Toulon, Opéra, saison 2016 / 2017
“UN BALLO IN MASCHERA” (Un bal masque)
Opéra en trois actes, livret d’Antonio Somma, d’après Eugène Scribe
Musique Giuseppe Verdi
Amelia ALEX PENDA
Ulrica ENKELEJDA SHKOSA
Oscar ANNA MARIA SARRA
Riccardo GASTON RIVERO
Renato DARIO SOLARI
Samuel FEDERICO BENETTI
Tom NIKA GULIASHVILI
Silvano MIKHAEL PICCONE
Un juge DIDIER SICCARDI
Un Serviteur JEAN-YVES LANGE
Orchestre et Choeur de l’Opéra de Toulon
Direction musicale Rani Calderon
Chef de choeur Christophe Bernollin
Mise en scène Nicola Berloffa
Décors Fabio Cherstich
Costumes Marco Giusti
Production Teatro Fraschini de Pavie
Toulon, le 29 janvier 2017
C’est avec un grand plaisir que nous assistons, en ce dimanche après-midi du 29 janvier, à la deuxième représentation de l’opéra de Giuseppe Verdi “Un bal masqué” dans ce joli théâtre à l’italienne qu’est l’Opéra de Toulon. Cet ouvrage est créé au teatro Apollo de Rome en 1859, après avoir été refusé plusieurs fois par la censure. Inspiré par un fait réel : l’assassinat à l’Opéra Royal de Stockholm du roi de Suède Gustave III par Jacob Anckaström lors d’un bal masqué, le livret devra être remanié ; car, peut-on imaginer présenter sur scène un régicide alors qu’il y a peu trois ressortissants italiens avaient essayé d’assassiner Napoléon III à Paris ? Giuseppe Verdi et son librettiste Antonio Somma reprendront plusieurs fois le livret largement inspiré par celui d’Eugène Scribe écrit pour l’opéra d’Esprit Auber (Gustave III), pour finalement se fixer sur le meurtre de Riccardo, comte de Warwick et gouverneur de Boston, perpétré par son secrétaire, pourtant loyal et fidèle, alors qu’il se croyait trahi. Cet ouvrage qui est créé après Simon Boccanegra et avant La Forza del destino est remarquablement écrit pour les voix avec de nombreux airs, ensembles et duos qui mettent les chanteurs en valeur tout en leur permettant d’exprimer leurs divers sentiments. La mise en scène a été confiée à Nicola Berloffa. Ni révolutionnaire, ni exempte de quelques incohérences dans l’élaboration des décors et des costumes, cette mise en scène a l’avantage de ne jamais nuire à la compréhension et d’être agréable à regarder. De plus, Nicola Berloffa dirige les acteurs avec une grande intelligence les faisant évoluer avec fluidité tout en insufflant du rythme à l’action, malgré les changements d’atmosphères. Les décors de Fabio Cherstich font-ils référence à l’opéra où fut assassiné le roi Gustave III ? Toujours est-il qu’il a imaginé deux loges de théâtre mobiles qui s’éloignent ou se rapprochent faisant ainsi évoluer le décor. Nous passons d’une place à un campement où l’on vient consulter l’indienne Ulrica pour connaître son avenir. Le décor du II, assez simpliste, n’apporte pas la tension qui devrait exister la nuit dans un lieu où doit se dresser un gibet. Plus réussi dans sa sobriété est ce bureau où Renato annonce à Amelia qu’elle doit mourir. Au dernier acte, les loges du début se rapprochant, Riccardo mourra assassiné au théâtre où a lieu un bal masqué. Les lumières de Marco Giusti, qui pourraient être plus contrastée ou plus subtiles sont appropriées mais sans grande originalité. Les costumes étaient confiés à Valeria Donata Bettella. Le drapeau américain nous transporte immédiatement à Boston dans des costumes bien coupés où les robes seyantes et colorées mettent les chanteuses en valeur. Ulrica est ici une indienne à qui il ne manque ni colliers d’amulettes ni plume sur la tête ; un tantinet excessif. Assez exotiques aussi les costumes de Samuele et Tomaso plus orpailleurs que conspirateurs, ainsi que les costumes des femmes qui gravitent autour d’Ulrica dans un pur style puritain. Moins seyants sont les costumes de Riccardo. Il n’est pas toujours nécessaire d’avoir de grandes vedettes pour un spectacle réussi ; un plateau homogène réunissant de belles voix, un bon chef et une mise en scène adaptée suffisent au bonheur des spectateurs mélomanes. C’est ce qui fait aujourd’hui le succès de ce bal masqué. Alex Penda est Amelia, Cette soprano bulgare est dotée d’une voix dont l’ample tessiture lui permet d’aborder un large répertoire qui va de la musique baroque à celle de Richard Strauss. Se produisant sur les plus grandes scènes lyriques, elle chante pour la première fois à l’Opéra de Toulon. Racée, élégante dans ses jolies robes, elle incarne avec justesse cette femme dont le penchant amoureux la fait souffrir et qui lutte contre sa passion par loyauté envers son mari ; cette lutte est perceptible dans son chant. Sa belle technique, qui lui permet des contrastes de nuances et d’expressions dans une ligne musicale toujours juste, laisse ressortir sa sensibilité. Angoisse, violence contenue, n’altèrent en rien une voix colorée aux aigus timbrés dont le soprano dramatique s’exprime pleinement dans un long dialogue avec le cor anglais au début de l’acte II, dans une belle pureté de style. Autre superbe voix que celle d’Enkelejda Shkosa qui est ici une Ulrica de tout premier plan. Les rôles de sorcières lui vont à merveille, nous l’avions déjà applaudie en 2015 sur cette même scène alors qu’elle interprétait Azucena (Le Trouvère). Investie scéniquement et vocalement, sa voix grave de contralto résonne avec puissance dans une époustouflante ampleur harmonique. C’est avec une grande homogénéité et une belle longueur de souffle que sa voix passe avec aisance des graves aux aigus puissants et colorés. Somptueuse Ulrica ! La jeune soprano italienne Anna Maria Sarra prête avec pétulance sa voix fraîche à Oscar. Mutine, juste scéniquement, elle apporte un peu de légèreté dans ce drame avec des aigus projetés de colorature. Très appréciée du public, son staccato joyeux et ses sauts d’intervalles agiles dans une jolie couleur de voix, déclencheront de longs applaudissements. Gaston Rivero, ténor uruguayen que nous entendons pour la première fois est Riccardo, ce comte amoureux qui lutte contre ses sentiments. Peu avantagé par des costumes qui ne le mettent pas en valeur, il est un ténor lyrique vaillant qui déploie sa technique et sa musicalité avec bonheur dans des situations différentes tout en conservant les qualités inhérentes à sa voix. Dans une excellente diction, Gaston Rivero projette des notes rondes, passant des moments d’exaltation aux moments de tendresse ou de doutes avec facilité et expressivité. Nous goûtons avec un plaisir gourmand au duo d’amour avec Amelia, alors que les deux chanteurs se répondent dans une même esthétique musicale, bien soutenus par l’orchestre. Sans violence et sans forcer, Gaston Rivero projette ses aigus dans une belle longueur de souffle. Dario Solari, lui aussi uruguayen, sera Renato, son ami et néanmoins rival. Ce baryton au timbre coloré que nous avions trouvé un peu statique dans le Simon Boccanegra qu’il avait interprété en 2015 sur cette même scène, est beaucoup plus investi dans ce rôle fort aux sentiments contradictoires. Une belle prestance et une élégance naturelle donnent beaucoup d’allure à Renato ; jouant plus sur les sentiments que sur la violence, il impose son personnage aussi vocalement et dès son air de l’acte I. Si sa voix manque un peu d’épaisseur dans les graves, on apprécie son investissement vocal, son phrasé musical, la qualité de sa voix et la belle tenue de ses aigus. Très concerné dans le trio de la vendetta, il est aussi convaincant avec Amelia à l’acte II dans un bel équilibre des deux voix qui s’harmonisent musicalement. Giuseppe Verdi, qui a écrit admirablement pour les chanteurs, donne la parole à Renato dans un air d’anthologie où Dario Solari fait résonner sa voix accompagné par la flûte et la harpe dans une sorte de trio musical chanté avec sensibilité dans un beau phrasé. Ce plateau très équilibré nous fait entendre deux voix graves : Federico Benetti (Samuel, baryton-basse) et Nika Guliashvili (Tom, basse) les deux conspirateurs ; seconds rôles qui participent au succès du spectacle par leurs qualités vocales et scéniques. Belles voix graves investies pour un trio vengeur avec Renato. Belle prestation de Mikhael Piccone qui chante Silvano avec une voix chaude de baryton. Dans cet ouvrage où les voix graves sont à l’honneur, il faut noter le bel investissement vocal et scénique du choeur d’hommes qui fait preuve d’une grande présence et d’un bel ensemble, et du choeur en général. Le chef d’orchestre israélien Rani Calderon, que nous avions déjà applaudi dans Ariane à Naxos, dirige avec élégance et intelligence un orchestre à l’écoute et en grande forme. Que serait un plateau homogène et de qualité sans un chef qui coordonne avec fermeté et musicalité ? Le Maestro a su faire ressortir les ambiances différentes de ce Verdi admirablement écrit, non seulement pour les voix où les airs sont nombreux, mais aussi pour l’orchestre qui doit moduler avec subtilité les passages de violence, de liesse où de tendresse. Avec la qualité des instruments solistes et de tout l’orchestre, Un bal masqué a été interprété dans le respect des grands Verdi et la tradition scénique et musicale de l’opéra italien, pour le plus grand plaisir d’un public conquis et chaleureux. Photo © Frédéric Stéphan