Théâtre Antique, Orange, saison 2017
Orchestre Philharmonique de Radio France
Direction musicale Mikko Franck
Baryton-basse Bryn Terfel
Musiques de Giuseppe Verdi, Arrigo Boito, Camille Saint-Saëns, Charles Gounod, Carl Maria Von Weber, Jacques Offenbach, George Gershwin, Richard Wagner.
Orange, le 10 juillet 2017
Sans remplir complètement l’immense Théâtre Antique d’Orange, le public, amateur de belles voix, était venu nombreux en cette soirée du 10 juillet. Un programme alléchant et varié où les grands airs laissaient la parole à l’orchestre pour des Ouvertures et des moments musicaux que chacun aime à écouter ; un rendez-vous à ne pas manquer. Bryn Terfel est ce solide baryton-basse qui se produit sur les plus grandes scènes lyriques du monde. Sujet britannique anobli par la Reine d’Angleterre, mais Gallois d’essence et de coeur, Il vient chanter à Orange alors qu’il refuse de se produire au Festspielhaus de Bayreuth (bien que considéré comme l’un des meilleurs Wotan actuels), pour cause de vacances familiales l’été. Insigne honneur pour le public des Chorégies ! Si la première partie va de Verdi à Gershwin en passant par Boito, Gounod et Weber, la seconde partie, elle, sera consacrée à Richard Wagner pour le plus grand plaisir des amateurs de chant allemand dans lequel le chanteur anglais excelle. Seul, sur cette scène immense, et devant des gradins d’une hauteur vertigineuse, même si l’on est un Gallois à la forte personnalité et à la voix de bronze, on doit se sentir tout petit. Mais rien n’effraie ce “bad boy” qui adore chanter les rôles de méchants. Qui donc oserait s’opposer à Méphistophèles dans ce Théâtre Antique ? C’est justement dans ce personnage, mais dans la version Boito, que Bryn Terfel se présente (Son lo spirito che nega), diction parfaite, notes crachées avec véhémence, graves venus des ténèbres, notes sifflées et aigus projetés nous dévoilent d’emblée les qualités vocales et scéniques du chanteur dont le rire diabolique fait trembler jusqu’à la statue de l’empereur Auguste sur son piédestal. Autre méchant, le Iago d’Otello (credo in un dio crudel), fourbe, jaloux, sans foi et avec ses intérêts personnels pour toute loi ; belle interprétation où les (mauvais) sentiments sont dévoilés. Bryn Terfel sait comment se servir de sa technique et de ses qualités, qu’il met au service de la musique et du personnage, pour toucher le public. De belles prises de notes qui résonnent, des aigus somptueux tenus, et des nuances appropriées font frissonner le public sensible à ces graves inquiétants. C’est peut-être dans le Méphistoféles de Charles Gounod que le baryton-basse est le moins convaincant sans doute gêné par la langue française dont les voyelles ouvertes l’obligent à changer la place de sa voix ; mais toujours avec des aigus brillants. Avec Weber, Der Freischütz (Kaspar Schweig, schweig), Bryn terfel retrouve la langue allemande et les graves sonnent mieux. La voix se place, lui permettant agilité et rythmes percutants. Mais on sent dans son interprétation de Porgy and Bess (Sporting Life “It Ain’t necessarily so), de George Gershwin, combien le chanteur aime ces rôles dans lesquels il peut se glisser avec plus de liberté. Avec un jeu de lumières adapté en fond de scène, Bryn Terfel, lunettes noires et habillé dans la même couleur, prend le style noir américain. Avec désinvolture, mais dans une prononciation et une projection adéquates sur un contrechant de trombone, le chanteur déclenche les bravos. Bryn Terfel était aussi très attendu dans la musique de Richard Wagner. Immense Wotan au Metropolitan Opera de New York, il le sera aussi ce soir à Orange, que ce soit dans Das Rheingold (Abendlich strahlt) ou Die Walküre (Leb’wohl, du Kühnes, herrliches kind), où il apparaît avec sa lance. Sa voix s’élargit dans une prononciation qui laisse résonner cette musique d’une grande intensité, et dans un superbe phrasé dont les vibrations se propagent le long des gradins. Dans ses adieux à Brunhilde, son chant prend une dimension particulière. Si ses aigus sont puissants et colorés, ses piani veloutés donnent une impression de temps suspendu. On regrette un orchestre souvent trop fort qui nous prive de la rondeur du médium ; mais ici, un dieu, avec ses doutes et ses états d’âme a pris possession du Théâtre Antique pour le plaisir d’un public qui lui fait une ovation. Bryn Terfel ne reste pas sérieux très longtemps, il retrouve son caractère facétieux pou le morceau qui a fait la notoriété d’Ivan Rebroff en son temps “If I were a rich man” Fiddler on the roof (Un violon sur le toit) pour une interprétation vocale superbe dans un style parfait avec trois pas de danse dans une sorte de “little show”. Bryn Terfel nous démontre qu’il est aussi capable de tendresse ; il passe du bad boy à une berceuse galloise avec élégance, dans une voix sensible et suave. Et avec quel charme il endort, sous les étoiles, ce petit enfant ! Dans une palette de couleurs et de styles différents, Bryn Terfel nous a fait découvrir toutes les possibilités de son talent. Mais combien il est difficile de chanter ici, seul, derrière un orchestre puissant, dirigé par un chef qui ne prend pas exactement la mesure de ces difficultés. Décidément, la direction de Mikko Franck ne nous convainc pas plus ici que dans Carmen ou Rigoletto, et nous pensons qu’il n’utilise pas au mieux les qualités de l’Orchestre Philharmonique de Radio France. Si son Ouverture de La Forza del destino manque de mordant, nous apprécions le jeu du violon solo dans la Danse macabre de Camille Saint-Saëns qui donne du relief à cette interprétation. Violon solo que nous retrouvons avec plaisir pour son phrasé musical dans l’Ouverture d’Orphée aux enfers de Jacques Offenbach qui est à notre sens le morceau pour orchestre le mieux interprété, avec plus de relief. Du relief, certes, dans le Prélude de l’acte III de Lohengrin de Richard Wagner grâce à une harmonie investie, dans un tempo enlevé de marche où les cuivres font résonner leurs belles sonorité. Assez peu d’investissement par contre dans la direction de la Chevauchée des Walkyries. Un concert auquel nous avons pris beaucoup de plaisir, mais qui nous laisse dubitatifs. Une direction plus à même des difficultés que rencontre un chanteur dans un tel lieu nous aurait certainement comblés d’avantage. Comme nous, le public a applaudi chaleureusement Bryn Terfel, ce baryton-basse investi, que nous espérons retrouver cet automne sur la scène de l’Opéra Bastille dans les rôle titre de Falstaff où il fera très certainement merveille. Photo Kris Picart