciel ouvert. Son chant juste, à l’aise, au phrasé musical nous fait au début entendre un air sensible, mais du vieil homme, il n’a que les cheveux gris. Que ce soit avec Margherita ou Elena, Jean-François Borras chante les duos avec force et sensibilité, gardant un timbre rond mais percutant, dans une présence qui lui permet de lutter contre l’immensité du théâtre et contre le diable lui-même. On retiendra le Faust de Jean-François Borras pour la puissance de ses aigus, le phrasé toujours musical et la présence scénique, en attendant le plaisir de l’écouter la saison prochaine à l’Opéra de Marseille dans le Faust de Charles Gounod cette fois. Si Reinaldo Macias est un ténor un peu moins puissant, il n’en est pas moins un Wagner convainquant qui marque sa présence par la justesse et la projection de sa voix bien placée. Béatrice Uria-Monzon, qui avait chanté les deux rôles Didon et Cassandre à l’Opéra de Marseille dans Les Troyens (Hector Berlioz), relève encore le défi d’être ici Margherita et Elena. Voix de soprano, pour cette mezzo-soprano qui aime chanter les rôles plus aigus. port altier et superbe allure, elle assure ces deux rôles avec fermeté et sûreté dans un jeu affirmé. Si sa diction est toujours approximative, on retiendra sa voix qui sait être dramatique ainsi que son jeu toujours investi. C’est sans doute dans le médium que nous apprécions le timbre de sa voix. Sachant faire résonner ses graves, son chant émeut alors qu’elle est seule dans la prison. C’est pourtant dans Elena que nous la préférons. Marie-Ange Todorovitch arrive à tirer son épingle du jeu dans un rôle très court mais néanmoins présent scéniquement et vocalement. Valentine Lemercier fait entendre avec bonheur son mezzo-soprano dans les rôle de Pantalis. On ne peut pas parler de Mefistofele sans parler du Choeur, des choeurs devrions-nous dire. Car pour être 150, on imagine bien qu’on ne les trouve pas dans un seul théâtre. Opéra Grand Avignon, Opéra de Monte-Carlo, Opéra de Nice, plus Choeur d’enfants de l’Académie de musique Rainier III-Monaco. Quelle puissance! Cet opéra est redoutable pour le Choeur, souvent en scène, souvent dans des tessitures aiguës, chantant des phrases lyriques d’une portée majeure, mais faisant éclater des fortissimi d’une puissance…diabolique. Sous la baguette de Nathalie Stutzmann, pas de répit pour le choeur. Attaques sûres, phrasé musical homogène des pupitres et voix éclatantes. Un immense bravo et d’énorme bravi d’un public sous le charme, mais aussi sous le choc de cette puissance satanique. Il est tard, il fait bon, et quel plaisir, une réussite ! Aucun clin d’oeil politique, aucune allusion à l’actualité, rien… que du Boïto et de grands artistes. Photo Abadie & Gromelle