Opéra de Toulon: “Die Entführung aus dem Serail”

Toulon, Opéra, saison 2016 / 2017
“DIE ENTFÜHRUNG AUS DEM SERAIL” (L’enlevement au serail)
Singspiel en trois actes, livret de Johann Gottlieb Stephanie Jr, d’après Bretzner
Musique Wolfgang Amadeus Mozart
Constance ALEKSANDRA KUBAS-KRUK
Blonde JEANETTE VECCHIONE
Belmonte OLEKSIY PALCHYKOV
Pedrillo KEITH BERNARD STONUM
Osmin TARAS KONOSHCHENKO
Pacha Selim TOM RYSER
Orchestre et Choeur de l’Opéra de Toulon
Direction musicale Jurjen Hempel
Chef de choeur Christophe Bernollin
Mise en scène Tom Ryser
Décors David Beluglou
Costumes Jean-Michel Angays & Stéphane Laverne
Lumières  Marc Delamézière
Coproduction Opéra de Fribourg, Opéra de Lausanne, Opéra de Tours, Théâtre du Capitole de Toulouse
Toulon, le 7 avril 2017 
En nous présentant l’oeuvre de Wolfgang Amadeus Mozart ” L’Enlèvement au sérail ” dans cette production qui avait conquis le public du Théâtre du Capitole de Toulouse en début d’année, l’Opéra de Toulon a, comme très souvent, fait passer une soirée agréable en tous points aux amateurs d’art lyrique de Toulon et de la région. Wolfgang Amadeus Mozart a vingt six ans lorsque ce singspiel en 3 actes est créé à Vienne au Burgtheater le 16 juillet 1782. C’est en langue allemande, selon le souhait de Joseph II qui voulait faire de ce lieu un théâtre allemand, que Mozart écrira cette comédie qui met en scène des sentiments sérieux et sincères sur une musique légère et imagée. Cédant à la mode des turqueries, et peut-être en souvenir des guerres qui avaient opposé l’Autriche à l’Empire ottoman, le compositeur n’hésite pas à se moquer d’Osmin, le gardien du sérail. C’est sur des dialogues, mais sans récitatifs que la musique construit l’oeuvre. Une musique spontanée, audacieuse, qui laisse entrevoir l’impertinence d’un jeune Mozart répondant à l’empereur qui trouvait qu’il y avait trop de notes ” Sire, Il n’y en a pas une de trop ! ” L’enlèvement au sérail sera un succès immédiat. Des airs écrits avec élégance et intelligence, donnent une grande luminosité à l’ouvrage. Le metteur en scène Tom Ryser, qui apprécie toutes les formes du théâtre vivant, livre ici une mise en scène d’une grande clarté. Un jeu d’acteurs en ombres chinoises pour débuter, ou des voiles de bateaux passant au loin, nous font entrer dans une forme de théâtre minimaliste avec l’évocation en vidéo d’un amour perdu qui rend le Pacha Selim mélancolique et prompt à pardonner. Peu de moyens dans le choix des décors sinon un mur couvert de zelliges ou des panneaux  de tissus aux motifs orientaux très agréables à regarder. Jeux de transparence grâce aux lumières créées par Marc Delamézière qui se sert des différents coloris pour animer et rythmer l’oeuvre en accord avec la musique. Les costumes de Stéphane Laverne paraissent mélanger les styles, espérant sans doute leur donner une allure intemporelle, avec des robes peu seyantes pour les dames du choeur, et une tenue franchement laide pour Blonde, tout en cédant à l’appel des kalachnikovs. Il semblerait que l’on ne puisse plus représenter l’Orient qu’avec ces armes à la main. Dommage ! Dans cette production traitée avec un sens de l’esthétique certain, le plateau jeune et homogène donne vivacité et crédibilité aux personnages. Aleksandra Kubas-Kruk est une Constance au charme incontestable qui passe de la mélancolie aux airs plus lyriques toujours dans une voix limpide aux contre-ré nombreux et lumineux. Des vocalises à l’aise et un chant qui allie style, force et élégance, dans un phrasé musical qui laisse ressortir délicatesse et pudeur de sentiments. Peut-être manque-t-elle un peu de passion dans les dialogues parlés, c’est bien peu de chose tant ses airs Ach ich liebte ou Matern aller arten sont chantés dans un joli vibrato coloré, laissant apprécier une esthétique musicale de chaque instant. Musicalité que l’on retrouve dans les ensembles et les duos. Blonde est chanté par la brune Jeanette Vecchione. Vive, pétillante, amusante ou mutine, elle est aussi agile vocalement que scéniquement. Austaccato percutant s’ajoutent des aigus clairs et projetés ainsi qu’un phrasé très musical. Sa voix d’une grande fraîcheur vocalise avec légèreté dans un chant intelligent, bien conduit des aigus aux graves. On regrette son accoutrement qui n’apporte rien à l’ouvrage, bien au contraire, mais on retiendra son interprétation juste. Le ténor ukrainien Oleksiy Palchykov prête sa voix mélodieuse à Belmonte. Cintré dans un pantalon, gilet de cuir, il évolue avec agilité et s’impose vocalement dès son air d’entrée “Hier soll ich dich denn sehen..” Si la voix n’est pas très puissante, elle n’en est pas moins percutante avec un grand soutien du souffle. Dans un style mozartien indéniable, il impose ses aigus ronds, soutenus jusqu’au pianissimo, et un phrasé musical aux respirations justes. Dans un medium mélodieux, il conduit avec souplesse vocalises et phrases musicales avec un jeu affirmé, tout en mettant beaucoup de poésie dans son chant. Pedrillo, est lui chanté par le ténor américain Keith Bernard Stonum. Il apporte vivacité et humour à ce rôle qu’il interprète avec justesse. Sa voix solide aux aigus percutants garde sa couleur dans les phrases parlées et dans la romance, alors qu’il est accompagné par les pizzicati de l’orchestre. C’est un quatuor vocal très équilibré dont l’intelligence musicale de chacun est mise au service de la musique et du compositeur, conférent charme et élégance à un ouvrage qui n’en manque pas. La voix grave d’Osmin est confiée à la basse ukrainienne Taras Konoshchenko. Sa voix timbrée aux graves assurés qui descendent jusqu’au ré impose ce personnage sans jamais le forcer malgré des mots d’une grande violence. La romance agréable chantée d’une voix ronde et chaleureuse séduit dans un rôle souvent plus ridicule que séduisant. Dans un jeu amusant avec mesure, Taras Konoshchenko impose sa voix forte aux nuances justes dans un phrasé fluide et harmonieux qui se fond dans la ligne musicale pour former un quintette vocal des plus équilibrés. C’est sans doute à cette homogénéité des voix que nous devons la réussite de cette soirée. Le rôle du Pacha, interprété ici par le metteur en scène Tom Ryser nous livre unSelim dans cette continuation d’idée qui fait de lui un grand amoureux nostalgique d’un passé à jamais révolu, mais jamais oublié. Nous l’aurions aimé un peu plus affirmé, avec une voix au timbre plus puissant ; mais dans cette optique de légèreté et de pardon, il participe aussi à l’équilibre du plateau. Le choeur, bien préparé par Christophe Bernollin fait une prestation de qualité malgré des costumes peu seyants et une direction d’acteurs sans grand intérêt. Jurjen Hempel était à la tête de l’orchestre de l’Opéra de Toulon. Ce chef très inspiré a tenu l’orchestre avec beaucoup de fermeté, mais avec une finesse de direction digne des plus grands Mozart. Dans des tempi allants qui soutiennent l’action et l’attention, il laisse sonner l’orchestre tout en insufflant à chaque pupitre les inflexions et les respirations caractéristiques du style mozartien. Jurjen Hempel est un chef d’orchestre attentif qui suit et soutient les chanteur dans le phrasé musical sans l’imposer avec rigidité. A la vélocité des cordes répond la rondeur de son des cuivres dans des accents qui donnent la couleur et le rythme. Si nous n’adhérons pas toujours à cette idée d’un Sélim obsédé par l’image de cet amour perdu au point de vouloir que chacune des femmes de son sérail lui ressemble, force est de reconnaître que cette production présente une cohérence qui a séduit le public. Sans excès, et dans une grande homogénéité musicale, cet Enlèvement au sérail est une réussite. Un grand bravo à ces jeunes chanteurs venus d’horizons différents, mais réunis dans un souffle très mozartien.