Paris, Opéra Bastille, saison 2017 / 2018
“LA TRAVIATA”
Opéra en trois actes, livret de Francesco Maria Piave d’après La Dame aux camélias d’Alexande Dumas Fils.
Musique GIUSEPPE VERDI
Violetta Valery MARINA REBEKA
Flora Bervoix VIRGINIE VERREZ
Annina ISABELLE DRUET
Alfredo Germont RAME LAHAJ
Giorgio Germont VITALIY BILYY
Gastone JULIEN DRAN
Il Barone Douphol PHILIPPE ROUILLON
Il Marchese d’Obigny TIAGO MATOS
Dottore Grenvil TOMISLAV LAVOIE
Giuseppe JOHN BERNARD
Domestico CHRISTIAN-RODRIGUE MOUNGOUNGOU
Commissionario PIERPAOLO PALLONI
Orchestre et Choeur de l’Opéra de Paris
Direction musicale Dan Ettinger
Chef de Choeur Alessandro Di Stefano
Mise en scène Benoît Jacquot
Décors Sylvain Chauvelot
Costumes Christian Gasc
Lumières André Diot
Chorégraphie Philippe Giraudeau
Paris, le 8 février 2018
La Traviata de Giuseppe Verdi est certainement l’opéra le plus connu et le plus populaire ; mélomanes et autres, tous se déplacent à l’annonce de sa programmation. Créé au Teatro La Fenice de Venise le 6 mars 1853, le succès n’est pas au rendez-vous. Déjà, pour céder à la censure, Verdi avait dû transposer l’époque, passant des années 1850 à celles de 1700, le recul permettant de présenter une histoire au réalisme inaccoutumé. Une critique de la société trop proche était alors inacceptable. Après quelques changements, Giuseppe Verdi encore très touché par l’accueil réservé à son opéra, accepte une reprise au Teatro San Benedetto de Venise le 6 mai 1854, ce sera alors un raz de marée d’applaudissements. Mais il faudra attendre 1906, cinq ans après la mort de Giuseppe Verdi, pour que le spectacle soit représenté dans l’époque et les costumes voulus par le compositeur. Après avoir mis en scène Werther, l’opéra de Jules Massenet, le cinéaste Benoît Jacquot met en scène en 2014 La Traviata à l’Opéra Bastille. C’est cette production qui nous est proposée ce soir. Metteur en scène classique, épris de littérature, ce qui intéresse en premier lieu Benoît Jacquot est sans doute le mélodrame, l’exaltation des sentiments et la rédemption par la mort et le malheur. Moins que la critique d’une société moralisatrice, c’est plutôt une critique de la société machiste qui transparaît dans cette production. Violetta est traitée en demi-mondaine, presque en prostituée ; les hommes gravitent autour d’elle et la courtisent sans grande marque de respect. Soumise à son protecteur elle subira l’offense publique d’Alfredo et cédera à la volonté de Giorgio Germont sachant ce qu’il lui en coûtera. C’est la condition féminine de l’époque qui est ici représentée. En restant discret sur les scènes de réjouissances, Benoît jacquot met l’accent sur le drame intérieur de Violetta. Le bonheur n’est pas pour elle ; est-ce à cause de sa condition ou parce qu’elle est femme ? Les décors signés Sylvain Chauvelot mettent l’accent sur les points essentiels de chaque acte : un lit monumental, condition de Violtetta où trône l’Olympia de Manet (autre scandale à venir), Un arbre gigantesque, rêve d’évasion et retour à la pureté, un escalier majestueux synonyme de fête et de rechute et à la fin, le grand lit inutilisable, le tableau décroché, le retour à la pauvreté ; Violetta mourra dans un petit lit misérable sans avoir pu atteindre le bonheur qui s’était pourtant laissé entrevoir. La mise en scène de Benoît Jacquot nous renvoie sans cesse à cette condition : hommes se présentant chez Violetta hauts-de-forme en tête, fixité du choeur comme assistant avec reproche à sa déchéance, le tableau de Manet Olympia toujours présent avec une Annina noire ainsi que la servante du tableau, fond de scène sombre, mettant en évidence le drame intérieur des personnages. Aucune chance d’échapper à son destin. On peut adhérer au propos visuellement esthétique, mais le manque de direction des acteurs, par contre, nous gêne beaucoup plus. Le peu de mobilier réduit les déplacements et nous laisse comme extérieurs, loin des émotions. les lumières d’André Diot, souvent sombres ou en contre-jour n’apportent aucune touche de gaîté ou de légèreté, seuls les costumes de Christian Gasc superbes, somptueux, nous sortent pour un temps du mélodrame. Ceux des femmes bien sûr, les hommes restant campés dans leur rigidité sombre. Les robes de Violetta et de Flora sont coupées dans de riches taffetas qui retiennent la lumière et mettent en valeur le corps féminin. Nous formulerons plus de réserves pour la chorégraphie de Philippe Gireaudau. En inversant les rôles, matadors dansés par des femmes et hommes glissés dans des costumes de zingarelle aux mouvements frénétiques, a-t-on voulu donner un ton grinçant à la fête ? Effet réussi si telle était la volonté, la scène est assez dérangeante. Marina Rebeka est une soprano lettone qui a déjà chanté sur les plus grandes scènes dans un répertoire allant de Haendel à Stravinsky ou Verdi et Tchaïkovski tout en passant par le belcanto. Belle, jeune, elle a le physique de Violetta et pourtant…Pleine de vie, de santé, solide vocalement est-ce cela qui fait que l’on n’y croit pas ? Avec une belle technique et une justesse parfaite, des vocalises et des aigus sans reproches l’émotion ne passe pas. Une mise en scène froide, sévère, un orchestre souvent fort… Sans doute manque-t-elle de fragilité et de délicatesse avec des attaques et des sons un peu durs ou trop présents. de beaux moments de musicalité toutefois dans un “Addio del passato” sensible accompagné par les notes du hautbois. Nous aimerions l’écouter dans d’autres rôles, d’autres productions. Si l’émotion n’est pas au rendez-vous, le succès lui est là. Longuement applaudie, Marina Rebeka est ovationnée par le public. Virginie Verrez est Flora. Cette jeune mezzo-soprano a sans conteste une belle voix ronde et chaleureuse. Vive, avec une belle allure, elle se fait remarquer dans ce rôle assez court. Isabelle Druet est une Annina alerte, bien dans ce rôle avec une voix qui passe sans forcer. Né au Kosovo, Rame Lahaj est un jeune ténor à la voix solide. Il a le physique et l’allure d’Alfredo. Un peu effacé au premier acte, il prendra toute sa dimension dans la colère où sa voix s’affirme et perd ses approximations de justesse. Prise dans les émotions la voix suit ses expressions scéniques et assure ses aigus. Il joue ici avec beaucoup de crédibilité. Sans doute cette mise en scène n’est-elle pas faite pour exalter les sentiments trop tendres. Giorgio Germont est interprété par le baryton ukrainien Vitaliy Bilyy. De New-York à Milan, de Munich à Rome et Venise, ou de Moscou à Dresde, il a chanté sur les plus grandes scènes du monde lyrique. L’allure, la prestance, la voix du rôle ; avec un medium sonore et rond, et des aigus faciles Vitaliy Bilyy nous fait entendre de belles notes mais on pourrait lui reprocher le manque d’investissement dans un jeu qui reste froid et très extérieur. est-ce là aussi dû à la mise en scène ? On pourrait se poser la question car cette façon de voir l’action liée à un orchestre souvent trop fort ne facilite pas le jeu des acteurs qui n’arrivent pas à rendre l’émotion palpable. Nous n’avons pas éprouvé ce sentiment avec les seconds rôles qui paraissent plus investis, plus dans l’action. Nous avons apprécié Julien Dran, (Gastone), toujours en place dans ses interprétations dont la voix homogène et percutante se fait ici remarquer dans un jeu tonique. Très apprécié aussi, Il Barone Douphol interprété par Philippe Rouillon. Ce rôle qui passe souvent inaperçu vocalement prend avec ce baryton français une réelle importance. Une voix naturelle, solide et sonore qui impose son personnage en peu de notes. Il sera d’ailleurs très applaudi. Dans les comprimari, le baryton Tiago Matos (Il Marchese d’Obigny), la basse Tomislav Lavoie (Dottore Grenvil), ainsi que John Bernard (Giuseppe), Christian-Rodrigue Moungoungou (Domestico) ou Pierpaolo Palloni (Commissionario), tous ainsi que le Choeur très bien préparé par Alessandre Di Stefano, ont apporté leur talent à cette production. Avec une mise en scène qui ne sert pas les chanteurs, nous avons trouvé en Dan Ettinger un maestro tout à fait extérieur lui aussi à l’intimité et l’émotion contenues dans la musique de Giuseppe Verdi, mais aussi un chef d’orchestre qui se soucie fort peu des chanteurs, ne leur apportant ni soutien ni ligne musicale. Pourtant, ce jeune chef israélien est engagé par les plus grands théâtres lyriques où il dirige un vaste répertoire. Il ne nous a pas convaincus ici, cédant à la mode actuelle qui est : trop vite, trop fort, laissant peu de place aux respirations et à l’émotion, ce qui n’enlève évidemment pas la qualité de l’orchestre. Sans doute le preludio est-il le meilleur moment musical grâce à la pure sonorité des violons et à leur bel ensemble d’une grande justesse. Cette représentation, qui remporte un grand succès, nous laisse su un sentiment mitigé, partagés entre déception et moments d’inspiration. Photo Emilie Brouchon