Marseille, Opéra Municipal saison 2017 / 2018
“MY FAIR LADY”
Musical en 2 actes, livret et lyrics d’Alan Jay Lerner, d’après la pièce Pygmalion de George Bernard Shaw.
Musique Frederick Loewe
Eliza Doolittle MARIE-EVE MUNGER
Mrs Higgins / Mrs Hopkins CECILE GALOIS
Mrs Pearce JEANNE-MARIE LEVY
Mrs Eynsford-Hill CAROLE CLIN
1ère Servante / La Reine DANIELE DINANT
2ème Servante ELENA LE FUR
Professeur Henry Higgins FRANCOIS LE ROUX
Colonel Hugh Pickering JEAN-FRANCOIS VINCIGUERRA
Freddy Eynsford-Hill RAPHAËL BREMARD
Alfred P. Doolittle PHILIPPE ERMELIER
Jamie (1er Cockney) / Charles JACQUES LEMAIRE
Harry (2ème Cockney) ARNAUD DELMOTTE
Karpathy / Oliver (3ème Cockney) JEAN-PHILIPPE CORRE
George (Le Barman) / Lord Boxington JEAN-LUC EPITALON
L’Aboyeur JEAN-PIERRE REVEST
le Domestique JEAN-VITAL PETIT
Danseurs MURIELLE PEGOU, ANNE-CELINE PIC-SAVARY, AYA YASUDA, PASCAL BAYART, AURELIEN CHARRIER, REMY KOUADIO
Orchestre et Choeur de l’Opéra de Marseille
Direction musicale Bruno Membrey
Chef de Choeur Emmanuel Trenque
Mise en scène Jean Liermier
Décors Christophe de la Harpe
Costumes Coralie Sanvoisin
Lumières Jean-Philippe Roy
Chorégraphe Jean-Philippe Guilois
Marseille, le 5 janvier 2018
Pour fêter la fin de l’année et commencer 2018 sur des airs connus de tous, L’Opéra de Marseille avait donné rendez-vous aux amateurs de comédies musicales. Heureuse initiatique qui a comblé les spectateurs qui fredonnaient, mezza voce, les airs les plus connus de My Fair Lady. Une salle qui affichait complet et un public attentif et ravi lorsque, après les saluts, l’orchestre reprenait certains airs en pot-pourri. Quoi de plus festif en effet que cette musique de Frederick Loewe ? My Fair Lady, créée à Broadway en 1956, restera à l’affiche plusieurs années et détiendra le record de longévité à la scène avec plus de 2700 représentations. Ce succès ne se démentira pas à Londres non plus où la comédie musicale sera jouée plus de 2000 fois et partira conquérir les scènes du monde. Si le livret est d’Alan Jay Lerner, c’est en fait l’adaptation de la pièce de George Bernad Shaw (Pygmalion) qui, avec son scepticisme ironique, trace une peinture de la société ; l’écrivain lui-même effectuera plusieurs changements, rajoutant des scènes et modifiant la fin pour ne choquer en rien l’aristocratie de l’époque qui était assez stricte sur les alliances…et les mésalliances. Et, même dans la comédie musicale, créée en 1956, la fin reste dans l’ambiguïté, laissant le spectateur augurer une happy end romantique. Le parti pris de cette production, créée à Lausanne en 2016, nous plonge dans les années 1950, plus proches de la création à Broadway que de Pygmalion de George Bernard Shaw du début du siècle dernier, nous privant ainsi des costumes edwardiens qui paraient les femmes somptueusement. Convent Garden sous la neige, Eliza Doolittle vend toujours ses fleurs ; ambiance réussie avec, en clin d’oeil à Londres, Big Ben en carton pâte, et des personnages chics sortant du théâtre. Bien que minimalistes, les décors qui tournent donnent du rythme aux enchaînements et permettent de passer de la rue au bureau où le professeur Henry Higgins se charge de métamorphoser la marchande de fleurs en une Lady plus vraie que nature. Un peu tristounet ce bureau de vieux garçon, des murs jaunes animés par trois encadrements professionnels et un portrait de la reine Elisabeth II ; un divan, deux fauteuils, une table bureau supportant une lampe et un gramophone aussi. Loin du style cosy des riches intérieurs anglais. Les rues sont plus typiques, façade en brique, pub aux fenêtres à petite carreaux, ou maisons plus chics à l’architecture edwardienne. La salle de bal n’a, elle non plus, rien de très majestueux , si ce n’est un superbe lustre et un riche fauteuil destiné à la reine. Le tableau le plus réussi reste sans conteste les courses à Ascot. Une superbe voiture rouge dépose Mrs Higgins au champ de courses où les chevaux montés par les jockeys sont du plus bel effet. Moment lumineux, joyeux, très réaliste, où la bonne société goûte au champagne en échangeant des propos mondains. Jean Liermier signe une mise en scène sobre avec une direction d’acteurs assez juste ; pas de grandiloquence ici, mais de la mesure, peut-être aurions nous aimé un peu plus d’éclat ou de fantaisie par moments, mais Henry Higgins est un homme rigoureux et les scènes les plus réussies resteront les ensembles et les échanges de rues aux mouvements très naturels et bien réglés qui garderont le rythme de la musique et le style enlevé de la pièce. Les costumes de Coralie Sanvoisin, qui restent dans les années 1950 sont assez ternes et hétéroclites, seuls les grands chapeaux et les robes de ces dames à Ascot, très appréciés, apportent lumière et couleurs. Nous aurions tout autant aimé rester dans le début du siècle dernier, alors que la société vivait encore avec un certain panache. Si les lumières conçues par Jean-Philippe Roy retranscrivent les atmosphères des rues à la nuit tombée de façon très réaliste, le tout manque souvent de lumière rendant statiques certaines scènes ; c’est pourquoi, le soleil brillant dans le ciel bleu d’Ascot restera comme une belle parenthèse lumineuse. Les intermèdes chantés par les serviteurs apportent une animation bien venue et donnent un certain rythme à l’action. Le plateau est dominé par le jeu et la voix de Marie-Eve Munger au joli physique et à la gouaille ravageuse. On voit Eliza Doolittle changer et se métamorphoser avec ravissement. Son accent québecois poussé et incompréhensible du début laisse place à une diction et un maintien très élégants. Très à l’aise dans son jeu, amusante ou laissant exprimer ses sentiments, elle donne relief et tendresse à ses interprétations d’une grande justesse. Le timbre agréable de sa voix et ses aigus clairs et assurés nous donnent envie de l’écouter dans le rôle de Juliette (Roméo et Juliette) qui fait partie de son répertoire. Dans cette distribution très homogène et d’une grande efficacité, qui va des trois protagonistes au simple bobby en uniforme, Cécile Galois campe une Mrs Higgins tout en retenue dans son aristocratie bienveillante, mais aussi une Mrs Hopkins beaucoup plus drôle dans un naturel populaire. Mrs Pearce est interprétée par Jeanne-Marie Levy, toujours excellente dans les rôles de caractère ; avec son accent allemand elle régente la maison du professeur et rythme les scènes de ses interventions. On notera aussi le jeu de Carole Clin, Danièle Dinant et Elena Fur dans des compositions pertinentes. Mais si Eliza Doolittle électrise la scène, il faut lui opposer un Professeur Higgins de grand caractère. François Le Roux est à la fois cet homme cynique et misogyne jusqu’à l’outrance mais qui finit par émouvoir dans sa rigidité pathétique à la fin de la pièce. Sans être une grande voix il chante avec nuance, faisant ressortir une certaine sensibilité mais aussi certains traits de son caractère dans des interprétations drôles, rythmées ou déclamées donnant le relief déjà voulu dans la pièce de George Bernard Shaw. Un jeu qui fait aussi le succès du spectacle. Le Colonel Pickering, joué avec bonheur par Jean-François Vinciguerra est son contraire, calme, humain et sensible, mais aussi enjoué lors d’un trio endiablé. Ce bel équilibre trouvé dans une même esthétique musicale, se retrouve dans les passages chantés. Autre personnage, interprété avec justesse et pétulance par Philippe Ermelier est celui d’Alfred P. Doolittle, père d’Eliza qui nous met en joie en chantant son air “Get me to church on time” juché sur un piédestal avant d’aller se marier, ou lors d’un quatuor empreint de gaité “With a little bit of luck” chanté avec se trois amis cockney, Jacques Lemaire, Arnaud Delmotte, Jean-Philippe Corre, justes dans leurs rôles et dans le chant rythmé. Il faut aussi citer Jean-Luc Epitalon, Jean-Pierre Revest et Jean-Vital Petit sobres et justes dans le jeu. Dans une chorégraphie finement imaginée par Jean-Philippe Guilois, les trois couples de danseurs évoluent avec grâce au bal de l’Ambassade et passent aux joyeuses acrobaties millimétrées dans dans les rues de Convent Garden avec facilité et fluidité. C’est un moment de liesse et de gaité qui entraîne public et chanteurs. Emmanuel Trenque a, une fois encore, préparé son Choeur le menant à l’excellence dans l’interprétation, l’exécution scénique, la présence, l’homogénéité des voix et surtout cet entrain communicatif. Bruno Membrey, qui dirigeait pour la première fois l’Orchestre de l’Opéra Marseille, a su donner le souffle et le style sans lesquels une comédie musicale n’atteint jamais son but et il n’est pas exagérer de dire que sans la prestation de haut niveau de l’orchestre, le succès n’aurait pas été aussi complet. Les cordes, l’harmonie, les percussions, dans une belle unité de son ont su trouver, sous la baguette sûre et rythmée du chef d’orchestre, l’élan qui emporte public et plateau, entraînés par Dan-Min Kim le super soliste aux solos suaves. Moment de légèreté, de bonheur partagé en musique, pour une Nouvelle Année que nous espérons dans cette continuité. Photo Christian Dresse