Grand Théâtre d’Aix-en-Provence, saison 2018
Violon Renaud Capuçon
Violoncelle Kian Soltani
Piano Martha Argerich
Piano Nicholas Angelich
Claude Debussy: “Prélude à l’après-midi d’un faune”; Sonate n° 1 en ré mineur pour violoncelle et piano; Sonate n° 3 pour violon et piano
Robert Schumann: Six études en forme de canon, op.56 (arrangement pour deux pianos de Claude Debussy)
Felix Mendelssohn: Trio pour piano, violon et violoncelle No1 en ré mineur, op.49
Aix-en-Provence, le 8 avril 2018
Toute bonne chose ayant une fin, nous arrivons, en ce dimanche 8 avril, au concert de clôture de la sixième édition du Festival de Pâques d’Aix-en-Provence. Loin de l’éclat des grands orchestres symphoniques (London Symphony Orchestra ou Orchestre national de France …), c’est en petit comité, comme à pas feutrés que la musique quitte la scène du Grand Théâtre de Provence. Mais quelle qualité, quelle intensité musicale ! Les aléas des festivals ont conduit les directeurs de celui-ci à modifier un peu ce dernier programme. C’est avec Daniel Barenboim (grand ami et complice de Martha Argerich) que les deux pianos devaient vibrer à l’unisson. Un problème de santé ayant contraint ce dernier d’annuler sa participation, c’est au pied levé et dans un grand élan d’amitié que Nicholas Angelich a répondu présent à l’appel de Renaud Capuçon. Certes les deux pianistes se connaissent, s’apprécient et jouent ensemble (nous les avions d’ailleurs fort appréciés dans l’interprétation du concerto pour deux pianos de Francis Poulenc aux Chorégies d’Orange le 10 juillet 2015), mais un petit changement dans le programme a toutefois été nécessaire. Nous passerons donc d’une programmation tout Debussy, à des oeuvres ajoutées de Robert Schumann ou Felix Mendelssohn, et le piano à quatre mains cèdera la place aux deux pianos. Evidemment, nous aurions aimé retrouver le duo Martha Argerich et Daniel Barenboim qui avait fait si forte impression lors d’un bis mémorable dans une précédente édition du Festival de Pâques, mais ce concert nous enthousiasmera tout autant dans sa nouvelle conception. On ne présente plus Martha Argerich tant elle est une figure incontournable, une icône même du monde pianistique. Dotée d’un tempérament de feu, elle joue accompagnée par les plus grands orchestres et son importante discographie la fera entrer dans les foyer des mélomanes du monde entier. Connue, mais aussi reconnue, elle reçoit de nombreuses distinctions de pays étrangers, Japon, France, Etats Unis… A ses côtés, Nicholas Angelich, pianiste américain qui dès ses treize ans entrera au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris et étudiera avec Aldo Ciccolini. Prix des jeunes talents du “Klavier Festival Ruhr” ou “Soliste instrumental de l’année” aux Victoires de la Musique Classique 2013, il fait, depuis longtemps déjà, une belle carrière internationale. Le violoncelliste Kian Soltani, qui joue sur le violoncelle Stradivarius 1694, a déjà été fortement applaudi le 5 avril dans un concert en trio (piano, violon, violoncelle) et c’est avec un immense plaisir qu’on le retrouve en cette soirée de clôture. Né à Bregenz en 1992, c’est dire s’il est encore très jeune, il a malgré ce, été invité dans d’illustres festivals et a déjà joué dans les plus grandes salles du monde. A leur côté, Renaud Capuçon que l’on ne présente plus en ce festival. C’est avec Prélude à l’après-midi d’un faune, de Claude Debussy, que débute tout en douceur ce concert, version pour 2 pianos transcrite par le compositeur. Cette transcription nous paraît même plus intense dans son intériorité, avec un dépouillement qui nous permet d’entrevoir, peut-être entre le feuillage, les langueurs du faune, ses mouvements lents, percevoir son souffle dans une musique encore plus délicate. Les deux pianistes ajustent leur jeu, leurs nuances, leurs respirations à celles de la nature, de ce faune alangui, mais ces impressions suaves nous les devons principalement à l’interprétation des deux solistes. Méditation, bruissements de la forêt, force puis diminuendo dans un rallentando qui invite au repos. Sensualité et sensibilité extrême, superbe ! En 1915, Claude Debussy, déjà affaibli, compose cette sonate en ré mineur pour violoncelle et piano, l’occasion pour Kian Soltani de faire sonner ici son magnifique violoncelle dans les phrases langoureuses et mélancoliques d’un chant méditatif, qui nous font découvrir une autre facette de ce compositeur. Notes piquées, sonorités plus étranges mélangées aux pizzicati dans un deuxième mouvement qui s’enchaîne avec dextérité au Finale très animé. Kian Soltani est un violoncelliste que l’on pourrait qualifier de particulier ou d’atypique, peut-être dans la lignée d’un Paul Tortelier, tant il joue sur les sonorités, la longueur d’archet et le vibrato, une interprétation au romantisme maîtrisé en parfaite adéquation avec le jeu de Nicholas Angelich dans un duo où les phrases chantées se jouent alternativement. Un superbe équilibre des sonorités pour ce moment de musique intense. Nicholas Angelich reste au piano, mais le Stradivarius de Kian Soltani laisse la place au Guarnerius de Renaud Capuçon pour cette Sonate créée le 5 mai 1917 salle Gaveau à Paris. Avec le compositeur au piano et Gaston Poulet au violon, cette pièce verra la dernière apparition en public de Claude Debussy au mois de septembre suivant. Il mourra d’ailleurs peu de temps plus tard. Nous retrouvons les qualités que nous aimons chez ce violoniste qui aura dévoilé de nombreuses facettes de son art dans ce Festival de Pâques 2018, allant de Bartok à Bach, tout en passant par Mozart, Debussy ou encore Mendelssohn, épousant leur style tout en conservant sa personnalité. La longueur et l’énergie d’un archet à la corde ou d’un jettato au talon, le charme d’un démanché ou d’une longue tenue et la douceur du toucher du pianiste séduisent dans ce discours léger à deux voix parfaitement équilibré. Plus animé sera ce Finale qui reste retenu jusqu’à la puissance ultime, quand les deux instruments fondent leurs sonorités dans un crescendo sans forcer. Bel échange qui fait ressortir la musicalité et la technique de chacun dans une écoute de l’autre qui autorise ce bel équilibre. Après l’entracte les deux pianistes reviennent pour interpréter Six études en forme de canon composées en 1845 par Robert Schumann et transcrites plus tard par Claude Debussy pour deux pianos. Ces pièces d’une grande fraîcheurs qui débutent par une étude où les note s’égrainent avec précision, deux voix qui se répondent dans un discours aimable et des tempi allant, canon sous forme réponses, pourraient se jouer dans des salons un après-midi. La beauté du style et du toucher des deux pianistes nous emmène en balade dans des paysages apaisants. Notes piquées, accents forte, donnent du caractère, mais avec légèreté et subtilité, dans une sorte d’humour sensible. Les phrases plus romantiques jouées sans lenteur restent douces à l’oreille telles un badinage entre deux amis. Cette interprétation admirable fait que chacun retient son souffle pour n’être privé en rien du charme de chaque note. Sensibilité du compositeur mais aussi des deux interprètes comme un au revoir avec la promesse d’un prochain retour. Le trio piano, violon violoncelle No1 de Felix Mendelssohn avec Martha Argerich au piano était la dernière oeuvre inscrite au programme. Ce trio, composé en 1839, est considéré comme la pièce de musique de chambre la plus populaire du compositeur. Débutant en ré mineur, il se termine en ré majeur, avec des thèmes qui s’enchevêtrent dans un style romantique. Dès l’entrée le violoncelle pose le discours dans une phrase lyrique reprise par le violon dans de belles longueurs d’archets qui semblent être le prolongement du bras. Trois voix, mais un seul propos avec une entente parfaite du style et des sonorités dans un immense Crescendo. Un Molto allegro qui enthousiasme le public au point d’applaudir dès la fin du premier mouvement. L’Andante plus calme et sensible vient tempérer cet enthousiasme. Douceur du piano avec les archets en contre-chant ; une interprétation généreuse dans le jeu, le son et l’intention où chacun prend la parole à son tour dans une même esthétique musicale. Le tempo vif du Scherzo permet d’apprécier la virtuosité des trois solistes. Légèreté, dextérité dans les phrases courtes où l’on se répond avec humour dans des accents percutants pour finir sur un pizzicato léger. Rapide aussi le Finale qui se joue appassionato. Force, énergie sans baisse de tension. Les doigts de Martha Argerich semblent effleurer les touches, voler sur le clavier et pourtant…L’entente parfaite des artistes dans cet échange où les intensions musicales sont menées jusqu’au bout avec fouge et engagement emporte le public dans des envolées et des rythmes endiablés. Quelle fougue dans l’engagement ! Une superbe interprétation de ce trio qui mélange la sensibilité et l’exaltation du compositeur. Le public redouble d’enthousiasme après une courte reprise d’un mouvement. Commencé avec les langueurs du faune ensommeillé, ce concert est monté en crescendo jusqu’aux derniers accords d’un Mendelssohn déchaîné. Les artistes sont généreux, on le sait, et pour célébrer encore Claude Debussy en cette année du centenaire de sa mort Martha Argerich et Nicholas Angelich allaient clôturer ce festival par Fêtes, un nocturne transcrit pour 2 pianos par Maurice Ravel, joué avec sûreté dans un tempo vif. Les nuances, la puissance, l’éclat d’un jour de fêtes, mais aussi mystère et sensibilité. Un concert mémorable qui clôture un festival conduit sous les auspices du talent et de la beauté avec une Martha Argerich qui arrive à petits pas hésitants et que l’on retrouve jeune fille dès qu’elle est au piano avec cette flamme qui ne l’a jamais quittée. Un immense bravo ! En 23 concert, cette sixième édition du Festival de Pâques d’Aix-en-Provence a reçu 780 artistes qui ont enthousiasmé 22 200 spectateurs. Une énorme réussite qui nous rend impatients de connaître la septième édition. Photo Caroline Doutre