Grand Théâtre d’Aix-en-Provence, saison 2018
London Symphony Orchestra
Direction musicale François Xavier Roth
Violon Renaud Capuçon
Béla Bartok: Concerto pour violon No2, Sz 112
Igor Stavinsky:”Le Chant du Rossignol”
Claude Debussy: “La Mer”, trois esquisses symphoniques pour orchestre
Aix-en-Provence, le 26 mars 2018
En cette fin du mois de mars, le Festival de Pâques d’Aix-en-Provence présentait sa sixième édition. Programme somptueux, promesse de moments de joies et d’intensité musicale. Parti sur les chapeaux de roues dès sa première édition et avec plusieurs concerts par jour, l’on imagine aisément combien il doit être difficile pour un festival de se renouveler tout en restant au top niveau. Mais rien à craindre de ce côté-ci car une fois encore, Dominique Bluzet et Renaud Capuçon ont fait appel à des solistes et des orchestres magnifiques. Pour cette soirée d’ouverture, musique du XXe siècle avec Béla Bartok, Igor Stravinsky et Claude Debussy, dont on célèbre le centième anniversaire de sa mort, avec rien de moins que le London Symphony Orchestra conduit par le chef d’orchestre français Xavier-Roth, et Renaud Capuçon en soliste. Salle comble évidemment mais dans une écoute religieuse jusqu’à l’éclat des applaudissements. Avec le London Symphony Orchestra, certainement l’une des meilleures phalanges actuelles, aucune surprise, c’est l’excellence au bout de chaque archet et jusqu’au dernier souffle de l’harmonie. François-Xavier Roth, Principal chef invité de cet orchestre depuis le début de la saison dirigera ce soir. Cet éminent chef français, qui a fondé en 2003 l’orchestre Les Siècles, mène une carrière internationale se distinguant dans le lyrique aussi bien que dans le symphonique avec une très grande discographie où Igor Stravinsky et Claude Debussy sont à l’honneur. C’est Bélà Bartok qui nous fait entrer en début de concert dans une musique forte, colorée, dont le style n’appartient qu’à lui. Influencé par Richard Strauss, Franz Liszt et Johannes Brahms, il prend la force de l’un, le romantisme de l’autre laissant les notes flirter ou s’éloigner, apportant sa personnalité et sa propre vision de la musique. Bélà Bartok achève la composition de ce concerto en 1939 ; il mettra de nombreuses années avant d’être programmé régulièrement dans les concerts. Difficulté d’écoute, difficulté d’exécution. Mais à l’heure où le public devient plus curieux et part volontiers à la découverte d’autres horizons, Bélà Bartok se fera connaître par d’autres oeuvres que ses Danses roumaines. Avec sa fougue habituelle, Renaud Capuçon se lance dans cette composition avec envolées d’archet, vibrato intense et main gauche virtuose. Dirigeant sans baguette, François-Xavier Roth fait ressortir les sonorités avec précision, soutenant le soliste dans un tempo allant. La technique sans failles de Renaud Capuçon lui laisse une grande liberté d’interprétation dans une musique aux atmosphères changeantes, comme le sont celles que vit le compositeur en ces temps troublés qui le mèneront à l’exil. Dialoguant sans cesse avec l’orchestre dans ce premier mouvement qui demande force et détermination, le violoniste développe son archet, change de tempo, respire, aborde les rythmes avec précision pour finalement se laisser aller à des phrases musicales sentimentales jouées avec charme et sensibilité dans une justesse parfaite. L’orchestre est là, présent, qui soutient, provoque, dialogue, fait résonner les instruments, laissant toujours la parole au violoniste. L’Andante tranquillo est joué sans traîner où cordes et timbales apportent leurs couleurs. Renaud Capuçon répond dans la souplesse d’un legato faisant sonner la 4ème corde de son Guarnerius Panette sans forcer, par la seule intensité de son vibrato. Cette composition moderne sans dissonances, fait ressortir le folklore hongrois, dans une sorte de danse laissant au soliste la liberté de quelque léger portamento. L’Allegro molto devient endiablé. Avec la précision du chef, qui insuffle les diverses atmosphères, Renaud Capuçon charme ou se déchaîne avec un archet d’une grande sûreté et l’on se demande, qu’est-ce donc qui est le plus impressionnant, sa vélocité de main gauche, sa technique d’archet ou son investissement ? Sans doute les trois, mais surtout la compréhension de ce concerto No2 aux changements multiples, qui font ressortir les angoisses et la mélancolie du compositeur, mais qui s’estompent devant un souffle vital jamais éteint. Quelle belle complicité entre l’orchestre, le chef et le soliste ! Bravo, Monsieur Capuçon, une interprétation somptueuse. Après l’entracte, plus calme est Le Chant du Rossignol composé par Igor Stravinsky. Ce poème symphonique en 3 mouvements, tiré de son opéra Le Rossignol, est adapté pour les ballets russes de Serge Diaghilev en 1917. Cette composition est une Ode à la nature, avec des sonorités étranges, quelquefois menaçantes, aigües avec le piccolo, plus graves avec trombones et tuba, parfois bouchés afin de créer les atmosphères. Présences mystérieuses, éclairs de lumière, rien ne manque dans cette partition imagée ; le Rossignol ? Mais pas seulement, des changements de tempi, des dialogues harmonieux ou inquiétants ponctués par quelques accents venus de Chine. Même sans baguette, cette direction est d’une grande précision et d’une parfaite netteté quant aux couleurs. Un moment d’évasion qui sera suivi par La Mer, la composition de Claude Debussy tout aussi envoûtante. C’est peut-être l’oeuvre qui caractérise le plus le compositeur, où sont réunies les couleurs, les atmosphères, les respirations mais aussi l’élégance toute française d’une époque révolue. François-Xavier Roth est un chef d’orchestre qui comprend et sait faire ressortir les éléments spécifiques à cette musique ; car, que serait la musique de Claude Debussy sans cette notion première ? Une suite d’images sans doute. A la tête d’un orchestre d’une grande souplesse, le maestro sait moduler les sonorités ; dans un tempo allant il fait se lever le jour avec ses clartés mystérieuses, dans une progression qui nous fait suivre la courbe du soleil avec calme, ou plus intensément dans un énorme crescendo qui nous conduit de l’aube au zénith. Le jeu des vagues est construit sur l’harmonie aux belles sonorités quand harpes et cor anglais animent la mer qui s’agite avec les envolées des altos, violoncelles et l’éclat des trompettes. Après l’énorme crescendo, revient le calme, celui qui précède la tempête ? Sans doute. Grondement des celli, un orage se prépare, menace, une écriture juste, qui fait éclater la trompette dans un son clair. Peut-être manque-t-il ce petit balancement, ces respirations qui nous emmènent sur les vagues ? Mais une belle unité de son avec les cors et le quatuor en réponse. Superbe solo de hautbois d’une grande sensibilité coloré par le glockenspiel. Changement d’atmosphères grâce au choral de cuivre qui fait scintiller la mer sur un énorme crescendo aux sons pleins. François -Xavier Roth, dans cette interprétation toute française, sculpte les sons, laissant la parole à l’écriture de Claude Debussy qui parle d’elle-même, loin des grandiloquences hors de propos. Une interprétation magistrale qui soulève la salle d’enthousiasme. Pour finir la soirée et démontrer encore, s’il en était besoin, les possibilités de cet orchestre magnifique, un thème de Star Wars de John Williams, que le LSO avait enregistré pour le film, nous était offert en bis. Oui, la force est bien là, dans une puissance de son, avec des cors, des cordes qui avancent, marche inexorable, sur un quatuor au détaché rapide. Rythme, cymbale, un festival de sons et de beaux sons. Superbe démonstration de l’orchestre dirigé avec intelligence et précision. Une soirée d’ouverture de festival remarquable et remarquée qui donne envie de poursuivre le voyage. Photo Caroline Doutre