Paris, Théâtre des Champs-Elysées: “Dialogues des Carmélites”

Paris, Théâtre des Champs-Elysées, saison 2017 / 2018
“DIALOGUES DES CARMÉLITES”
Opéra en trois actes et douze tableaux, livret de Francis Poulenc d’après le texte de Georges Bernanos.
Musique Francis Poulenc
Mère Marie de l’Incarnation SOPHIE KOCH
Blanche de La Force PATRICIA PETIBON
Madame Lidoine VERONIQUE GENS
Soeur Constance de Saint Denis SABINE DEVIEILHE
Madame de Croissy ANNE SOPHIE VON OTTER
Le Chevalier de La Force STANISLAS DE BARBEYRAC
Le Marquis de La Force NICOLAS CAVALIER
Mère Jeanne de l’Enfant Jésus SARAH JOUFFROY
Soeur Mathilde LUCIE ROCHE
Le Père confesseur du couvent FRANCOIS PIOLINO
Le premier commissaire ENGUERRAND DE HYS
Le second commissaire / un officier ARNAUD RICHARD
Thierry / le médecin / le geôlier MATTHIEU LECROART
Orchestre National de France
Choeur du Théâtre des Champs-Elysées
Ensemble Aedes  Direction Mathieu Romano
Direction musicale Jérémie Rhorer
Mise en scène Olivier Py
Scénographie,  décors et costumes Pierre-André Weitz
Lumières Bertrand Killy
Paris, le 9 février 2018
Lorsque l’opéra Dialogues des carmélites est programmé, il faut s’y précipiter, que l’on soit croyant où non. Ce petit bijou de Francis Poulenc élève l’âme et transporte dans un monde de beauté, de pureté, même si certaines scènes pourraient faire penser le contraire. Temps suspendu, voix éthérées, cette production, récompensée à sa création en décembre 2014 par le Grand prix de l’Association professionnelle de la critique (ex Syndicat), est le fruit de la rencontre dans la foi de trois talents : Georges Bernanos pour le texte, Francis Poulenc pour la musique et Olivier Py pour la mise en scène. Peut-on monter ce spectacle si l’on est pas habité par un sentiment religieux ? La question reste posée. Cette rencontre donnera ces 2 heures 30 d’intense communion entre les artistes et le public. Olivier Py a pris le parti de présenter cet opéra en une sorte de huis clos  très peu ouvert sur l’extérieur le suggérant plus que ne le montrant. Car ce dont il est question ici, c’est de l’enfermement psychologique de chacune et de chacun, avec ses affirmations, mais surtout ses doutes et ses peurs devant l’inéluctable, alors qu’on est mis face à son destin. les révélations inattendues sont là pour nous faire réfléchir. Et, dans ce huis clos, chacun réfléchit. Une Prieure qui panique devant la mort, une Mère Marie qui ne monte pas à l’échafaud, une Soeur Constance qui flanche devant un choix et une Soeur Blanche qui sacrifie sa vie, mais ne l’avait-elle pas fait déjà, bien avant ? Le martye, est-ce cela l’élévation de l’âme, et ne vit-on pas que dans ce but ? Dialogues des carmélites  est un opéra dû au hasard, Francis Poulenc avait tout d’abord été pressenti par le Directeur de la Scala de Milan pour composer un ballet, mais il s’investira tant dans cette composition qui lui prendra trois années, qu’il dira : ” Ce sera mon chef d’oeuvre ou je veux mourir “. Et ce ne sera pas seulement le chef d’oeuvre de Francis Poulenc, ce sera un chef d’oeuvre  tout simplement ; certainement l’oeuvre la plus marquante de cette moitié du XXe siècle et pour plus longtemps encore. On a vu hélas ! toutes sortes de mises en scène, des belles qui restent en mémoire et d’autres affreuses que l’on essaie d’oublier. Mais Olivier Py a décidé d’aller à l’essentiel, et même à l’essence de l’oeuvre. Il ne cherche pas à cacher ses convictions religieuses, et nous lui savons gré. Sobre est la mise en scène, sobre est la scénographie, et sobres encore sont les lumières d’une justesse criante. Un cube noir occupe la scène et, dans cet espace réduit, tout se passe, tout se pense, tout se transcende. Des panneaux s’ouvrent, se ferment formant une croix. Nous sommes chez le Marquis de La Force, mais rien ne l’indiquera, si ce n’est un lustre de cristal monumental qui montera dans les cintre lorsque nous changerons de lieu. Du mobilier ? Non, rien que l’on ne puisse trouver chez des carmélites, mais des images christiques : la grande table de la cène pour le dernier repas pris par les religieuses dans leur couvent, l’évocation de la Passion avec sa mise en croix. Le moment qu’Olivier Py a voulu rendre le plus spectaculaire est sans doute la mort de la Prieure. Bien sûr nous sommes dans sa cellule mais le lit est accroché au mur, nous la voyons de face et, par un effet d’optique, au bout de quelques minutes nous avons l’impression de la voir de plus haut. C’est spectaculaire, mais un peu moins émouvant que lorsque le lit repose sur le sol. Pas d’échafaud non plus, mais un ciel étoilé où les âmes des religieuses brilleront pour l’éternité. On comprend pourquoi ce spectacle a tété récompensé par un Grand prix de la Critique. Pierre-André Weitz signe la scénographie (décors et costumes). Rien ne déroge au propos dans cette représentation monacale, l’austérité va jusqu’à l’évocation esthétique et sobre de la révolution, avec quelques violences vues en ombres chinoises, une projection d’arbres dans des teintes grises de tombée du jour, et une prison réduite à sa plus simple expression. Les lumières de Bertrand Killy se déclinent en blanc et gris mais avec des rais de lumières, des contre-jours et des transparences qui illuminent littéralement la scène. Aucune faute de goût, aucun glissement vers d’autres horizons, mais une adhésion au propos totalement inspiré. Avec cela, un plateau de rêve dont l’homogénéité fera sans doute référence. Cast impeccable, et vocal, et scénique. Commençons par Madame de Croissy dont l’agonie marquera encore les esprits bien après la fin du spectacle. Anne Sophie von Otter avec son mezzo-soprano chaleureux aux aigus puissants est plus que crédible, la peur, la douleur transparaissent dans sa voix qui reste forte, sonore, dans une diction impeccable. Humaine, loin de la représentation d’une Prieure, seule face à ses doutes elle mourra dans un dernier râle les bras écartés, comme crucifiée. Un très grand moment d’émotion. Blanche est fascinée, tétanisée par cette mort en direct. Ses peurs ressortent et la rendent parfois dure face à Constance ou même son frère. Patricia Petibon lutte sur scène, nous fait ressentir ses peurs par son jeu, mais aussi par sa voix claire à la diction parfaite. L’angoisse, la tension n’altèrent pas l’intelligence de son chant ; crédible dans la colère qu’elle maîtrise, sa voix sait se faire plus fragile. Blanche de La Force qui s’est donnée à cette communauté montera à l’échafaud tel un bon petit soldat qui a trouvé sa voie et qui s’est débarrassé de ses doutes. Sabine Devieilhe est Soeur Constance de Saint Denis. Elle a voulu rester dans cette insouciance, dans une saine gaîté qui la protège, Françis Poulenc la voyait comme “une soubrette de Dieu”. Franche et sans malice elle vit, tout simplement, elle se trompe certes, mais se reprend, toujours avec simplicité, elle n’a aucun doute, même sur Blanche. Drôle, vive et joyeuse, sa voix passe dans de belles nuances avec de jolis aigus. Elle sait être tendre, touchante, rayon de lumière dans cette austérité. La Mère Marie de l’Incarnation de Sophie Koch est un personnage très marqué. Elle impose son mezzo-soprano avec force et détermination dans une grande homogénéité de voix, des graves qui résonnent et et des aigus assurés. Une interprétation sobre où justesse de jeu et justesse vocale se rejoignent. Une autre belle interprétation est celle de Véronique Gens qui est une Madame Lidoine sans reproches, telle que le demande le rôle, solide mais juste avec une ligne de chant maîtrisée, comme elle maîtrise ses sentiments, se voulant la Mère de toutes jusqu’à la fin. avec Lucie Roche (Soeur Mathilde), Sarah Jouffroy (Mère Jeanne de l’Enfant Jésus), les religieuses ont réussi, malgré des caractères différents, à se fondre dans une même esthétique de jeu et de musicalité. Stanislas de Barbeyrac qui se glisse depuis plusieurs années déjà dans le personnage du Chevalier de La Force est encore une fois ici parfait dans sa diction et son interprétation. Sa voix de ténor français a cette compréhension de la musique de Francis Poulenc qui convient pour cette partition principalement chantée par des voix féminines. Le phrasé délicat laisse poindre des sentiments plus marqués dans un timbre toujours homogène. On regrette un orchestre souvent trop présent qui l’oblige à forcer quelques fois. Nicolas Cavalier est le Marquis de la Force. Comme dans chacune de ses interprétations, il fait résonner sa voix de basse avec naturel et musicalité. Son jeu un peu extérieur mais qui reste dans cette sobriété ambiante rend le personnage un peu plus froid que nature. Le Père confesseur du couvent est interprété par le ténor François Piolino avec une voix ronde et sensible, sans faire d’éclas mais jouant les atmosphères avec justesse. Enguerrand de Hys est un premier  commissaire à la diction et au phrasé parfaits. Arnaud Richard second commissaire / un officier, et Matthieu Lécroart Thierry/ le médecin/ le geôlier, tous jusqu’aux seconds rôles apportent leur talent dans une grande compréhension de la pièce et de la musique. Le Choeur du Théâtre des Champs-Elysées et l’Ensemble Aedes concourent à maintenir les atmosphères et la tension contenues dans la musique. Notre unique déception viendra non pas de l’orchestre car l’Orchestre National de France nous offre toujours autan de rondeur de son, d’ensemble et d’homogénéité des divers pupitres qui laissent résonner les cuivres aux sonorités chaleureuses, mais du chef d’orchestre Jérémie Rhorer. Ce jeune chef, fondateur du Cercle de l’harmonie cède ici à la mode actuelle et qui se traduit par trop vite et trop fort. La musique de Francis Poulenc est typique du style français et de son époque. Dans le conteste religieux de cet opéra, il n’est pas nécessaire de diriger tout trop lent, mais trop vite… Il y a tant de changements de sentiments et d’atmosphères, et si rapides qu’une grande souplesse est requise. Les sons qui souvent doivent venir de loin, comme suggérés sont ici trop présents, trop durs, il faut garder en mémoire l’interprétation du maestro Serge Baudo, qui a connu le compositeur, et qui sait faire ressortir comme personne les subtilités contenues dans cette musique imagée : la peur, l’angoisse, mais la lumière d’un Salve Regina qui s’éteint en montant dans les étoiles le dernier couperet tombé. Si Jérémie Rhorer est passé à côté de la musique de Francis Poulenc, cette représentation fait partie de ces moments de grâce que l’on essaie de faire résonner encore et encore dans nos têtes et dans nos coeurs. Photo Vincent Pontet