Aix-en-Provence, Grand Théâtre de Provence, Festival 2017
“CARMEN”
Opéra comique en quatre actes, livret Henri Meilhac et ludovic Halévy, d’après la nouvelle de Prosper Mérimée.
Musique Georges Bizet
Carmen STEPHANIE D’OUSTRAC
Don José MICHAEL FABIANO
Micaëla ELSA DREISIG
Escamillo MICHAEL TODD SIMPSON
Frasquita GABRIELLE PHILIPONET
Mercédès VIRGINIE VERREZ
Zuniga CHRISTIAN HELMER
Moralès PIERRE DOYEN
Le Dancaïre GUILLAUME ANDRIEUX
Le Remendado MATHIAS VIDAL
Choeur Aedes, Choeur d’enfants Maîtrise des Bouches-du-Rhône
Orchestre Orchestre de Paris
Direction musicale Pablo Heras-Casado
Chef de Choeur Mathieu Romano, Samuel Coquard
Direction musicale Pablo Heras-Casado
Mise en scène, décors et costumes Dmitri Tcherniakov
Costumes Elena Zaitseva
Lumières Gleb Filshtinsky
Aix-en-Provence, le 4 juillet 2017
Au Festival d’Aix-en-Provence, Dmitri Tcherniakov fait d’un opéra-comique (qui comme chacun sait n’a rien de comique), un opéra bouffe au premier acte de son CARMEN. Bien évidemment, personne ne s’attendait à assister à une production classique, et mieux valait s’y préparer. Exit les robes andalouses, les cigarières et le costume de lumière du toréador. Nous entrons directement dans un immense hall meublé de canapés noirs et de tables basses, mi-hôtel, mi-clinique tout à fait impersonnel, et nous y resterons tout le temps que durera la thérapie imaginée par Dmitri Tcherniakov, car ici, Carmen sert de prétexte : un homme, (Michael Fabiano) présenté par sa femme (Elsa Dreisig qui deviendra Micaëla), vient ici soigner son ennui et essayer de retrouver désir et goût pour la vie. La thérapie consiste en un jeu de rôles où le patient, pris par l’action, se laissera emporter par des sentiments forts, sortant ainsi de son apathie. Et ce rôle, c’est Don José ; d’où l’opéra Carmen. La musique reste dans son intégralité et dans la version originale avec texte parlé. Evidemment il y a des rajouts dans le texte, écrit par Dmitri Tcharniakov. Texte explicatif afin que le spectateur s’y retrouve, sache qu’ici on se trouve sur une place de Séville face à une manufacture de tabac, dans la taverne de Lillas Pastia, ou devant les arènes. Point de robes à volants ou d’éventails, mais des costumes cravates, et des jupes chemisiers pour les messieurs dames du choeur, les enfants de la garde montante ou descendante, cantonnés dans la fosse d’orchestre, seront singés par les hommes du choeur. Mais commençons par la musique, seul élément restant de l’oeuvre de Georges Bizet, absente du Festival depuis 1957. Le chef d’orchestre espagnol Pablo Heras-Casado, à la tête (et non à la baguette, il n’en a pas), de l’Orchestre de Paris dans une forme éblouissante, nous a fait vivre des instants de musique, intenses et inoubliables, d’une rare justesse d’expression dans des tempi et des respirations toujours appropriés. Pablo Heras-Casado se soucie des chanteurs, les soutient, les accompagne, leur accordant la fluidité d’un legato ou le détaché d’un staccato, tout en conservant le style espagnol sans céder au folklore. Prélude, intermezzo, sont joués avec lyrisme, pureté et élégance laissant les solistes s’exprimer librement, ainsi le solo de flûte accompagné par la harpe. Rarement un orchestre habitué au symphonique aura joué avec autant de justesse et de compréhension musicale une oeuvre lyrique. Grâce soit rendue à ces musiciens et à son chef d’orchestre. Si Dmitri Tcherniakov a mené sa mise en scène avec beaucoup de soin et de détails, c’est sans doute plus dans le sens d’un théâtre parlé que dans celui d’un opéra. Car, qui a jamais ri dans le premier acte de Carmen ? Une Carmen enjôleuse, certes, qui essaie de prendre son rôle au sérieux en émoustillant un Don Juan plus goguenard que séduit. Elle est pourtant séduisante Stéphanie d’Oustrac moulée dans une combinaison-pantalon bleue, chevelure noire abondante, dont elle se sert avec science. Que veut nous faire entendre Dmitri Tcherniakov avec des clichés actuels, séances de thérapie psychologique de groupes, reality show, allant jusqu’à faire une annonce pour avertir les personnes sensibles que non, nous ne sommes pas dans une redite du Bataclan, mais que le GIGN, casqué, armé de fusils d’assaut et d’armes de poing, n’est là que pour arrêter… Carmen ? Bon, on l’aura deviné, nous n’adhérons pas au propos de Dmitri Tcherniakov et regrettons même qu’il se serve de Georges Bizet pour assouvir ses envies de théâtre. Mais pour en finir avec cette mise en scène, Don José qui s’est pris au jeu, après avoir rossé Escamillo d’importance, veut aller jusqu’au bout de la scène et, pris de passion, poignarde Carmen de sept coups de couteau, (pas de panique, nous sommes au théâtre), et Carmen ne sera touchée que psychologiquement. Don José sera-t-il guéri ou sombrera-t-il dans la folie ? Dmitri Tcherniakov ne le dit pas, mais il aura donné à Michael Fabiano l’occasion de nous prouver qu’il est un grand acteur. Mais puisque nous sommes à l’opéra, parlons des voix. De manière générale, dans un contexte qui sort la mise en scène de l’idée même du compositeur, les voix peuvent se permettre d’être moins lyriques, moins opéra traditionnel en somme, sans que le public y trouve à redire. Michael Fabiano est ici Don José. Ce jeune ténor américain dont la diction arrive à atténuer son léger accent, réussit à partir du troisième acte une réelle performance d’acteur, donnant un certain intérêt au spectacle qui en manquait jusque là. Investie dans cette mise en scène, sa voix montre quelques faiblesses dans le médium et les graves, mais les aigus assurés et puissants donnent un relief certain au personnage qui, au début, restait très en retrait. S’il s’essaie au falsetto dans son air “La fleur…“, c’est dans la virilité retrouvée que l’on apprécie le plus ses qualités et l’on aimerait beaucoup entendre ce jeune ténor qui chante aussi bien Tchaïkovski (Eugène Oneguine) que Verdi (Rigoletto, I due Foscari) ou Donizetti (Lucia di Lammermoor) entre autres, dans une mise en scène plus adaptée aux phrases lyriques. Ceci dit, nous louons sa prestation qui arrive à donner un sens au propos de Dmitri Tcherniakov. Evidemment, on ne peut dissocier Don José de Carmen, cette femme qui va peut-être révéler son tempérament assoupi, mais en même temps le détruire. Et cette femme est ici Stéphanie d’Oustrac. Cette jeune mezzo française à la diction parfaite, que nous n’aurions pas d’emblée imaginée dans le rôle de Carmen après l’avoir entendue chanter Isolier ( Le comte Ory, Rossini) et L’Aiglon, (rôle titre, d’Arthur Honegger et Jacques Ibert), 2012 et 2016 à l’Opéra de Marseille, rôles qu’elle interprétait avec une grande justesse dans des styles parfaits, bien que très différents. En actrice accomplie, elle se glisse dans la Carmen de Dmitri Tcherniakov avec aisance, talent et beaucoup de naturel, donnant un sens à une mise en scène qui, dans le contexte de cet opéra n’en a pas. Vocalement on retrouve toutes les qualités qui nous avaient séduits : voix percutante et bien placée, aigus sûrs et ronds, ligne de chant admirablement conduite, musicalité, style et élégance dans chaque phrase. Venant de l’Académie du Festival d’Aix-en-Provence et prix aux Victoires de la musique classique en 2002, Stéphanie d’Oustrac depuis,n’a pas arrêté de progresser. Si l’on pouvait attendre une voix un peu plus sombre pour ce rôle, elle est parfaite dans ce contexte ; jouant le jeu du metteur en scène elle n’hésite pas à ajouter du comique dans un opéra qui n’a de comique que le nom. Le couple Don José/Carmen, qui fonctionne ici, sauve la partie scénique de cette production. Autre belle interprétation que celle d’Elsa Dreisig dans le rôle de Macaëla, vêtue d’un manteau rose des années 60, elle aussi venue de l’Académie d’Aix-en-Provence. Sa voix solide, posée et claire arrive à susciter une certaine émotion dans un joli phrasé alors qu’elle apporte à Don José une lettre de sa mère. Délicatesse et clarté font partie de ses atouts. Michael Todd Simpson, paraît, lui, assez décontenancé par cette mise en scène où, en costume blanc, lunettes de soleil, il apparaît plus mafioso que toréador. Dans ce rôle d’Escamillo, difficile à chanter, sa voix au vibrato peu stable ne semble pas au top niveau. Il sera néanmoins tel que l’a désiré le metteur en scène. Gabrielle Philiponet (déjà appréciée dans les rôles de Musetta – La Bohème à l’Opéra de Marseille – et Despina – Cosi fan tutte à l’Opéra de Toulon) et Virginie Verrez, respectivement Frasquita et Mercédès, réussissent à donner du relief et du piquant au trio des cartes avec rythme et précision. Une mention spéciale toutefois, pour la voix grave et chaude de la mezzo-soprane Virginie Verrez. Christian Helmer (Zuniga), qui a troqué son habit d’officier contre un costume sombre fait résonner sa voix de baryton avec aisance et naturel. Bien aussi les comprimari Pierre Doyen, Guillaume Andrieux et Mathias Vidal qui seront très applaudis pour leur prestation. A la hauteur de l’orchestre pour son engagement vocal qui a donné vigueur et précision à ses interventions: le Choeur Aedes très bien préparé par son chef Mathieu Romano. Précision millimétrée des attaques, homogénéité des voix et phrasé en phase avec la musique. Autre choeur bien préparé aussi par Samuel Coquard, le Choeur d’enfants de La Maîtise des Bouches-du-Rhône, hélas confiné dans la fosse d’orchestre par une mise en scène qui nous prive de ce moment de fraîcheur visuelle. Mais grâce à une belle projection, ils arriveront à se faire entendre pour le plaisir de tous. Loin d’avoir apprécié cette nouvelle version de Carmen, force est de constater que le public, faisant une “standing ovation” n’est pas de notre avis. Qui se souviendra bientôt que l’opéra Carmen se passe à Séville dans les passions du sud de l’Espagne ? Mais Monsieur Bernard Foccroulle, Directeur Général du Festival d’Aix-enProvence a tenu son pari : faire aimer par le public, en quelques années, le travail de Dmitri Tcherniakov copieusement hué lors de le représentation de son premier Don Juan en 2010 sur la scène de l’Archevêché. Photo by Patrick Berger/ArtComPress