Marseille, Opéra Municipal: “La chauve-souris” (Die Fledermaus)

Marseille, Opéra Municipal, saison 2016 /2017
“LA CHAUVE-SOURIS” (Die Fledermaus)
Opérette en 3 actes, version française, livret de Carl Haffner et Richard Genée, d’après Le Réveillon, vaudeville d’Henri Meilhac et Ludovic Halévy.
Musique  Johann Strauss
Caroline ANNE-CATHERINE GILLET
Adèle JENNIFER MICHEL
Orlofsky MARIE GAUTROT
Flora ESTELLE DANIERE
Gaillardin OLIVIER GRAND
Duparquet ALEXANDRE DUHAMEL
Tourillon JEAN-FRANCOIS VINCIGUERRA
Alfred JULIEN DRAN
Yvan / Leopold JEAN-PHILIPPE CORRE
Bidard  CARL GHAZAROSSIAN
Danseurs MAUD BOISSIERE,  LEA DE NATALE, ANNA ELENA, MAYA KAWATAKE-PINON, MARION PINCEMAILLE, LAURA RUIZ, ANDREAS GRIMALDIER, IKKI HOSHINO, LUCAS INTINI, REMY KOUADIO, MOHAMED KOUADRI, CARLO SCHIAVO
Orchestre et Choeur de l’Opéra de Marseille
Direction musicale Jacques Lacombe
Chef de Choeur Emmanuel Trenque
Mise en scène Jean-Louis Grinda
Scénographie  Rudy Sabounghi
Costumes Danièle Barraud
Lumières Laurent Castaingt
Chorégraphie Eugénie Andrin
Marseille, le 29 décembre 2016
Reprenant la tradition allemande qui fait la part belle à cette opérette de Johann Strauss pendant les fêtes de fin d’année, l’Opéra de Marseille présente La Chauve-souris. Car enfin, cette opérette n’est-elle pas tirée du vaudeville Soir de Réveillon, écrit par Henri Meilhac et Ludovic Halévy et créé à Paris au Théâtre du Palais-Royal le 1O septembre 1872, lui même inspiré par la pièce ” Das Gefängnis ” (La prison), une comédie écrite par Roderich Benedix ? Bref, les traditions se mélangent et, sur une musique typiquement viennoise, une pièce à la Georges Feydeau se glisse dans des pas de valses ou de polkas. Cette opérette obtient un tel succès qu’elle entrera au répertoire de l’Opéra de Paris, en 1941 en langue originale, avec Elisabeth Schwarzkopf dans le rôle d’Adele. La production de ce soir n’est pas nouvelle, elle a déjà été jouée au Théâtre du Capitole de Toulouse, à l’Opéra de Monte-Carlo, ou à l’Opéra de Wallonie entre autres et ce, depuis quelques années. Si dans cette version française les noms et certaines tessitures changent, l’intrigue reste la même et lève un pan de rideau sur une époque où la bourgeoisie veut s’amuser et s’enivrer de vin de Champagne. Gags et quiproquos seront de mise avec cette gaieté et cette bonhomie qui caractérisent ce que l’on appelle la Belle époque.
Pour cette pièce jouée dans le temps, le metteur en scène Jean-Louis Grinda prend le parti de changer le décor à vue, sans doute pour éviter de casser le rythme et garder ainsi l’unité de temps. Dans une scénographie de Rudy Sabounghi, ces décors qui respectent l’époque choisie semblent un peu vieillots ; peu de mobilier : une grande table, un fauteuil qui prend de la hauteur par moments, une desserte en bois foncé dans une tapisserie et des tentures où le vert domine, nous font entrer dans l’intimité d’une maison de la petite bourgeoisie de Pontoise. Le décor tourne et nous nous trouvons à la réception donnée par le Prince Orlofsky avec un escalier monumental par où arrivent les invités et où le rouge domine ; puis c’est la prison du dernier acte : un bureau, une grille donnant sur les cellules, des placards, un grand escalier par où descendront les invités de la fête venus pour un final endiablé faisant l’éloge du champagne. Tous les ingrédients sont là pour nous transporter dans les ambiances festives d’une époque assez insouciante. Alors, et cela malgré les costumes de Danièle Barraud colorés et bien coupés, pourquoi ne sommes-nous pas vraiment emportés dans le tourbillon de la musique ? Les lumières de Laurent Castaingt peut-être, pas assez éclatantes, trop intimistes, et qui ne reflètent en rien la joie et la légèreté, ou la direction des acteurs assez simpliste avec un  choeur sous employé scéniquement ? un manque certain de mouvement malgré un ballet de cosaques et de ballerines chorégraphié par Eugénie Andrin. Mais ne boudons pas notre plaisir et laissons Johann Straus nous emporter dans des effluves de valses viennoises. Certes, la mise en scène manque de rythme, mais les spectateurs ont envie de s’amuser et participent avec enthousiasme à cette fête musicale.
Si les hommes n’ont pas des voix extraordinaires, ils ont tout à fait le physique des rôles et ils jouent très bien, avec une diction qui porte et des intonations justes qui rendent les personnages très crédibles. Olivier Grand est Gaillardin, sa physionomie bonhomme, son agilité dans ses déplacements et le plaisir qu’il prend à jouer en font un bourgeois très convaincant, portant beau en redingote et haut de forme. Malgré des aigus un peu courts, sa voix forte de baryton passe avec aisance et justesse. Face à lui son ami Duparquet, chanté par Alexandre Duhamel, dont la voix de baryton aux aigus puissants s’accorde très bien avec celle de son compère pour des duos ou des trios équilibrés. Jean-François Vinciguerra, Tourillon, le troisième larron de cette comédie, avec une voix de baryton-basse tient le rôle à merveille, jouant avec aisance et drôlerie dans une belle présence scénique. Julien Dran est le ténor Alfred. De l’allure, des facilités vocales aux aigus assurés, le font remarquer dans un registre théâtral où l’on a peu l’habitude de le voir. On remarque aussi Jean-Philippe Corre qui, avec une drôlerie naturelle joue le rôle de Leopold sans forcer, avec une voix sonore et bien placée. Amusant aussi Carl Ghazarossian dans le rôle de Bidard.
Bien dans leurs rôles avec de belles voix sont les chanteuses de cette comédie. Anne-Catherine Gillet est une Caroline agréable à écouter et à regarder. Sans ostentation elle est, soit la jeune Madame Gaillardin, un rien ambigüe, soit cette mystérieuse princesse hongroise qui chante la czardas avec aisance. Plus habituée aux rôles d’opéras, elle n’en est pas moins très à l’aise ici aussi bien scéniquement que vocalement ; une voix de soprano agréable et bien placée, de la musicalité, du charme, avec une technique qui lui permet un staccato percutant et une belle élégance de style. Jennifer Michel, une autre soprano habituée aux rôles d’opéras pour une Adèle mutine et enjouée dont les aigus éclatants sont remarqués. Avec une large tessiture homogène qui lui permet des vocalise à l’aise, présence et tempérament font de son air du dernier acte un joli moment de musicalité. Comme très souvent dans la tradition le Prince Orlofsky est chanté par une mezzo-soprano. Marie Gautrot, invitée pour la première fois sur la scène de l’Opéra de Marseille ne paraît pas très à l’aise dans ce rôle travesti. Malgré une voix un peu étrange et un style particulier, elle tient la partie vocale avec justesse rendant son rôle crédible. Plus à l’aise est Estelle Danière qui interprète une Flora qui joue, chante et danse avec facilité. Jacques Lacombe était au pupitre, coordonnant orchestre et chanteurs. Malgré une baguette nette et énergique, le chef d’orchestre québecois ne réussit pas toujours à éviter les décalages entre plateau et orchestre. Mais c’est sans doute sa direction un peu droite qui dérange. Rubato et respirations ne sont pas au rendez-vous nous empêchant d’être complètement séduits. Si cette musique demande à être rythmée et enlevée, elle a un grand besoin d’expressivité et de contrastes. Malgré un style pas toujours aussi viennois qu’on l’aurait souhaité, cette représentation a fait l’unanimité du public en répondant à ses attentes de plaisir musical et de distraction théâtrale. Une soirée festive où les airs sont fredonnés longtemps après avoir quitté la salle. Photo Christian Dresse