Grand Théâtre de Provence, saison 2018
Orchestre national de France
Direction musicale Emmanuel Krivine
Piano Francesco Piemontesi
César Franck: Variations symphoniques pour piano et orchestre, FWV 46
Richard Strauss: Burlesque en ré mineur, Trv 145
Claude Debussy: Images pour orchestre : I. Gigues, II. Ibéria. 1. Par les rues et par les chemins, 2. Les parfums de la nuit, 3. Le matin d’un jour de fête, III. Rondes de printemps
Aix-en-Provence, le 29 Mars 2018
En cette soirée du29 mars 2018, la belle salle du Grand Théâtre de Provence recevait l’Orchestre national de France, dans le cadre du Festival de Pâques, avec à sa tête son nouveau chef Emmanuel Krivine. Si d’immenses chefs d’orchestre se sont succédé à ce poste tels Charles Dutoit, Lorin Maazel, Kurt Mazur… aucun chef français depuis quarante ans. Malgré des origines russes et polonaises, Emmanuel Krivine est un chef français connu et reconnu pour posséder les clés et le style de la musique française. Remarquable violoniste, il dirige depuis 1965 ; chef invité permanent du Nouvel Orchestre philharmonique de Radio France puis directeur musical de l’Orchestre national de Lyon c’est dire s’il connaît bien les musiciens français et leur fonctionnement. D’une grande culture musicale, il sait ce qu’il veut obtenir et comment le leur demander. Avec deux compositeurs français au programme, nous apprécions d’écouter cette musique interprétée par un chef imprégné des atmosphères particulières à cette musique. On le sait, Emmanuel Krivine est un chef d’orchestre attaché aux détails, à la justesse d’expression, loin des redondances musicales. La beauté de ce concert, car il est également à marquer d’une pierre blanche, viendra du choix judicieux du soliste qui, avec son jeu raffiné, sera en parfaite communion avec le chef et son orchestre. Francesco Piemontesi est apprécié pour la limpidité et le naturel de ses interprétations. Ayant travaillé avec Alfred Brendel, entre autres, il a appris ” l’amour du détail des choses”. lauréat du concours Reine Elisabeth de Bruxelles 2007, il est applaudi en musique de chambre, en récital ou en concert avec orchestre. Il allait interpréter ce soir, avec l’Orchestre national de France les Variations symphoniques pour piano et orchestre de César Franck et Burlesque de Richard Strauss. Ces deux oeuvres, bien que contemporaines, sont composées par un César Franck arrivé aux dernières années de sa vie, et un Richard Strauss encore très jeune. Commencées sur deux accords forte, les Variations symphoniques donnent la parole à un piano sensible au phrasé délicat. Mystérieux ou plus énergique, l’orchestre laisse le pianiste raconter son histoire avec simplicité. Sous les doigts d’un Francesco Piemontesi au toucher délicat, les phrases romantiques chantées à deux voix sonnent avec homogénéité. Emmanuel Krivine ne cherche pas à imposer sa vision de l’oeuvre mais laisse le soliste s’exprimer dans une musique tendre aux atmosphères éthérées qui s’animeront dans une joyeuse promenade. Les notes semblent couler avec limpidité dans un accelerando joué avec plus de force dans un thème qui revient comme un délicat ostinato. Charme et souplesse sont les maîtres-mots de cette interprétation. Vif et plus présent sera Burlesque avec un piano plus incisif mais dont le toucher reste délicat. Le maestro dirige d’une baguette affirmée dans des interventions précises. Cette pièce de structure classique laisse ressortir le tempérament du pianiste qui passe d’une charmante mélancolie à un humour plus léger, pour se déchaîner avec force et sûreté. Et, s’il faut tendre l’oreille pour entendre quelques harmonies qui seront plus tard la signature de Richard Strauss, on apprécie la précision de l’écriture imagée aux couleurs différentes qui font ressortir la technique et la musicalité du soliste. Les changements d’atmosphères s’impriment avec souplesse et sensibilité dans une continuité musicale qui enthousiasme, tant force et délicatesse s’entrecroisent pour un crescendo féroce qui finit avec humour. Emmanuel Krivine a su avec précision et panache faire ressortir les couleurs apportées par l’orchestre, sans grandiloquence mais avec justesse. Une mention toute spéciale pour le timbalier dont les sons veloutés ont rythmé avec pertinence et musicalité le récit du pianiste. Un véritable régal ! Ovationné, Francesco Piemontesi se remet au piano pour interpréter le mouvement lent d’une sonate de Mozart d’une élégance rare dans un tempo sans lenteur. Superbe toucher du pianiste jusque dans les notes piquées, et l’on retient son souffle de peur de déranger cette simplicité. Comme c’est beau le piano ainsi joué ! Avec les longs cheveux de Mélisande Claude Debussy paraissait appartenir au courant symboliste mais, c’est dans la mouvance impressionniste que le compositeur se classe avec les lumières et les couleurs de son poème symphonique La Mer. Avec Images pour orchestre, Claude Debussy semble sortir de ces clichés en faisant référence à de la musique déjà entendue. Des évocations musicales plus que picturales, certes toujours marquées par son immense palette de couleurs et de sonorités, se servant avec maestria des divers instruments pour créer les atmosphères. Cette oeuvre, en trois parties, pensée tout d’abord pour être jouée à deux pianos, est composée entre 1905 et 1912. Gigues est un souvenir d’Angleterre mis en musique qui reprend un air populaire écossais. Quelques harmonies ou dynamiques spécifiques à son opéra Pélleas et Mélisande s’écoutent avec plaisir. Emmanuel Krivine fait sonner avec souplesse son orchestre qui répond à la moindre fluctuation de nuances, passant du mystère, avec des notes comme en lévitation, à des rythmes dirigés d’une baguette nerveuse dans une grande précision du geste. Timbres étranges pour une fin jouée triple piano. Avec Iberia, le deuxième volet de ce triptyque musical, ce sont des accents venus d’Espagne. Danses, castagnettes, dans un balancement qui emporte des vagues sonores ; trompettes bouchées ou éclat des cuivres dans un son qui reste velouté. Phrases jouées comme une évidence dans une alchimie sonore. Après les danses, les parfums de la nuit vont embaumer la salle du Grand Théâtre de Provence dans une musique en suspension. Avec une baguette qui respire et une économie de gestes, Emmanuel Krivine fait ressortir les sons étranges dans un savant dosage de délicatesse et de subtilité. Mais résonnent les trompettes Le matin d’un jour de fête avec le son aigu de la clarinette. Difficulté des changements de tempi, de couleurs et de rythmes tout en conservant une superbe précision ; immense crescendo pour une fête réussie. Rondes de printemps dans un enchantement de couleurs fait ressortir les chants enfantins, “Nous n’irons plus au bois” chantent les instruments dans un son clair. Comptines françaises pour cette dernière image. Ce concert, joué avec beaucoup de grâce et d’intelligence musicale par chaque interprète, a su plonger les auditeurs dans un rêve éveillé ; un pianiste remarquable et un orchestre superbe de souplesse et de musicalité, tous dirigés par un Emmanuel Krivine au sommet de son art dans ces musiques qui demandent une grande subtilité et une grande connaissance des compositeurs. Un immense bravo !Photo Caroline Doutre