Opéra, Toulon, saison 2016 / 2017
Orchestre Symphonique de l’Opéra de Toulon
Direction musicale Christoph Poppen
Violon Renaud Capuçon
Jennifer Higdon: Blue Cathedral
Erich Wolfgang Korngold: Concerto pour violon en ré majeur, Op.35
Samuel Barber: Hesitation tango (extrait de la Suite de ballet pour orchestre ; Souvenirs, Op.28
John Adams: The Chairman Dances
Leonard Bernstein: On the Town
Toulon, le 25 novembre 2016
L’Opéra de Toulon pratiquement complet pour ce concert de Musique américaine avec en soliste le violoniste Renaud Capuçon, avait attiré les mélomanes habitués de ce joli théâtre, mais aussi de nombreux jeunes, certainement élèves des conservatoires de Toulon et de la région. Le concerto pour violon et orchestre composé par Erich Wolfgang Korngold, très peu joué en concert, créait sans doute l’évènement de la soirée. Assez méconnu en France, ce compositeur autrichien, naturalisé américain en 1943, était pourtant, à son époque, considéré comme un enfant prodige et recevra, chose assez rare, les éloges de pratiquement tous ses contemporains. Puccini disait de lui : “Il a tellement de talent qu’il pourrait nous en donner la moitié, et lui en resterait encore assez”. Elève d’Alexander Zemlinsky, il est reconnu par Jean Sibelius ou Richard Srtauss, aussi bien que par Gustav Mahler entre autres. Emigré aux Etats-Unis, il se consacrera à la composition de musique de films. Son concerto en ré majeur, créé en 1947 par Jascha Heifetz, est sans doute une des dernières compositions empreinte du romantisme viennois. Malgré une critique assez froide, cette oeuvre obtient un succès immédiat auprès du public et sera, avec son opéra Die tote Stadt, la carte de visite du compositeur. Renaud Capuçon allait défendre cette oeuvre avec sa musicalité habituelle et la complicité de son violonGuarneri del Gesù “Panette” (1737) ; et c’est avec un immense plaisir que l’on écoute ce talentueux violoniste français. Invité à jouer sur les plus grandes scènes, dirigé par les plus grands chefs du moment, Renaud Capuçon, fondateur et directeur artistique du Festival de Pâques d’Aix-en-Provence, est aussi passionné de musique de chambre. De structure classique (trois mouvements), le concerto de Korngold peut-être assez déroutant à une première écoute, où une certaine modernité américaine se mélange aux inspirations juives, racines du compositeur : glissandi légèrement orientaux croisant quelques harmonies échappées du folklore. Renaud Capuçon se lance dans le romantisme. De belles respirations, une grande compréhension du texte et la sensation d’une osmose avec le compositeur plongent l’auditoire dans une écoute quasi religieuse. Et nous retrouvons tout ce que nous apprécions chez cet interprète, la chaleur d’un vibrato expressif, un archet à la corde qui semble être la continuité de son bras, la pureté du son et du style jusque dans la cadence affirmée, jettato et staccato volant sonores, tout ceci dans une élégance naturelle. Si d’aucuns le disent un peu froid, cela est certainement dû à une certaine réserve dans le jeu, et une grande mesure dans l’expression de l’humour ou de la fantaisie. Mais dans cette interprétation du concerto de Korngold, nous regrettons plutôt le manque de présence de l’orchestre qui donne le relief et l’impulsion, nécessaires à cette orchestration où fantaisie, humour et grandes envolées doivent porter le soliste plus que l’accompagner. En bis, un passage de l’Orphée de Gluck, transcrit pour violon nous fait retrouver un Renaud Capuçon sensible, où les sons joués sur un crin de l’archet sont d’une grande pureté. La justesse parfaite, l’émotion contenue dans cette interprétation, nous font nous aligner sur l’avis de la critique qui reconnaît Renaud Capuçon comme l’un des meilleurs violonistes français, toujours à l’aise dans des styles différents qui vont de Wolfgang Amadeus Mozart à Pascal Dusapin. Musique américaine oblige, le concert débutait avec Blue Cathedral de Jennifer Higdon, une compositrice (fait assez rare pour être noté), lauréate du prix Pulitzer, considérée comme une figure majeure de la musique classique contemporaine. Cette composition tonale et agréable à l’écoute est le fruit d’une méditation sur le voyage, en pleine liberté, effectué après la mort. c’est donc une oeuvre où le son imprime les sensations, compose les atmosphères, où les divers instruments proposent de légères touches de couleurs. C’est une musique expressive, quelquefois rythmique ou incisive, qui laisse la lumière traverser cette cathédrale de verre, laissant les alti dérouler un tapis sonore au cor anglais, ou donnant la parole au violon et violoncelle pour de jolis solos. Autre figure emblématique de la musique américaine et prix Pulitzer 1958 pour son opéra Vanessa, Samuel Barber et sa composition Hesitation tango, tirée de sa suite de ballet Souvenirs, originalement écrite pour piano à quatre mains. Samuel Barber nous propose une musique imaginative aux rythmes chaloupés dans une ambiance tango aux notes qui se frottent avec délicatesse et sensualité. Entre musique de film et ballet moderne caractéristique de son époque, cette composition est empreinte d’humour, de légèreté, mais aussi de gravité dans certains accords. John Adams pour continuer, avec The Chairman Dances. Une entrée en matière sous forme de mouvement perpétuel. Rythmes et détachés répétitifs nous font penser à une machine en marche qui va crescendo dans une montée chromatique. C’est une musique qui semble avancer dans un certain immobilisme. Inspirée par la librettiste Alice Goodmans, pour une ébauche de l’opéra Nixon in China, ces phrases musicales se retrouveront dans l’acte III de cet opéra composé par John Adams en 1987. Cette musique colorée est-elle écrite pour évoquer les sentiments ou les comportements de tous les présidents, avec des rythmes syncopés, des balancements hésitations, où perce un léger contentement dans les effets ou les lumières plus éclatantes pour finir dans des notes qui s’éteignent, frappées sur un woodblock ? Mais peut-il y avoir un concert de musique américaine sans évoquer Leonard Bernstein ? C’est donc avec cet inimitable compositeur qui nous propose On the Town (3 dances), que ce terminera ce programme ; véritable déclaration d’amour à la ville de New-York, faite par le plus génial compositeur américain de notre époque. Les lumières, les bruits, les atmosphères de la ville sont présents et, en prêtant un peu plus d’attention, ne pourrait-on pas déceler aussi quelques odeurs ? L’emploi des instruments se prête aux ambiances, du saxophone au piccolo en passant par la trompette où le son voilé de la clarinette. Ragtime et folklore rythment cette partition qui n’est pas sans suggérer George Gershwin. Une grande jubilation s’empare de l’auditoire ; succès garanti ! Pour coordonner toutes ces musiques, l’Opéra de Toulon avait fait appel au chef d’orchestre Christoph Poppen, chef titulaire de l’orchestre de Cologne et fondateur du Festival international de musique de Marvao (Portugal). Violoniste de formation, Christoph Poppen fait preuve de musicalité et de souplesse dans l’accompagnement du concerto de Korngold, mais son intention de ne jamais couvrir le soliste l’empêche top souvent de mettre l’orchestre en avant dans les passages écrits dans cette optique. Si dans les compositions pour orchestre un peu de cette tendance se fait encore sentir, sa battue claire et très rythmée tient l’orchestre, lui insufflant des tempi justes et soutenus et réussissant une belle cohésion des sonorités dans chaque pupitre. C’est peut-être dans les envolées et les rythmes balancés que l’on regrette un certain manque de souplesse et de légèreté. Avec un orchestre à l’écoute qui sait répondre aux demandes du chef d’orchestre et aux intentions des compositeurs, l’Opéra de Toulon nous a offert une soirée festive d’une grande tenue.