Opéra de Paris Bastille, saison 2017 /2018
“FALSTAFF”
Opéra en trois actes, livret d’Arrigo Boito, d’après William Shakespeare.
Musique de Giuseppe Verdi
Sir John Falstaff BRYN TERFEL
Ford FRANCO VASSALO
Fenton FRANCESCO DEMURO
Mrs Alice Ford ALEKSANDRA KURZAK
Nannetta JULIE FUCHS
Mrs Quicly VARDUHI ABRAHAMYAN
Mrs Meg Page JULIE PASTURAUD
Dottore Cajus GRAHAM CLARK
Bardolfo RODOLPHE BRIAND
Pistola THOMAS DEAR
Orchestre et Choeur de l’Opéra de Paris
Direction musicale Fabio Luisi
Chef du Choeur José Luis Basso
Mise en scène Dominique Pitoiset
Décors Alexandre Beliaev
Costumes Elena Rivkina
Lumières Philippe Albaric
Paris, le 26 octobre 2017
Non, l’opéra n’est pas près de mourir ! Et décidément, les succès se succèdent à l’Opéra Bastille. Après le triomphe du Don Carlos de Giuseppe Verdi, donné la veille, un merveilleux Falstaff, du même Verdi, nous était proposé en cette soirée du 26 octobre, mais cette fois, dans une mise en scène qui allait réjouir et faire l’unanimité des spectateurs. Aucune bronca, mais un tonnerre d’applaudissements à se partager entre plateau, fosse et régie. Créé à la Scala de Milan le 9 février 1893, Falstaff est le dernier opéra du compositeur, qui, selon ses dires, ” attendait depuis quarante ans de composer un opéra comique”. Après l’échec d’Un jour de règne composé en 1839, Giuseppe Verdi ne s’était plus risqué à cet exercice de style. Après avoir composé une trentaine d’opéras, le maestro a-t-il voulu conclure sa carrière de compositeur par un grand éclat de rire ? Et quoi de plus magistral après tant de drames et de meurtres commis sur scène ? Nous en profitons avec jubilation ainsi que tout le public d’un Opéra Bastille qui affichait complet. C’est opéra, qui n’est entré au répertoire de l’Opéra de Paris qu’en 1922, fait toujours recette. Si cette production, avec Dominique Pitoiset comme metteur en scène, n’est pas récente et date de 1993, reprise en 2003 et 2013, elle n’a pas pris une seule ride et fait mouche à chaque intervention ou changement de tableau. Aucune référence au style élisabéthain de l’époque de William Shakespeare, qui avait écrit Les Joyeuses commères de Windsor dont se sont inspirés Giuseppe Verdi et Arrigo Boito pour le livret, mais plutôt une légère modernisation puisque nous nous trouvons, par le truchement des costumes et du décor, dans les années Verdi. Les décors coulissants nous font passer d’une place, face à un atelier de garagiste et à l’entrée de la Taverne de la Jarretière avec une voiture ancienne et des caisses pour tout mobilier, à la maison de Ford avec vue sur un haut escalier extérieur, ou à la forêt dont le grand chêne est représenté en projection. Cette mise en scène se lit comme un livre d’images que l’on feuillette, imaginée avec beaucoup d’humour sans une once de vulgarité, mais au contraire avec une grande finesse. Les lumières de Philippe Albaric, dans des teintes dorées un peu passées, les costumes d’Elena Rivkina, qui habillent les dames de robes colorées, seyantes, et de grands chapeaux à plumes, sans oublier un imposant Falstaff en pantalon et gilet ou en caleçon, contribuent à l’aide des décors très réalistes d‘Alexandre Beliaev, à nous transporter dans un conte d’où l’on a peine à sortir. Un superbe plateau nous était encore proposé ce soir, dominé par un Bryn Terfel dans une forme éblouissante, dont le jeu et la truculence ont fait merveille. Falstaff, c’est lui ! Peut-on imaginer jeu plus fin dans cette mise en scène ? A l’aise, crédible, toujours juste dans cette farce, il nous présente cet homme fat, persuadé de son pouvoir et de sa continuelle séduction. Quelle belle revanche pour cette coalition de femmes ! Applaudi en récital aux Chorégies d’Orange au mois d’août dernier, nous l’apprécions d’autant plus, ici, en mise en scène. Dans une superbe diction projetée, la voix forte et bien placée du baryton gallois résonne aussi dans les passages piano ou proches du parler théâtral. Quelle musicalité aussi dans ces phrases où les rythmes font place à la vélocité. Une interprétation qui amuse, tout en rendant touchant ce Falstaff finalement philosophe. Qu’il porte des andouillers de cerf sur la tête, ou qu’il porte un caleçon sur sa bedaine rebondie après être sorti de la Tamise où ces dames l’avaient fait jeter, Bryn Terfel réussit à donner une certaine noblesse à son personnage ainsi que l’avait souhaité le compositeur. La voix au rire tonitruant ou plus sensible, passe sans forcer, donnant à son Falstaff beaucoup de naturel. Face à lui, Franco Vassallo est un autre baryton de poids. Le rôle est différent, Ford est un sanguin, un jaloux, et l’utilisation de sa voix est différente aussi. Il s’en sert de façon directe, pour des interventions de caractère, mais il peut vocaliser avec aisance, ou faire entendre un duo très équilibré avec Falstaff. Drôle, à l’aise scéniquement et vocalement, il fait montre d’une belle présence avec des aigus puissants qui descendent vers les graves tout en gardant leur couleur. Bouillonnant de rage, il sait aussi faire entendre de jolis phrasés dans une voix sonore et homogène. Francesco Demuro est Fenton. Il chante avec une voix de ténor agréable, dans un jeu amusant et un peu théâtral. De jolis duos avec Nannetta, mais surtout une voix douce pour un chant amoureux expressif et déclamatoire, chanté à l’italienne et soutenu par le cor anglais. Pour continuer dans les voix d’hommes, un trio vocalement et scéniquement très en place et à la hauteur des ces compères. Rodolphe Briand, souvent applaudi à l’Opéra de Marseille est un Bardolfo amusant mais d’un grand sérieux vocal. Sa voix de ténor passe agréablement, avec la justesse qu’il met pour interpréter chaque rôle sans jamais forcer le personnage. En place rythmiquement, il participe à la cadence enlevée du spectacle. Son compère Pistola, est chanté avec humour par Thomas Dear que nous avions applaudi à Toulon (Pelléas et Mélisande, Anna Bolena). Sa voix de basse résonne avec à propos, donnant les appuis sonores dans les ensembles. Graham Clark est un Dottore Cajus amusant lui aussi, qui s’exprime sans faute de goût dans une voix de ténor sonore et claire. Face à toutes ces voix d’hommes, un quatuor féminin pétillant et percutant qui donnera du fil à retordre à ces messieurs. Aleksandra Kurzak est une Alice Ford mutine et pétulante, dont la voix de soprano au timbre agréable nous fait entendre des aigus de charme clairs et colorés. Joli phrasé, joli staccato, jeu à l’aise et justesse des inflexions s’accordent à son allure délicate. Aleksandra Kurzak est une Alice piquante au jeu pertinent. Varduhi Abrahamyan est une Mrs Quickly qui coordonne ce trio féminin de sa voix grave de mezzo-soprano. Nous l’avions fortement appréciée à Marseille en octobre 2015, alors qu’elle chantait Arsace (Semiramide, Rossini), un rôle à sa mesure. Dans un comique mesuré, elle se moque de Falstaff avec justesse et finesse. Habillée de noir, elle fait ressortir sa voix graves aux sonorités de contralto. Drôle ou sensible, elle joue juste, donnant de l’unité à ce trio de commères. Le rôle de Mrs Meg chanté par Julie Pasturaud, est une autre voix de mezzo-soprano qui équilibre à merveille ce trio féminin, que ce soit dans l’homogénéité des voix ou dans les rythmes percutants et légers. Julie Fuchs, qui chante pour la première fois sur cette immense scène est ici une Nannette vive et exquise dont la douceur du chant aux aigus tenus charme par la musicalité du phrasé. A l’aise dans son jeu, elle l’est aussi dans sa façon de prendre ses notes soutenues par une belle longueur de souffle. Beaucoup de justesse rythmique dans ce quatuor féminin qui répond avec légèreté au quatuor de voix d’hommes. Choeur de coulisse, choeur sur scène, c’est avec le même engagement que le Choeur de l’Opéra de Paris participe au succès de cet ouvrage dans un fugato staccato final, vif et rythmé. Bravo à Josè Luis Basso qui a si bien préparé son choeur. A la baguette, le Maestro Fabio Luisi donnait à l’orchestre, dans des tempi vifs et soutenus, toute la poésie et l’humour contenus dans cet ouvrage. A chaque propos scénique ou vocal, correspond une image sonore qui illustre le caractère des personnages ; un travail de précision mais aussi de grande musicalité. Jamais trop fort, l’orchestre suit le chef dans une intelligence de couleurs, faisant ressortir les atmosphères avec légèreté et précision jusque dans la vélocité des violons ou dans la rondeur du son du cor. Un chef inspiré qui a su tenir le tempo et le rythme de l’ouvrage tout en soutenant le plateau avec fermeté. Dans cette comédie amère, nous retiendrons cette phrase de Falstaff : “Le monde entier est une farce et l’homme est né bouffon”. Sous les applaudissements prolongés, voici une représentation qui nous réconcilie avec les metteurs en scène. Superbe ! Photo Sébastien Mathé