Théâtre Antique d’Orange, saison 2017
“AÏDA”
Opéra en quatre actes, livret d’Antonio Ghislanzoni, d’après une intrigue d’Auguste-Edouard Mariette.
Musique Giuseppe Verdi
Il Re d’Egitto JOSÉ ANTONIO GARCIA
Amneris, sua figlia ANITA RACHVELISHVILI
Aida, schiava etiope ELENA O’CONNOR
Radamès, capitano delle guardie MARCELO ALVAREZ
Ramfis, capo dei sacerdoti NICOLAS COURJAL
Amonasro, re d’Etiopia, padre di Aida QUINN KElSEY
Un messaggero REMY MATHIEU
Sacerdotessa LUDIVINE GOMBERT
Orchestre National de France
Choeur d’Angers-Nantes Opéra, du Grand Opéra Avignon, de l’Opéra de Monte-Carlo, de l’Opéra de Toulon
Ballet du Gand Avignon, de l’Opéra-Théâtre de Metz
Direction musicale Paolo Arrivabeni
Chefs de Choeurs Xavier Ribes, Aurore Marchand, Stefano Visconti, Christophe Bernollin Maîtres de ballet Eric Belaud, Laurence May-Bolsigner
Mise en scène Paul-Emile Fourny
Scénographie Benoît Dugardyn
Costumes Jean-Pierre Capeyron & Giovanna Fiorentini
Lumières Patrick Méeüs
Chorégraphie Laurence May-Bolsigner
Orange, le 4 août 2017
L’Opéra Aïda de Giuseppe Verdi était programmé dans le grandiose Théâtre Antique des Chorégies d’Orange. Et quel lieu, mieux que celui-là pouvait se prêter aux grandeurs pharaoniques ? La genèse de cet opéra est à la fois musicale et historique. Historique, car sans la volonté du Khédive égyptien Ismaïl Pacha, qui souhaitait faire construire un opéra au Caire dans le cadre des festivités relatives à l’inauguration du canal de Suez, aucune commande d’opéra n’aurait été passée. C’est sur Giuseppe Verdi, que se porta le choix d’un compositeur. Giuseppe Verdi a si peur d’un échec, qu’il ne se rendra pas à la première de son opéra Aïda, joué le 24 décembre 1871 à l’opéra Khédival du Caire récemment construit. C’est pourtant un immense succès. L’éminent égyptologue Auguste-Edouard Mariette imaginera cette intrigue et Antonio Ghislanzoni écrira le livret. Histoire d’amour, de jalousie, de trahison même, comme très souvent à l’opéra, mais sur la terre d’Egypte. Giuseppe Verdi saura trouver les harmoniques orientalisantes qui illumineront la musique tout au long de l’oeuvre. La mise en scène était confiée à Paul-Emile Fourny. Sans être très novatrice l’idée du metteur en scène est un peu étrange et pas toujours très cohérente. Un point de départ : l’expédition de Bonaparte en Egypte, et l’intérêt des parisiens pour tout ce qui va toucher à l’Egypte ancienne. Les découvertes récentes d’Auguste-Edouard Mariette correspondant à la création de l’opéra Aïda, Paul-Emile Fourny fait le choix de mélanger sur scène l’époque de ces découvertes, la création d’une section égyptologie au musée du Louvre et la représentation de l’opéra Aïda, sans rien changer à l’oeuvre initiale. Autre idée, qui n’apporte rien, un parallèle entre le couple Rahotep et Nefret (IVeme dysnatie), dont les statues venaient d’être découvertes par Mariette, et Radamès et Aïda, dans une pose similaire à la fin de l’opéra. Si cette mise en scène n’est pas dérangeante, on peut se demander pourquoi tant de confusion ? Dans cette optique, nous trouvons Pierre Capeyron & Giovanna Fiorentini qui se plaisent à mélanger les costumes du choeur, hommes et femmes à la mode du XIXe siècle, ou tout simplement avec de longues tuniques égyptiennes, le roi portant le pschent, la couronne rouge et blanche de basse et haute Egypte. Pour ajouter à cette confusion, des soldats de l’armée française font résonner les trompettes d’Aïda pour le triomphe de Radamès. Bref, vous joignez à cela les robes de bal des danseuses, et vous vous laissez emporter par la musique sans plus vous poser de question. La scénographie de Benoît Dugardyn nous emmène en Egypte ou au musée du Louvre, cela dépend…du sens de la visite et pour le triomphe de Radamès, nous assistons à l’érection de l’obélisque sur la place de la Concorde, cadeau de Méhémet Ali à la France. Et, puisque nous sommes au Louvre, Anubis trône sur son socle entouré par des maquettes d’entrées de temples, ou par le masque de Toutankhamon (découvert beaucoup plus tard). Mais nous sommes au théâtre, et dans la mesure où l’on ne peut échapper aux idées farfelues des metteurs en scène, que ce soit alors celles de Paul-Emile Fourny qui restent sobres et de bon goût, tout en ne dénaturant pas l’ouvrage. Les lumières de Patrick Méeüs resteront sobres elles aussi, apportant relief et atmosphères avec des lumières latérales ou un sol aux reflets bleutés sur lequel glisse la barque qui amène Amnéris. La chorégraphie de Laurence May-Bolsigner est souvent étrange ; que font donc ces soldats pris de convulsions allongés sur le sol ? On apprécie toutefois le bel égyptien qui danse pour Amnéris. On pouvait s’attendre à un plateau pharaonique, mais ce ne fut pas le cas. Qu’il nous soit permis de commencer par celle qui a rendu ce spectacle inoubliable : l’Amnéris d‘Anita Rachvelishvili. Une voix et un physique somptueux ! La profondeur, le style, la musicalité, tout est admirable et applaudi. La mezzo-soprano géorgienne donne beaucoup d’humanité à ce rôle pas toujours sympathique. Mais au-delà de la souveraineté que l’on trouve dans son jeu, c’est sa voix et la conduite de son chant qui nous ont émerveillés. Aucun passage délicat dans cette voix homogène, mais de l’élégance dans le phrasé ou les prises de notes, et un timbre coloré jusque dans les pianissimi. Une prestation remarquable dont chacun se souviendra. Remplaçant Sondra Radvanovsky souffrante, le jeune Elena O’Connor décidait d’affronter pour la première fois l’impressionnant théâtre de plein air pour une prise de rôle. Avec l’allure et le physique du personnage, elle est Aïda, cette esclave éthiopienne drapée dans de longues robes seyantes. On ne lui fera pas le reproche de ne pas paraître très à l’aise dans ses gestes et ses déplacements car elle nous a proposé de jolis moments de musique avec des aigus pleins, puissants, percutants et timbrés dans un phrasé musical. Elle est aussi touchante dans ses duos équilibrés. Peut-être son air “Numi pieta” (acte I) pourrait-il être plus assuré et ses graves plus consistants, mais passée l’émotion de la première dans ce théâtre, nous ne doutons pas que la voix, dont les qualités ne sont plus à démontrer, prendra toute son ampleur dans ce rôle qui semble fait pour elle. Ludivine Gombert que nous avions déjà appréciée à Marseille dans L’Aiglon (Thérèse de Lorget) ou Turandot (Liu) fait résonner depuis les coulisses sa voix percutante de Grande prêtresse. Phrasé et legato pour cette vois céleste. Marcelo Alvarez est ici Radamès. Doté d’une voix solide, le ténor argentin impose son rôle physiquement et vocalement dans une bonne projection. Ses aigus clairs passent sans difficulté dans cette soirée où l’air est en suspension. Assez inégal dans ce rôle, Marcelo Alvarez est beaucoup plus à l’aise en seconde partie; ses aigus un peu courts au premier acte prennent plus d’ampleur et d’aisance dans son “déshonneur” revendiqué avec puissance. Plus investi dans la colère, son jeu devient plus assuré et sa voix plus percutante. C’est sans doute dans les phrasés et la conduite du chant que l’on remarque les inégalités. Marcelo Alvarez reste néanmoins un puissant Radamès. Nicolas Courjal, bien connu du public marseillais, a souvent chanté dans ce Théâtre Antique, et cette immensité n’effraie en rien sa solide voix de basse dont le timbre chaleureux passe sans forcer. Les grands espaces lui réussissent-ils mieux ? Toujours est-il que ces appuis que nous lui reprochions régulièrement se sont atténués pour devenir imperceptibles, et c’est tant mieux, car la voix colorée est puissante naturellement. Peut-être son legato reste-t-il perfectible, mais Nicolas Courjal est un Grand Prêtre de belle allure. Le baryton Quinn Kelsey, ici Amonastro roi d’Ethiopie et père d’Aïda, est doté d’une voix solide aux couleurs chaudes. Il fait résonner ses graves, accompagné par le cor solo, dans une diction parfaite aux phrasés conduits avec musicalité. A l’aise scéniquement, il a des colères crédibles qui s’opposent aux piani de l’orchestre. Ce rôle assez court mais très apprécié nous donne envie de l’écouter plus longuement. José Antonio Garcia, pourtant doté d’une voix très grave appropriée au rôle du Roi d’Egypte, peine à se faire entendre ; sans doute peu habituée aux espaces de plein air, sa voix manque de projection et de l’ampleur nécessaire à ce rôle. Rémy Mathieu, jeune ténor français est ici Un Messager à la voix claire, projetée dans une excellente diction. Les Choeurs d’Angers-Nantes Opéra, du Grand Théâtre d’Avignon, de l’Opéra de Monte-Carlo et de l’Opéra de Toulon font ici preuve d’un bel engagement musical avec des voix solides et homogènes qui résonnent dans des attaques précises d’un beau volume. choeur des femmes, céleste, ou des prêtres, plus profond, dans une mise en scène qui ne met pas toujours à l’honneur, les ensembles restent percutants et homogènes. L’orchestre, avec Paolo Arrivabeni à la baguette, restera un des grands triomphateurs de cette représentation. Dirigeant pour la première fois aux Chorégies d’Orange, le chef italien sait comment faire sonner ce superbe orchestre sans jamais couvrir les voix ; c’est le propre des chefs de lyrique qui respectent les chanteurs et les soutiennent dans une parfaite connaissance de l’ouvrage. Avec sobriété mais fermeté aussi, le maestro donne rythme et relief à la partition tout en faisant ressortir les instruments solistes, hautbois, trombones, trompettes mais aussi violoncelle solo tout en maintenant des nuances douces au quatuor. Avec l’élégance qu’on lui connaît, Paolo Arrivabeni guide l’orchestre dans des envolées lyriques et à travers les couleurs de la partition dans des tempi justes et appropriés. Une représentation qui avait fait le plein de spectateurs et qui a récolté d’immenses bravos, alors que résonne encore l’éclat des trompettes. Nous espérons vivement que les problèmes financiers rencontrés par l’administration des Chorégies seront bientôt solutionnés, et que les spectacles pourront se poursuivre au fil des années avec autant de bonheur et de talents.