Aix-en-Provence, Théâtre de l’Archevêché, saison 2017
“DON GIOVANNI”
Dramma giocoso en deux actes, livret de lorenzo Da Ponte
Musique Wolfgang Amadeus Mozart
Don Giovanni PHILIPPE SLY
Leporello NAHUEL DI PIERRO
Donna Anna ELEONORA BURATTO
Don Ottavio PAVOL BRESLIK
Donna Elvira ISABEL LEONARD
Zerlina JULIE FUCHS
Masetto KRYSZTOF BACZYK
Il Commendatore DAVID LEIGH
Orchestre Le Cercle de l’Harmonie
Choeur English voices
Direction musicale Jérémie Rhorer
Chef de Choeur Tim Brown
Mise en scène Jean-François Sivadier
Décors Alexandre de Dardel
Costumes Virginie Gervaise
Lumière Philippe Berthomé
Maquillage / coiffure Cécile Kretschmar
Aix-en-Provence, le 6 juillet 2017
Le DON GIOVANNI de Wolfgang Amadeus Mozart, l’emblématique opéra du Festival d’Aix-en-Provence depuis 1949, avait pris quelques libertés avec la mise en scène, depuis que Stéphane Lissner avait confié la production à Peter Brook en 1998. Après être passé par un Don Juan vieillissant avec Dmitri Tcherniakov, Don Juan retrouve la scène de l’archevêché sous les trait d’un jeune homme fougueux qui ne s’embarrasse ni de peurs ni de principes. Nous retrouvons ici la signature du metteur en scène Jean-François Sivadier qui avait monté La Traviata, avec dans le rôle titre Natalie Dessay, au Festival d’Aix-enProvence en 2011. Pas de rideau de scène, mais ouverture sur la salle, sans trop de décor, ceux-ci conçus par Alexandre de Dardel, avec des inscriptions sur un mur et des ampoules qui descendent des cintres. Finalement, Jean-François Sivadier ne se renouvelle pas beaucoup. Du théâtre dans le théâtre donc. Les machinistes vont et viennent avant le début et durant l’entracte mettant de l’animation. Les costumes de Virginie Gervaise sont un mélange du goût du jour et de l’époque du compositeur sans grande cohérence, mais semant des couleurs par ci par là. Couleurs aussi avec des loupiotes multicolores en verre de Murano suspendues à des fils. C’est à peu près tout si l’on excepte le fatras habituel des coulisses. Les lumières de Philippe Berthomè sont appropriées au spectacle respectant les atmosphères tout en donnant relief et crédibilité aux scènes dans ce théâtre minimaliste. Entre commedia dell’arte et théâtre des tréteaux, la production est jeune et animée avec, ici encore, l’accent mis sur le jeu théâtral plus que sur les voix. Qu’ont donc les metteurs en scène à se servir des opéras pour ne faire que du théâtre, et où doit-on aller pour écouter du chant aux lignes lyriques ? Ici nous évitons les kalachnikovs, de mise actuellement, mais pas les connotations religieuses avec l’inscription LIBERTA en lettres de sang où le T est remplacé par une croix et un Don Giovanni prenant le vêtement et la posture du Christ en croix. Là aussi cette mise en scène remportera tous les suffrages. Décidément, le public actuel se contente de peu. Jérémie Rhorer, ancien assistant de Marc Minkowski et de William Christie n’est pas un inconnu au Festival d’Aix-en-Provence. On se souvient de sa direction en 2012 des Noces de Figaro et plus récemment de L’enlèvement au sérail. C’est un spécialiste de Mozart ; n’a-t-il pas été le Directeur artistique du Festival Mozart du Théâtre des Champs Elysées ? Il est ici à la tête du Cercle de l’Harmonie qu’il fonde en 2005. le parti pris de jouer sur des instrument d’époque, (parti pris très répandu actuellement), est certes une idée intéressante, mais nous avons pris l’habitude des interprétations plus brillantes de Mozart et nous trouvons trop souvent qu’ainsi les sonorités des violons manquent de brillance et le Staccato des cordes de mordant. Jérémie Rhorer dirige d’une manière énergique, soutenant les chanteurs dans des nuances appropriées et des tempi justes pour cette mise en scène enlevée. Il arrive à trouver les accents dramatiques contenus dans l’ouverture malgré les évolutions sur la scène qui privent le spectateur d’une écoute attentive. Mais ne boudons pas notre plaisir et apprécions la musique de Wolfgang Amadeus Mozart dans une de ses oeuvres majeures dirigée par un chef d’orchestre qui a su pallier certaines défaillances vocales avec intelligence, tout en conservant le caractère de cette partition qui passe de l’humour léger au dramatique. C’est donc un Don Juan dans la fougue de la jeunesse et de sa virilité que Jean-François Sivadier nous présente. Beau, de l’allure, avec une présence sur scène indéniable, le baryton-basse canadien Philippe Sly va, vient, voltige, avec une énergie et un charme toujours renouvelés. Voix forte et projetée au premier acte, avec un air du champagne où vélocité rime avec précision, Philippe Sly est un Don Juan plus que convaincant dans ce contexte, chantant le duo “La ci darem la mano” avec style et musicalité. Que lui arrive-t-il après l’entracte ? La mise en scène trop physique a-t-elle eu raison de sa voix ? Toujours est-il que si scéniquement il est toujours aussi investi, vocalement on ne le reconnaît plus, avec une chanson accompagnée par la mandoline complètement détimbrée d’où les résonances sont exclues et des aigus plus faibles. Il mourra tout en restant debout tel le Christ crucifié, après avoir été pris de convulsions. Nahuel di Piero qui chante Leporello d’une voix de basse affirmée est très à l’aise scéniquement et vocalement avec un air du catalogue percutant, interprété avec style et humour. Sans doute lui manque-t-il une certaine puissance qu’il trouve dans les aigus tenus sur une belle longueur de souffle malgré des graves un peu courts. Il forme avec Don Juan un couple vocal et scénique équilibré Qui donne vie et force à cette mise en scène. Le Masetto de Krysztof Baczyk s’inscrit dans la lignée de ce plateau où jeunesse et investissement font pétiller la scène avant une fin dramatique. Grand, de l’allure, une voix projetée, agile et bien placée feront ressortir son style dans ses duos et ensembles. Le Don Ottavio de Pavlo Breslik est moins convaincant vocalement ; peut-être sa voix manque-t-elle de clarté pour paraître plus puissante, mais de jolis phrasés dans son air “Il mio tesoro..” chanté avec sensibilité font ressortir les graves. On remarque aussi son agilité et son style élégant dans un beau duo avec Donna Anna. La voix de basse de David Leigh fait merveille dans le rôle du Commendatore. Malgré sa jeunesse il impose son personnage vocalement, lui donnant dimension et ampleur avec des graves profonds, sonores et tenus. Ce chanteur américain, habitué à Puccini, Gounod et Donizetti… a trouvé le style Mozart, dont il chante aussi le rôle de Sarastro (La flûte enchantée). Si tous les autres chanteurs sont en prise de rôle, il est le seul à avoir chanté ce père vengeur. Dans les rôles féminins point d’immenses voix non plus, mais du style, de la musicalité et beaucoup de charme dans une homogénéité de plateau qui rend cette production crédible ; plus de gravité aurait pourtant été appréciée. Eleonora Buratto est une Donna Anna qui fait résonner son soprano dans une belle diction projetée. Sensible dans ses duos, avec Don Ottavio, elle nous donne à entendre une belle couleur de voix aux nuances subtiles qui sait se faire plus forte dans les ensembles ou dans les moments de colère et de désespoir. La mezzo-soprano Isabel Leonard a déjà une belle carrière derrière elle. Elle est une Donna Elvira convaincante au style très mozartien et au médium riche en couleurs; investie dans son rôle elle chante avec agilité, passant d’un chant aérien à des moments de force et de puissance, faisant ressortie le caractère complexe de cette femme, amoureuse indéfectible. Elle fait ressortir sa voix ronde dans un trio sensible et musical avec Donna Anna et Don Ottavio, chanté dans une même esthétique musicale. Julie Fuchs, qui vient de l’Académie du Festival d’Aix-en-Provence est ici une Zerlina dont les qualités ne sont plus à démontrer. Mutine, agile et fraîche, elle fait preuve d’une belle présence scénique et vocale. Son air “Batti, batti o bel Masetto..” est projeté sans forcer avec un style impeccable. Dans un chant délicat au legato musical, elle enjôle son promis qui ne demandait que cela. Avec des ensembles homogènes et précis, ce plateau est tout de fraîcheur dans une mise en scène assez succincte. Le Choeur English voices, préparé par Tim Brown, fait preuve de précision dans un bon investissement, malgré un nombre assez réduit. L’on aurait, certes, préféré voir cet opéra dans une mise en scène moins désordonnée, qui aurait donné plus de dimension aux voix, mais le public, lui, a apprécié ces idées, soit que l’on enlève le Commendatore alors qu’il revenait d’outre tombe au premier acte, soit que l’on sculpte sur scène sa statue dans un mur. Une représentation toutefois très applaudie. Photo by Pascal Berger /ArtComPress