Marseille, Opéra Municipal saison 2017 / 2018
“IL BARBIERE DI SIVIGLIA”
Opéra-bouffe en 2 actes, livret de Cesare Sterbini d’après la pièce de théâtre de Beaumarchais, Le Barbier de Séville ou les précautions inutiles.
Musique Gioacchino Rossini
Rosina STEPHANIE D’OUSTRAC
Berta ANNUNZIATA VESTRI
Comte Almaviva PHILIPPE TALBOT
Figaro FLORIAN SEMPEY
Bartolo PABLO RUIZ
Basilio MIRCO PALAZZI
Fiorello MIKHAËL PICCONE
Un Ufficiale MICHEL VAISSIERE
Ambrogio JEAN-LUC EPITALON
Orchestre et Choeur de l’Opéra de Marseille
Direction musicale Roberto Rizzi Brignoli
Chef de Choeur Emmanuel Trenque
Mise en scène, décors, costumes Laurent Pelly
Assistant mise en scène Paul Higgings
Lumières Joël Adam / reprises par Gilles Bottacchi
Marseille, le 6 février 2018
Pour peu que la mise en scène s’y prête, programmer “ Il Barbiere di Siviglia “ est l’assurance de remplir la salle. Pour cette représentation du 6 février nombreux étaient ceux qui avaient pris le chemin de l’opéra, assurés de passer une agréable soirée de fantaisie musicale. Rossini bien sûr, mais aussi une distribution de choix où jeunesse et talents étaient réunis. Créé à Rome le 20 février 1816 au Teatro Argentina, ce chef d’oeuvre de l’opéra-bouffe italien est certainement aussi le plus connu des ouvrages de Gioacchino Rossini. Et pourtant, la première est un fiasco absolu. Le ténor est sifflé, rires et miaulements accompagnent un chat qui traverse la scène et Rossini lui même, qui tient la partie de clavecin, est conspué. Revirement total pour la deuxième représentation qui reçoit de multiples bravos. En cette soirée, la cabale montée par Gaspare Spontini, ennemi juré du compositeur, était restée chez elle. Gioacchino Rossini et son librettiste Cesare Sterbini n’ont eu que peu de temps pour écrire et composer ce petit bijou, qui traversera les siècles sans prendre une ride, aussi n’hésiteront-ils pas à faire quelques réutilisations ou à concéder quelques adaptations au goût français lors de la première jouée à Paris au Théâtre-Italien le 26 octobre 1819. Le rôle de Rosina, habituellement chanté par une mezzo-soprano sera transcrit pour soprano dans la version créée à l’Odéon le 6 mai 1824. La production qui nous était présentée ce soir est une coproduction créée il y a peu de temps au Théâtre des Champs-Elysées et qui a été très favorablement accueillie par la critique et le public. Moderne, novatrice, sans connotations géographiques, si ce n’est la touche espagnole qui coiffe la garde, elle a le mérite de faire la part belle aux chanteurs et de mette l’accent sur la jeunesse et la vivacité des trois principaux acteurs. Millimétrée avec exigence et intelligence, la mise en scène est au service de la musique, adoptant ses tempi, ses rythmes et ses respirations. Laurent Pelly signe cette mise en scène mais aussi les décors et les costumes. Son parti pris est justement de privilégier la musique et d’y faire entrer chanteurs et décors. C’est astucieux, malicieux, esthétique et cela fonctionne. Des feuilles blanches de papier à musique partiellement enroulées, des notes de musique noires qui volent au vent, et c’est pratiquement tout, si ce n’est une portée de musique qui descend comme une grille et tente d’enfermer Rosina. Mais, rien ne peut enfermer une jeune fille amoureuse, c’est bien connu. Le spectateur lui, sera enfermé pendant près de trios heures au coeur d’un Rossini endiablé, sans ennui ni temps mort. Un Barbiere di Siviglia en noir et blanc. Car, sur le blanc immaculé de ces feuilles, les chanteurs, tous de noir vêtus, se posent telles des notes de musique. Costumes sombres, classiques, manteau plus long pour Basilio, ou sorte de queue de pie sans manches pour Figaro qui nous montre des bras tatoués de loubard sympathique, long tutu de tulle noir de Rosina qui s’ôte facilement, ou combinaison, noire aussi, qui tranche sur le papier blanc lorsque s’ouvre la fenêtre, chaque costume est pensé sans prétention. Ici, rien n’est sérieux, tout est divertissement du jeu des acteurs aux soldats de la garde qui portent des pupitres en guise d’armes. les lumières de Joël Adam sont blanches ou teintées de jaune suivant l’action, elles réussissent à rythmer le jeu des acteurs participant ainsi au mouvement. Mais rien ne pourrait fonctionner sans le talent et l’investissement des chanteurs et cela fonctionne si bien que la salle, dans une adhésion unanime au propos, applaudira longuement en lançant des bravos. Faut-il commencer par Figaro qui donne le titre à l’ouvrage ? Celui de Florian Sempey évidemment, qui descend des cintres sur un fauteuil de barbier. Vocalement au meilleur de sa forme, il chante d’une voix forte et sonore qui passe sans forcer laissant entendre des aigus tenus et colorés. Il engage avec Rosina un un duo superbe d’intelligence scénique et musicale. Sa cavatina “Largo al factotum” allie avec virtuosité diction et vélocité. A l’aise, il bouge suivant la musique dans une perfection de gestes créant un rythme visuel. Eblouissant ! Philippe Talbot est Le Comte Almaviva, déjà apprécié sur cette scène dans le rôle d‘Orphée (Orphée aux enfers) de Jacques Offenbach en 2013, il forme avec Figaro un duo malicieux qui joue la carte de la jeunesse face au vieux barbon Bartolo. Si la voix manque un peu de puissance, il est tout à fait à l’aise dans son chant et dans sa voix avec une belle projection qui privilégie les consonnes dans un timbre clair. Respirations, nuances musicales, vocalises agiles et des aigus tenus le font apprécier de la sérénade “Ecco ridente un cielo…” du début à son air final “Cessa di più resistere”, d’une telle difficulté qu’il est souvent coupé. Son jeu vif et endiablé participe à maintenir le rythme de cette comédie. Une prestation amusante tout à fait dans le ton. Ce joli duo masculin se transforme en un trio équilibré et joyeux lorsqu’il est complété par la Rosina de Stéphanie d’Oustrac. Que rêver de mieux que cette jolie et pétillante mezzo-soprano pour berner son vieux tuteur Bartolo ? Elle se fond scéniquement avec entrain et insolence dans cette mise en scène, passant de la fausse naïveté à la colère avec aisance et agilité, dans une voix parfaitement contrôlée. Rien chez Stéphanie d’Oustrac n’est laissé au hasard. Elle se glisse dans chacun de ses rôles avec style et talent, allant de Mozart à Rossini tout en passant par Bizet dans une même justesse d’interprétation. Sa voix, toute en rondeur ne perd rien de son homogénéité du grave à l’aigu, du forte au piano. Diction parfaite vocalises agiles, staccato percutant dans une technique parfaite. Sa cavatina “Una voce poco fa” reste un modèle du genre. Un trio homogène vocalement et scéniquement que l’on a plaisir à écouter et à regarder. Mais pour que le spectacle soit complètement abouti, il faut un Bartolo qui puisse tenir tête à ces jeunes gens qui ont décidé de se jouer de lui. Et, dans ce cast parfait, Pablo Ruiz, qui remplace au pied levé Carlos Chausson initialement annoncé, est ce Bartolo sans reproches. Car, en plus de bien interpréter ce rôle, ce jeune baryton a une très belle voix ; il fait de son Bartolo un rôle majeur et s’impose dès sa première intervention. Jeu juste sans exagération, voix grave bien placée dans une excellente diction. C’est avec des intentions musicales justes, qu’il nous livre son air “A un dottor della mia sorte” de premier plan. Colère, vélocité de langage, jeu scénique d’une grande conviction. Protagoniste à part entière, il fait front aux côtés de Basilio interprété ici par Mirco Palazzi qui nous fait découvrir une autre facette de son talent de basse profonde. En effet, il avait été Enrico VIII dans Anna Bolena sur cette scène, personnage plus que sérieux. Il nous livre ici un Basilio fourbe et couard mais tout en subtilité, loin du personnage long et froid que l’on a l’habitude de voir, mais tout aussi efficace. La voix est comme le personnage, inquiétante, sombre à souhait dont les graves venus des profondeurs résonnent naturellement. Berta n’a qu’un air à chanter mais, interprété par Annunziata Vestri cet air revêt une grande importance. Sa voix grave, chaude mais jeune lui permet toutes les audaces scéniques. Chaussures plates et tablier gris elle nous amuse en ponctuant son chant d’accents bien venus. Rythme et aigus colorés marqueront son personnage de sa personnalité vocale. Mikhaël Piccone (Fiorello) et Michel Vaissière (Un Ufficiale) interpréteront avec une grande justesse vocale les deux personnages dans des interventions assez courtes. On remarque le soin apporté par le metteur en scène à l’interprétation des rôles secondaires jusque dans celle d’Ambroggio joué par Jean-Luc Epitalon. Emmanuel Trenque a, comme à l’accoutumée, fait un beau travail en amont avec son choeur uniquement masculin qui semble prendre plaisir à imager cet ouvrage dans un bel ensemble scénique et vocal. A Roberto Rizzi Brignoli revenait le soin de coordonner plateau et orchestre. Comme il le dit lui-même dans le programme de salle, il a fait un énorme travail sur le texte, la difficulté venant des paroles rapides chantées dans des tempi très vifs. mais un beau travail sur les sons a aussi porté ses fruits apportant rondeur et équilibre entre le quatuor et l’harmonie. Si le chef d’orchestre donne les impulsions et trouve le pétillant qui caractérise la musique de Rossini, il n’arrive pas toujours à éviter certains décalages bien vite compensés par la musicalité et l’enthousiasme qui caractérisent l’orchestre. Une représentation longuement applaudie par un public qui s’est diverti tout en appréciant la qualité des chanteurs et le travail accompli pour arriver à ce niveau d’exécution. Une mise en scène réglée… comme du papier à musique. Un grand bravo à tous et à chacun. Photo Christian Dresse