Ludovic Tézier est un baryton français qui vole de succès en succès abordant la plupart des rôles écrits pour cette voix. Se produisant sur les plus grandes scènes, il fait escale à Marseille, sa ville natale, où il interprètera le rôle de Don Carlo dans Ernani. Avec beaucoup de gentillesse il partage ce moment avec nous.
Monsieur Tézier, parlez-nous de ce qui vous a conduit à une carrière musicale.
Rien de vraiment particulier. Il n’y avait pas de musiciens à proprement parler dans ma famille, mais mes parents aimaient la musique, l’art lyrique et écoutaient des disques très souvent. Cela m’a sans doute formé l’oreille et donné le goût du chant sous toutes ses formes. Alors je chantais, comme cela, pour moi. Après le bac j’ai passé un concours pour entrer au CNIPAL à Marseille. J’y ai rencontré Claudine Duprat, André Malaguera, qui m’ont prodigué un enseignement très productif. Je n’avais pas d’idée très précise, mais j’aimais chanter ; je suis alors entré à l’Ecole d’Art Lyrique de l’Opéra de Paris où j’ai rencontré l’immense artiste qu’était Michel Sénéchal qui vient de nous quitter. J’ai profité de ses conseils qui ont amélioré ma façon de chanter, mais qui m’ont aussi fait progresser scéniquement. Pour la technique j’ai beaucoup travaillé seul, en écoutant, en essayant de comprendre. Dans le chant, en dehors de posséder une voix, il y a une grande part de travail. Ensuite, je suis resté deux ans en troupe à l’Opéra de Lucerne. Deux années positives où je chantais tous les rôles de baryton. Et là aussi, un énorme travail, plus de quatre vingts représentations par an, où les rôles changent, s’enchaînent. On apprend beaucoup en troupe dans un théâtre. Hélas ! Les troupes n’existent plus dans les théâtres français.
Vous êtes issu du CNIPAL, qui a formé un grand nombre de chanteurs, que pensez-vous de cette institution ? C’est sans doute un fait regrettable qu’elle ait dû fermer ses portes.
Cette institution était formidable, formatrice. Elle aidait les jeunes chanteurs qui y étaient un peu rémunérés. Ce qui était intéressant aussi c’est que l’on y formait, et avec autant de sérieux, des chanteurs qui se destinaient à une carrière soit de soliste, soit de choriste. Nombre de chanteurs professionnels sont issus de cette école ; j’ai eu la chance d’y rencontrer Raymond Duffaut qui en était le directeur. Il m’a fait confiance et m’a longtemps suivi. Au fil des années, la formation a changé, l’enseignement se faisait plus sous forme de stage et c’était moins formateur ; mais le point déterminant est que le CNIPAL ne recevait plus les fonds nécessaires à son fonctionnement alors…les portes ont dû se fermer. La dissolution du CNIPAL faute de soutien financier est une perte pour les générations à venir de jeunes chanteurs.
Est-il facile, à notre époque en France, de rencontrer un professeur de chant qui puisse aussi vous guider en début de carrière ?
Facile ? Doux euphémisme, il n’y en a pas. C’est pourtant capital. La voix est une chose fragile, délicate, l’intelligence d’un professeur, sa sincérité, mais surtout la connaissance de la voix sont fondamentales. La relation entre le professeur et l’élève doit être basée sur la confiance. Il n’y a pas de véritable école de chant en France. Les conservatoires actuellement ? J’ai quelques doutes et, comme il est dangereux pour un jeune chanteur de changer souvent de professeur, il faut se fier à son intuition, ne faire confiance qu’à soi-même et travailler intelligemment.
Quelle est pour vous l’année que vous regardez comme le déclencheur de votre carrière ?
Je n’ai pas le souvenir d’une année particulière, tout s’est fait pour moi graduellement. Vous savez, professionnellement je sui un enfant gâté, et j’en ai conscience. Mes deux années à Lucerne ont été formatrices ; c’est une mise à l’étrier, mais dans un cadre rassurant, celui de la troupe. Toutes ces représentations, ces rôles différents vous ouvrent à la scène, à des opéras que vous n’aborderiez peut-être pas. Après ces deux années j’étais un chanteur différent.
Des prix comme Operalia ou Les Victoires de la Musique Classique peuvent-ils être considérés comme un tremplin pour une carrière ?
Les prix sont toujours intéressants et agréables. C’est une reconnaissance et cela conforte dans ses propres choix. Mais, dans mon cas, ils sont arrivés trop tard pour être considérés comme un tremplin. Ces prix sont des choses positives et je les ai beaucoup appréciés.
Considéré comme l’un des meilleurs barytons verdiens actuels, vous êtes aussi de la lignée des grands barytons français : Robert Massard, Ernest Blanc ou Gabriel Bacquier… Un baryton vous a-t-il marqué plus particulièrement ?
Sincèrement il y en a beaucoup, dix, vingt ? Je ne vais pas dire que les grands chanteurs ne m’inspirent pas. Peut-on chanter sans références ? L’opéra a ses traditions, on ne peut pas y échapper et l’on a tous, qu’on le veuille ou non, certains airs et certains phrasés dans l’oreille. Les barytons que vous me citez ont des qualités différentes qui vous inspirent un jour où l’autre. Le but des master classes est de continuer cette transmission et de donner ces références à de jeunes chanteurs.
Vous passez de Mozart à Tchaïkovski, de Wagner à Verdi ou Massenet dans des rôles aussi différents que Don Giovanni, Ford ou Wolfram… Y a-t-il un compositeur qui corresponde plus à votre sensibilité musicale ?
Sans hésitation je vous dirai Giuseppe Verdi. Sa musique, ses airs me correspondent. Il y a chez ce compositeur un phrasé à l’italienne très particulier avec un lyrisme aux émotions multiples. mais j’apprécie beaucoup aussi la musique de Richard Wagner et son côté théâtral assez impressionnant. Deux compositeurs reconnaissables dès les premières notes et qui ont un grand sens de la scène.
Y a-t-il un rôle que vous interprétez avec plus de plaisir ?
Là aussi, c’est sans hésiter que je vous réponds Rigoletto. Il y a dans ce personnage toutes les émotions : la colère, la haine même, la duplicité, l’idée de vengeance, mais aussi une tendresse infinie pour Gilda, et une douleur à faire pleurer le pierres. L’interpréter, c’est tout d’abord le plaisir du chanteur dans cette musique, mais c’est aussi être ce Rigoletto, cet être de souffrance. C’est peut-être le rôle qui demande le plus d’investissement. J’aime incarner les personnages un peu torturés. Le Rigoletto que j’ai interprété à Toulouse dans une mise en scène de Nicolas Joël reste, à ce jour, un des grands moments de ma carrière.
Sentez-vous une évolution dans votre voix ?
Oui, certes, ma voix s’élargit, prend de l’ampleur, mais j’aime revenir à Mozart, pour garder l’agilité que l’on peut perdre en élargissant trop la voix, il faut garder la souplesse pour plus de crédibilité. J’ai beaucoup aimé interpréter, dernièrement à Vienne, le rôle de Don Juan ; c’est un rôle fort, qui a du caractère, mais qui demande une grande rigueur vocale.
Que pensez-vous de la mode des Régie théâtres et trouvez-vous certaines mises en scène dérangeantes ?
Alors là, pas grand chose. Sans être fermé à toute modernité, je dois dire que je ne suis pas très sensible à trop d’extrapolation.
Quelles-sont les rencontres marquantes et déterminantes pour votre carrière ?
Il y en a beaucoup. Des chanteurs bien sûr, que j’admire et qui, d’une façon ou d’une autre, m’ont fait évoluer. Gabriel Bacquier, José van Dam, Carlos Chausson, Roberto Alagna, mais aussi des chefs d’orchestre. On apprend beaucoup avec de grands chefs, en dehors du plaisir que l’on a à travailler avec eux. Riccardo Mutti, et Christian Thielemann aussi, font partie des chefs d’orchestre qui m’ont marqué.
Y a-t-il il rôle que vous n’oseriez pas, ou ne pourriez pas aborder, mais que vous aimeriez chanter ?
Avec un petit sourire- Rôle improbable ? Oui, Otello, pour sa force, son caractère, mais aussi une sorte de fragilité, et dans un tout autre registre Siegmund. peut-être dans une autre vie…Merci Monsieur Tézier pour ce moment de partage, mais aussi pour le plaisir que l’on éprouve à vous écouter chanter.