Marseille, Opéra, saison 2016 / 2017
“DON CARLO”
Opéra en 4 actes, version de Milan, livret de Joseph Méry et Camille du Locle, d’après Friedrich Schiller
Musique Giuseppe Verdi
Elisabetta di Valois YOLANDA AUYANET
Principessa d’Eboli SONIA GANASSI
Tebaldo CARINE SECHAYE
Una voce celeste ANAÏS CONSTANS
Don Carlo TEODOR ILINCAI
Filippo II NICOLAS COURJAL
Rodrigo di Posa JEAN-FRANCOIS LAPOINTE
Il grande Inquisitore WOJTEK SMILEK
Un Frate PATRICK BOLLEIRE
Il Conte di Lerma ERIC VIGNAU
Deputati Fiamminghi GUY BONFIGLIO, LIONEL DELBRUYERE, JEAN-MARIE DELPAS, ALAIN HERRIAU, ANAS SEGUIN, MICHEL VAISSIERE
Un Araldo CAMILLE TRESMONTANT
Orchestre et Choeur de l’Opéra de Marseille
Direction musicale Lawrence Foster
Chef du Choeur Emmanuel Trenque
Mise en scène Charles Roubaud
Scénographie Emmanuelle Favre
Costumes Katia Duflot
Lumières Marc Delamézière
Vidéos Virgile Koering
Coprduction Opéra National de Bordeaux / Opéra de Marseille
Marseille, le 8 juin 2017
Pour la clôture de la saison lyrique, l’Opéra de Marseille nous présentait Don Carlo, peut-être le plus bel opéra de Giuseppe Verdi par l’intensité de l’orchestration et les nombreux airs qui font la part belle à chacune des voix et et chaque personnage, nous donnant à écouter sans doute le plus intense duo composé pour ténor et baryton. Initialement écrit en français (Don Carlos), avec l’acte de Fontainebleau, et créé à Paris le 11 mars 1867, cet opéra, étrangement, recevra un accueil mitigé et sera même un peu méprisé jusque dans les années 1950. Remanié pour la scène italienne en 1884, c’est le Don Carlo version italienne qui sera mondialement représenté. Avec un sujet historique et néanmoins dramatique, l’amour, la trahison mais surtout l’amitié transparaitront dans des airs magnifiques avec intensité, éclat ou retenue. Si le livret est complexe, les thèmes traités avec rigueur permettront d’aborder le fanatisme religieux de l’Inquisition sans trop de heurts. Pas d’ouverture, mais une musique très adaptée au texte qui renforce l’intensité du chant tout en le soutenant au plus près. Charles Roubaud nous livre ici une mise en scène de bon goût où la sobriété est proche de l’austérité espagnole qui régnait à la cour. Double signature avec la scénographie d’Emmanuelle Favre qui joue avec des panneaux mobiles pour de nombreux changements à vue qui évitent les coupures entre les actes donnant ainsi plus de continuité à l’action. Le rideau s’ouvre sur des vidéos imaginées par Virgile Koering qui nous font entrer dans la crypte où est enterré l’empereur Charles Quint. Des statues de gisants, déstructurées, donnent à cet endroit un air de mystère et d’inquiétude. Ce même décor se retrouvera à la fin de l’opéra où les statues se briseront alors que Carlo sera emmené par un moine, incarnation de Charles Quint. Charles Roubaud va à l’essentiel pour une grande compréhension de l’action et des atmosphères, mais toujours avec une élégance qui n’exclue pas un certain côté spectaculaire, ainsi la cathédrale de Valladolid. Les ors, la lumière, les drapeaux, les oriflammes flottant au vent laissent place à une grande croix ouverte sur une projection de suppliciés hérétiques, qui finit par s’embraser lors de l’autodafé. Plus neutre la prison mais plus agréable cette évocation des jardins où évolue la cour, avec des arbres enfermés dans des cages dorées. Est-ce dans un esprit d’austérité ? Aucune pièce de mobilier, ce qui, à notre sens, manquera dans la scène du cabinet du roi, obligeant ce dernier à chanter son air “Ella giammai m’amo” seul, debout, ne sachant que faire, devant d’immenses tentures ; sans doute, à notre sens, le tableau le moins inspiré. Mais de beaux effets avec par exemple une croix dorée en fond de scène où vient prier le moine. De beaux effets soulignés par les lumières signées par Marc Delamézière, indirectes, rasantes avec des clairs-obscurs ou carrément éclatantes, qui rythment les temps forts de la scénographie. Les costumes de Katia Duflot, coupés dans de riches tissus, nous plongent dans cette cour austère et pudibonde de l’Espagne du temps de l’Inquisition. Ici point de décolletés pour les femmes, mais des fraises qui enserrent les cous, le tout dans des tons gris perle ou noirs pour des robes d’une grande richesse. Les costumes des hommes, noirs ou gris, nous transportent dans des peintures du Greco. Seuls les costumes du roi, des prêtres et du Grand Inquisiteur sont blancs, auréolés des lumières célestes. Les superbes costumes des députés flamands couleur rouge sang tranchent et mettent du relief. On pouvait se demander ce qu’allait donner un plateau où tous les chanteurs, exceptée Eboli étaient en prise de rôles, mais celui-ci tient ses promesses en ce soir de première. Si les voix manquent quelques fois d’une certaine homogénéité d’ensemble, les équilibres, nous l’espérons, seront trouvés rapidement. Yolanda Auyanet, est une Elisabetta très convaincante et très talentueuse. Un timbre agréable et chaleureux conservé dans chaque tessiture, un legato musical, une grande souplesse dans la conduite de la voix et une ligne de chant conservée au fil des airs font de cette interprétation un moment de grâce et une leçon de musique. avec un jeu sobre où pointe la colère ou la tendresse, Yolanda Auyanet fait partie des grandes interprètes de ce rôle, par sa mesure, justement, qui colle au personnage, par la compréhension des intentions du compositeur et par la musicalité contenue dans chaque phrase. C’est sans doute l’homogénéité de l’interprétation et la pureté du style et de la voix qui nous font vivre les moments les plus précieux de cette soirée. A ses côtés l’Eboli de Sonia Ganassi est aussi d’un style irréprochable. Certes, la voix n’est pas exactement celle du rôle, elle manque peut-être de grave et d’épaisseur, mais comme dans chacune de ses interprétation, la mezzo-soprano italienne fait preuve d’une grande musicalité avec une ligne de chant parfaitement conduite et un jeu d’un investissement total. A l’aise dans ses évolutions scéniques, elle est aussi crédible dans l’expression de la colère que dans la femme repentante. Avec des aigus sûrs, une belle longueur de souffle, et une légèreté vocalisante dans La chanson sarasine, elle impose son personnage. Carine Sechaye est un Tebaldo très en place vocalement et scéniquement, apportant un peu de frivolité lors de ses interventions. La voix d’Anaïs Constans est véritablement une voix céleste par sa justesse, son phrasé et la pureté de sa voix. Teodor Ilincai est Carlo. Ce ténor roumain n’est pas un inconnu pour le public marseillais qui l’avait apprécié dans son interprétation du rôle de Pinkerton (Madama Butterfly) en 2016 ; il fait montre ici d’une sûreté et une détermination absolues. Depuis cette dernière prestation, sa voix a pris du volume, s’est étoffée. Diction et projection sans faille lui donnent du caractère, et jeunesse et impulsivité ressortent dans le jeu de ce bouillant Don Carlo. On sent que ce jeune ténor prend un grand soin du phrasé et de la conduite musicale, et l’on se prend d’amitié pour cet infant, tant on sent de sincérité dans cette interprétation. Aigus solides, clairs, bien amenés, mais l’on pourrait suggérer à Teodor Ilincai de ménager un peu sa voix et de donner plus de rondeur à la puissance afin de mieux équilibrer duos et trios. Il faut laisser plus d’un spectacle à ce jeune ténor pour que le personnage prenne une dimension assouplie. Mais ne boudons pas cet investissement tant les qualité sont plurielles et la prestation applaudie. Jean-François Lapointe est ce Rodrigo, ami indéfectible dont le jeu et la voix nous avaient séduits dans le rôle d’Hamlet en début de saison. Rodrigo est le rôle rêvé pour tout baryton. Le personnage plait, et la voix peut donner toute sa dimension dans chaque registre, tant les airs et les répliques sont bien écrites par Verdi. Puissance, détermination, mais aussi phrases lyriques musicales et duos intenses. Nous retrouvons ici le timbre chaleureux, la couleur et l’homogénéité de la voix. Rodrigo est un rôle complexe qui peut mûrir sans problème. L’aisance de Jean-François Lapointe, la flexibilité de sa voix et l’intensité du jeu marqueront certainement le rôle de son empreinte à l’avenir. Les basses chantent souvent des rôles de rois, et après Le roi d’Ys, nous retrouvons Nicolas Courjal dans le rôle de Philippe II. Un rôle de premier plan dans cet opéra et très bien écrit pour cette voix. Toujours très apprécié du public, la basse française sera très applaudie. Il faut dire que la voix est bien placée et d’une grande puissance avec des graves profonds soutenus dans de longues tenues. Une voix ample, naturelle, mais alors, avec un tel matériau, pourquoi ne s’occuper que de la puissance au détriment de la ligne musicale ? Un peu plus de phrasé dans cet air emblématique ” Ella giammai m’amo” donnerait une autre dimension au personnage, d’autant que dans les piani la voix s’assouplit pour laisser ressortir la musicalité. Gageons que Nicolas Courjal laissera sa voix s’exprimer plus librement dans les prochaines représentations. Wojtek Smilek est Le Grand Inquisiteur, personnage antipathique et dangereux dont la voix profonde fait trembler l’Espagne et jusqu’au trône de Philippe II. De l’allure, de la prestance et un grand soutien de la voix sur toute la longueur des phrases font ressortir le caractère éminemment énigmatique du personnage. Patrick Bolleire est une autre belle voix de basse. Seul, au début de l’opéra, il fait résonner les accents profonds de cette tessiture grave avec beaucoup d’intensité. Camille Tresmontant est un Araldo qui se fait remarquer en une phrase par la clarté d’une voix bien placée. Guy Bonfiglio, Lionel Delbruyère, Jean-Marie Delpas, Alain Herriau et Michel Vaissière, les six Députés flamands font montre d’un bel ensemble et d’une homogénéité de voix qui fait ressortir la musicalité contenue dans ce passage bien connu. Un grand bravo pour le Choeur toujours très bien préparé par Emmanuel Trenque et qui, dans un grand investissement de chacun, participe au succès du spectacle par la présence scénique, mais surtout l’ensemble, la musicalité et la puissance dont ils font preuve ici. Il est très difficile de donner, dès la première, une homogénéité sonore entre plateau et orchestre alors que chaque chanteur ou presque est en prise de rôle. C’est ce qui ressort de cette représentation où moments de grande musicalité (quatuor de cors a capella du début, ou superbe solo de violoncelle accompagnant l’air de Philippe II) laissent place à des forte trop présents. Cet ouvrage très bien écrit pour l’orchestre, qui appuie souvent le propos de l’action tel le contrebasson forçant le caractère du Grand Inquisiteur, demande une grande souplesse dans les enchaînements, mais aussi de belles respirations avec les chanteurs. Soyons certains que Lawrence Foster, qui connaît bien son orchestre, saura trouver au fil des représentations cette unité de son et cette cohésion avec le plateau qui faisaient, par moments, défaut ce soir. Cet opéra, qui n’avait plus été joué ici depuis 1997, spectacle grandiose en tous points, clôture une saison lyrique digne des grandes scènes. Mais Marseille n’est-elle pas la ville où les grandes voix ont aimé se produire, sachant trouver un public de connaisseurs enthousiastes. Photo Christian Dresse