Opéra, Marseille, saison 2016 /2017
Orchestre Philharmonique de Marseille
Direction musicale Bruno Mantovani
Soprano Ricarda Merbeth
Franz Liszt:”Orpheus”, “Les Préludes”
Richard Wagner:”Le Vaisseau fantôme” (Der Filegende Holländer) Ballade de Senta, “Lohengrin”, Elsa’s traum, “Tannhäuser” Dich teuer Halle (Air d’Elisabeth), “Tristan und Isolde” Prélude et Mort d’Iseult (Vorspiel und Isolde liebestod)
Paul Hindemith: Symphonie dite “Mathis der Maler” (Mathis le peintre)
Marseille, le 15 janvier 2017
La musique de Richard Wagner, c’est bien connu, a ses aficionados à Marseille. Aussi, le public marseillais était-il venu nombreux applaudir Ricarda Merbeth au sommet de son art. Il ne faut sans doute pas chercher un fil conducteur dans l’élaboration du programme, mais se laisser porter par des oeuvres, quelques fois peu connues du grand public, mais d’un grand intérêt musical. Franz Liszt, Richard Wagner et Paul Hindemith étaient donc réunis pour notre plaisir en ce dimanche après midi. Franz Liszt fut le premier compositeur à écrire ces poèmes symphoniques qui seront très en vogue au XIXe siècle ; deux nous seront proposés : Orpheus, composé tout d’abord pour servir de prologue à la tragédie lyrique de Gluck Orfeo, et Les Préludes, le plus célèbre, inspiré par les “Nouvelles méditations poétiques” d’Alphonse Lamartine. Orpheus, oeuvre créée à Weimar en 1854 et que Richard Wagner admirait beaucoup, fait référence à un vase étrusque où le poète Orphée est représenté, et qui fait partie de la collection du Louvre. On reconnaît l’écriture de Franz Liszt dès les premières notes, avec ces arpèges de harpes qui font allusion à la lyre du poète musicien. L’orchestre retrouve l’unité de son qu’on lui connaît, avec une grande homogénéité des archets qui se permettent des envolées musicales, ou accompagnent avec plus de subtilité la pureté du son du violon solo ou les graves du solo de violoncelle. Le thème revient à la petite harmonie pour un grand crescendo qui fait résonner les cuivres pour finir dans un long solo de cor anglais au son suave et douloureux. Orpheus et Les Préludes, composés pratiquement en même temps, seront créés à Weimar la même année, sous la direction du compositeur. Avec cette interrogation : La vie n’est-elle qu’une succession de préludes ? Franz Liszt nous propose une oeuvre beaucoup plus lyrique, avec certains moments de grandiloquence même, où les questionnements offrent des mesures de calme propice à la méditation chère au compositeur. On apprécie l’homogénéité du son de l’orchestre, avec cette écoute particulière qui donne la continuité sonore dans chacune des interventions. Les archets à la corde et les contrastes de nuances créant les émotions, font de cette page musicale un moment de réel plaisir. Paul Hindemith, très peu connu du grand public, était au programme. Et c’est avec une grande qualité d’écoute que l’on découvre sa symphonie dite “Mathis der Maler”. Car, il faut le préciser, si le public marseillais n’est pas avant-gardiste, il est assez curieux et ouvert à certaines propositions musicales. Paul Hindemith est un compositeur allemand du XXe siècle. Violoniste, altiste, professeur au conservatoire de Berlin, puis en Suisse, il va explorer la musique sous toutes ses formes, sonates pour piano, concertos, musique de chambre, mélangeant certains instruments tels que le saxophone l’alto et le piano pour un trio original, oeuvres vocales ou opéras. Ce compositeur aux multiples facettes ira jusqu’à parodier avec beaucoup d’humour la musique de Richard Wagner dans l’Ouverture on the flying Dutchman ( l’ouverture du Vaisseau Fantôme), dans des fausses notes toujours écrites avec … justesse. Un petit bijou ! Ce musicien en délicatesse avec le régime nazi (sa femme étant de confession israélite), émigrera aux Etats-Unis où il obtiendra la nationalité américaine en 1946. Musicien avant-gardiste, il n’ira jamais jusqu’au style dodécaphonique. La symphonie que nous écoutons aujourd’hui, composée à partir de son opéra homonyme, est basée sur une oeuvre du peintre de la Renaissance Mathias Grünewald : le retable d’Issenheim que l’on peut admirer à Colmar. Si l’opéra avait été interdit par les autorités nazies, sa symphonie dont les trois mouvements (Concert d’anges, Mise au tombeau et La tentation de St Antoine)
illustrent musicalement les panneaux du retable, sera tout de même créée à Berlin le 12 mars 1934 par l’Orchestre Philharmonique sous la direction de Wilhelm Furtwängler. Cette oeuvre, bien que narrative, est aussi une réflexion sur le rôle de l’artiste. La question reste posée : pourquoi peindre, pourquoi composer ? Cette peinture, dont la Tentation de Saint Antoine avait déjà en son temps inspiré le peintre Jérôme Bosch et Gustave Flaubert pour un poème en prose, donne ici une oeuvre composée dans une écriture descriptive, mais surtout aux ambiances colorées. Après un début d’une grande solennité religieuse, les anges se font entendre plus joyeux, annonciateurs de bonne nouvelle. Quelques dissonances contrôlées apportent gaîté et légèreté dans un concert de cordes et piccolo. Un joyeux fugato qui monte du quatuor à l’harmonie, montre l’unité d’un orchestre soudé dans la compréhension du texte et des harmonies. Trombones et trompettes trouveront les sonorités justes pour des expositions sensibles ou plus magistrales. Moment de recueillement dans un bon tempo pour cette Mise au tombeau où flûte et hautbois mêlent leurs deux voix. Musique profonde et sacrée s’il en est, si bien comprise par chaque instrumentiste qui laisse monter cette prière sur un long solo de flûte, telle la vision d’une prochaine résurrection. La puissance de l’orchestre décrit la lutte de Saint Antoine contre les démons. L’écriture imagée oppose la clarté des violons, la noirceur du tuba et le velouté des violoncelles. C’est sans doute la compréhension de l’oeuvre et des atmosphères qui permet cette cohésion entre les pupitres, et donne ainsi la force de l’orchestre que l’on sent poindre sous cette musique tendue qui finira dans un choral de cuivres après une course éperdue des archets. Si cette symphonie termine ce programme sur des accords d’une grande puissance émotionnelle, nous avons voulu finir ce compte rendu avec Ricarda Merbeth et Richard Wagner, point culminant de cet après midi musical. Dès sa première prestation sur la scène marseillaise en 2013 où elle chantait le rôle de Chrysothemis (Elektra de Richard Strauss), la soprano allemande avait marqué le public par le timbre de sa voix, son investissement scénique, sa puissance vocale et sa musicalité. Mais c’est aussi avec son interprétation de Senta (Le Vaisseau Fantôme, Marseille 2014), rôle qu’elle interprétait aussi au Festspielhaus de Bayreuth, que Ricarda Merbeth a conquis définitivement le public marseillais. Car, en plus de toutes ces qualités, cette wagnérienne fait preuve d’une immense sensibilité dans chaque prise de note malgré des attaques directes. Dans La Ballade se Senta (Le Vaisseau Fantôme), elle nous montre combien sa voix est solide, dans chaque dynamique mais aussi dans chaque tessiture. Sa belle technique lui permet une maîtrise des nuances dans la continuité du souffle et de la couleur. Vaillance et investissement laissent résonner des aigus éclatants. Après une introduction de la petite harmonie, Ricarda Merbeth commence Le rêve d’Elsa (Lohengrin) par une longue phrase musicale où l’on retrouve son sens du phrasé et sa longueur de souffle. C’est un chant plus rigoureux mais plus intériorisé, avant de démontrer sa puissance exceptionnelle dans un investissement plus guerrier qui maintient la rondeur du son jusque dans les aigus. Avec Tannhäuser Air d’Elisabeth, nous découvrons une chanteuse plus joyeuse au timbre plus clair avec une diction parfaite dans des élans rythmiques. Somptueuse et rayonnante Ricarda Merbeth ! Et comment ne pas finir sur une des pages les plus sensibles de Richard Wagner : La Mort d’Iseult. Superbe, sobre dans une longue robe noire recouverte d’un ample manteau gris, elle nous offre un chant généreux nécessitant un grand soutien du souffle pour cette phrase poignante, longue, immense, qui monte en un puissant crescendo. Son qui vient des profondeurs de la terre pour atteindre le ciel tout en passant au dessus de l’orchestre et qui s’éteint lentement. Ricarda Merbeth a une voix d’une puissance infinie, maîtrisée par une technique infaillible qui lui ouvre toutes les possibilités de nuances et d’interprétation. L’orchestre lui ouvre une voie royale dans un prélude dont les harmoniques sont un sommet de perfection. Evidemment on regrette l’absence du Maestro Lawrence Foster qui avait si bien dirigé Ricarda Merbeth dans Le Vaisseau Fantôme sur cette même scène en 2015, Un Vaisseau mémorable de force et de beauté. Mais il faut vivement remercier le compositeur Bruno Mantovani pour avoir remplacé le Maestro au pied levé dans un programme difficile et avoir conduit l’orchestre (sans baguette) tout en lui insufflant ces atmosphères différentes et contrastées ; un orchestre qui a su s’adapter avec souplesse et intelligence dans une grande unité de son et d’investissement. Un après midi musical apprécié et très applaudi par un public conquis.