Bayreuth Festspiele 2016: “Parsifal”

Bayreuth, Festspielhaus, saison 2016
PARSIFAL”
Opéra en trois actes, livret de Richard Wagner
Musique   Richard Wagner
Amfortas RYAN McKINNY
Titurel KARL-HEINZ LEHNER
Gurnemanz GEORG ZEPPENFELD
Parsifal KLAUS FLORIAN VOGT
Klingsor GERD GROCHOWSKI
Kundry  ELENA PANKRATOVA
Gralsritter 1   TANSEL AKZEYBEK
Gralsritter  2  TIMO RIIHONEN
Knappe 1  ALEXANDRA STEINER
Knappe 2  MAREIKE MORR
Knappe 3  CHARLES KIM
Knappe 4 STEFAN HEIBACH
Klingsors Zaubermädchen  ANNA SIMINSKA
Klingsors Zaubermädchen  KATHARINA PERSICKE
Klingsors Zaubermädchen  MAREIKE MORR
Klingsors Zaubermädchen ALEXANDRA STEINER
Klingsors Zaubermädchen  BELE KUMBERGER
Klingsors Zaubermädchen  INGEBORG GILLEBO
Altsolo    WIEBKE LEHMKUHL
Orchestre et Choeur du Festival de Bayreuth
Direction musicale    Hartmut Haenchen
Chef du Choeur   Eberhard Friedrich
Mise en scène    Uwe Eric Laufenberg
Décors   Gisbert Jäkel
Costumes   Jessica Karge
Lumières   Reinhard Traub
Dramaturgie   Richard Lorber
Bayreuth, le 25 juillet 2016
Parsifal, ou le testament de Richard Wagner, et seul opéra à avoir été écrit spécialement pour être joué dans cette salle. Il semblerait que bien des nouvelles productions d’opéras doivent se dérouler en Afrique ou au moyen orient. En effet, après le ” Cosi fan tutte ” du Festival d’Aix-en-Provence du mois de juillet qui nous emmenait dans l’Erythrée de Mussolini, le ” Parsifal ” de Richard Wagner en cette première au Festspielhaus de Bayreuth, nous transportait directement entre Tigre et Euphrate, dans un monastère de style roman qui pourrait ressembler au monastère Sainte Catherine dans le Sinaï, où les Chevaliers du Graal sont devenus des moines ; et l’on ne peut que penser aux moines de Thibirine dont l’histoire à fait le sujet du film Des hommes et des dieux. Uwe Eric Laufenberg reste au plus près du texte et l’on comprend clairement l’évolution et le déroulement de l’action. Mais, comme c’est souvent le cas lorsque les metteurs en scène trouvent intéressant de changer le lieu, l’époque, ou tout autre chose, il y a une surenchère de symboles, d’objets, de costumes, qui surchargent le visuel, enlevant le côté mystique souvent contenu dans l’oeuvre de Richard Wagner et particulièrement ici dans ” Parsifal ” où la Rédemption chère au compositeur est omniprésente. Si, dans l’ensemble, la mise en scène de Frank Castorf pour le ” Ring “, encore d’actualité à Bayreuth cette année, est laide, on ne peut pas dire la même chose du ” Parsifal ” de Uwe Eric Laufenberg qui est visuellement très acceptable ; mais, permettez-nous de regretter la production épurée de Harry Kupfer datant de 2005. Entre des écrits de Shopenhauer ou du Dalai Lama, le metteur en scène nous offre une vision très multi-religions ou philosophique de l’oeuvre. Le rideau s’ouvre sur l’intérieur du monastère où des signes d’agressions guerrières sont visibles ; devenu lieu d’accueil pour déracinés ou lieu de culte, ce décor sera omniprésent si l’on excepte la représentation du monde de Klingsor. Un monde à étages où un hammam sera aménagé pour y séduire Parsifal, avec des Filles Fleurs, qui ont quitté leurs niqabs pour des costumes de danseuses orientales et qui évoluent dans un petit bassin. Au premier étage une vitre laisse apparaître Klingsor observant la scène au milieu de croix et de représentations du Christ. Tout en haut, un mannequin présent du début à la fin de l’ouvrage, est censé représenter… Titurel peut-être ? ou la conscience ? Symbole aussi les filles nues qui dansent sous la pluie au troisième acte ? Signe de vie, de pureté retrouvée ? Seul le metteur en scène pourrait le dire. Il est difficile de transcrire ici tout ce que nous voyons, les allusions aux différentes religions avec la lumière rouge allumée annonçant la présence du Christ dans le tabernacle, les niqabs des femmes musulmanes, la porte ronde, porte de lune chinoise, ou les drapeaux de prières tibétains flottant sur la lance reprise à Klingsor et cassée pour en faire une croix…. Le lac sacré est ici un grand baptistère où Amfortas est plongé avec le Christ descendu de sa croix. Mais le plus choquant est sans doute cette profusion d’hémoglobines sortant de sa plaie où les moines viendront s’abreuver. Car ici, aucun doute n’est possible, Stigmates, petit drap blanc autour des reins, couronne d’épines sur la tête, Amfortas est le Christ.
Les décors de Gisbert Jäkel sont explicites, bien construits, en rapport avec l’idée du metteur en scène et mis en valeur par les éclairages, conçus par Reynhard Traub, qui créent les atmosphères avec des lumières adaptées aux divers lieux et situations. Les costumes de Jessica Karge, sont eux aussi appropriés aux personnages représentés. Parsifal est un soldat, ou un rebelle, Kundry est une incroyante ; magicienne ou séductrice elle porte des tenues adaptées aux situations et Gurnemanz est un moine chevalier. Rien de particulièrement choquant si l’on adhère au propos de Uwe Eric Laufenberg. Par contre, la vidéo de Gérard Naziri survolant le monastère et s’échappant dans l’univers est tout à fait inutile sur cette musique de Richard Wagner.
Une distribution de haut niveau, voire exceptionnelle, fera de cette représentation un éclatant succès. Si Klaus Florian Vogt est devenu un Lohengrin de légende depuis sa dernière interprétation du rôle sur cette scène, il prouve ici, qu’il peut-être aussi un immense Parsifal. Une allure, un physique, et un jeu loin des personnages niais imposés souvent par certains metteurs en scène ; mais aussi et surtout une voix, avec laquelle il impose son Parsifal et traduit la pureté du personnage. Une voix incisive, projetée, qui laisse vibrer les harmoniques et donne ainsi une ligne de chant, une musicalité incomparables sur une belle longueur de souffle. Avec un tempérament certain, cet heldentenor aussi bien dans la colère que dans la naïveté, laisse éclater la lumière contenue dans sa voix. C’est un Parsifal dont on aura plaisir à se souvenir démontrant que pureté ne rime pas toujours avec niaiserie. Mais c’est sans conteste Gurnemanz qui récoltera tous les suffrages. Georg Zeppenfeld, habitué aux grands rôles de basse, est un narrateur irréprochable et superbe de bout en bout. Quelle présence, quelle voix assurée pleine de résonances et quel beau phrasé dans son chant. Avec un timbre chaleureux, il fait montre de sensibilité autant que de puissance pour des dialogues où prises de notes posées et bonnes respirations transcrivent à merveille les intentions du compositeur. Aucun ennui dans ses récits tant son interprétation est intelligente et sobre, avec une diction impeccable et projetée qui fait résonner chaque note. A l’écoute des inflexions de la musique, Georg Zeppenfeld marquera très certainement ce rôle. Ryan McKinny est Amfortas, Doté d’un réel physique, il est l’incarnation du Christ selon Uwe Eric Laufenberg qui joue ici sur la transmigration des âmes. Mais ce n’est pas pour sa plastique que l’on retiendra l’Amfortas du baryton-basse américain. Si son jeu est sobre et sans effet forcé, sa voix est aussi superbe, puissante et sûre. Il passe naturellement au-dessus de l’orchestre avec aisance et, cet homme dont les blessures saignent abondamment, a une voix plus que solide avec des graves qui résonnent. Chantant avec sensibilité dans un vibrato qui donne de la chaleur au timbre de sa voix, Ryan McKinny nous touche par la pureté de sa ligne de chant. Très équilibrées, ces trois voix masculines misent sur des timbres homogènes. Si Gerd Grochowski est un grand habitué des rôles wagnériens, il nous propose ici un Klingsor assez peu impressionnant. Desservi par son costume noir, banal, qui le met peu en valeur, il incarne cet être maléfique avec assez peu de présence malgré une voix puissante au timbre inquiétant. De belles nuances et une bonne projection, donneront toutefois plus de caractère à ce rôle. Elena Pankratova, qui chante pour la première fois sur la scène du Festspielhaus, est une Kundry qui sera très remarquée et très applaudie. Avec une belle présence et un jeu sobre et efficace, la soprano dramatique est cette femme aux multiples visages, séductrice ou créature de Klingsor, qui finira baptisée et repentante, lavant les pieds de Parsifal telle une Marie-Madeleine. C’est avec une voix claire, jeune et très équilibrée, qu’elle passe des graves sonores aux aigus puissants qui restent mélodieux. De belles prises de notes et une voix homogène dans tous les registres ; Elena Pankrova est une Kundry à l’aise et juste dans chaque incarnation. Bel ensemble aux voix claires pour Les filles Fleurs qui chantent avec charme et précision. Les voix de ténor et basse de Tansel Akzeybek et Timo Riihonen sont à remarquer aussi. Le Choeur, très bien préparé par Eberhard Friedrich, fait une prestation remarquable d’ensemble, d’homogénéité des voix et de nuances, dans un opéra où ces choeurs d’hommes ont une grande importance. Après que le chef letton Andris Nelsons, pour des raisons restées obscures, ait rendu sa baguette moins d’un mois avant le lever de rideau, Hartmut Haenchen relève le défit et prend pour la première fois la direction de cet immense orchestre pour ce Parsifal. C’est certainement une consécration pour ce chef d’orchestre allemand qui, malgré le peu de temps, réussit à imprimer son empreinte avec des tempi justes sans coup d’éclat, qui gardent grandeur et religiosité à cette oeuvre au mysticisme omniprésent. Et toujours ces sonorités particulières, fondues, qui remplissent la salle même dans les pianissimi. Hartmut Haenchen conduit avec souplesse et musicalité, posant les notes au fond des temps avec des respirations qui laissent le phrasé se dérouler. C’est une interprétation qui coule avec fluidité, en accord avec la narration de Gurnemanz. Pas de scandale à Bayreuth en cette première, malgré une certaine crainte quant au choix du metteur en scène en ces périodes troublées. Mais un Parsifal qui marquera par la qualité des chanteurs, l’homogénéité du plateau et la direction musicale et intelligente du Maestro Hartmut Haenchen. Photo Enrico Nawrath